Figure mythique de la vie nocturne, la dragqueen, cette créature mystérieuse et perturbante à la frontière des genres, retrouve ses lettres de noblesse à Strasbourg. Entre strass et paillettes, boules aux mille facettes, la fête avec des dragqueens, c’est playbacks enflammés et défilés débridés. Historiquement symbole de la libération sexuelle et l’émancipation du mouvement LGBT, notamment durant la période disco et les années 90, le combat pour la reconnaissance et la visibilité est toujours ancré dans cette pratique artistique souvent méconnue, mais qui tend à se démocratiser, voire à se commercialiser. On a rencontré quelques acteurs du milieu à Strasbourg qui nous expliquent leur vision de cette forme de spectacle si particulière.
Tout d’abord, posons les bases : qu’est-ce qu’une dragqueen ?
Dragqueen est un terme aux multiples origines contestées. Historiquement, Drag pourrait faire référence aux robes/jupes que les travestis laissaient traîner derrière eux, mais aussi aux hommes jouant des femmes au théâtre (DRAG ou DRessed As Girl), quand les planches ne leur étaient pas encore autorisées. Queen est un terme d’argot anglais qui pourrait désigner les homosexuels comme les femmes « aux mœurs légères », mais aussi plus généralement les hommes adeptes du travestissement. Avec le temps, le terme désigne désormais une forme de spectacle bien particulier, bien distinct des questions de sexualité ou d’identité de genre (Transgenre ≠ Dragqueen ≠ Travesti). Aujourd’hui,une dragqueen, c’est quelqu’un qui s’habille selon des codes (généralement féminins mais pas forcément) exagérés, exubérants et qui fait des spectacles empreint d’une certaine culture, notamment avec du lip-sync (chant en playback travaillé) et du voguing (danse). Mais ce sont les dragqueens qui en parlent le mieux eux-mêmes…
Nicolas aka Amanda LaGrande organise des événements au Spyl
Depuis janvier, Nicolas organise des soirées « Drags Night Out » au club le Spyl. Il fait même venir des invités de la scène européenne, le 27 Octobre dernier. Sous les traits de son personnage Amanda LaGrande, il invite Lady Galore, une drag queen internationale venue d’Amsterdam avec qui il a déjà partagé la scène. Pour la première fois depuis longtemps, c’est l’occasion de relancer des éléments mythiques de la culture drag. Une cérémonie où l’on se montre, on défile, on danse.
DragQueen, toute une culture de la vie nocturne
Trois catégories étaient proposées où les gens pouvaient s’inscrire avec un look pour défiler avec un vote à la clé, avant d’enchaîner sur les performances de deux dragqueens pour un show lipsync (playback travaillé avec performance scénique). « J’étais étonnement surpris de voir autant de personnes défiler et me renvoyer des messages le lendemain pour me demander le thème de la prochaine soirée. Ça commence à bouger ! » Le public se prête bien au jeu, 3 dragqueens font jury, une autre anime. Amanda explique comment les aborder pendant une pause cigarette.
« Quand je suis en drag, tu peux m’appeler « il » ou « elle », tu peux te tromper. On veut surtout être respecté comme les autres êtres humains. On est très déluré, on rigole beaucoup. On est là pour faire la fête, apporter une ambiance sympa, mais toujours dans le respect.« Ça persiste, des personnes se permettent des gestes déplacés parce qu’on est cette illusion de femme. On a du rembourrage partout, ça intrigue les gens. Même si on est habillé très sexy avec un certain lâché prise, voire coquin, ça reste une forme d’art. On ne touche pas. Ne vous permettez pas trop d’intimité non plus…»
Dragqueen, un exutoire, une passion, mais aussi désormais une prestation spectacle
Amanda: « J’ai toujours été attiré par tout ce qui est maquillage, perruque, mode féminine, défliés etc. Je suis tombé sur l’émission « RuPaul’s Drag Race » (télé-réalité faisant fureur aux USA). Ce qui m’intéressait c’était les différentes morphologies de mec : grands, baraqués, maigres… tous capables de donner cette illusion. Je me suis mis au maquillage et j’ai construit petit à petit la personnalité d’Amanda. Elle me permet de dire des choses et de faire de choses impossibles pour moi dans ma vie de tous les jours. Un peu comme un superhero. Superman met sa cape le soir pour sauver les innocents, nous les drags, on met notre perruque et on va faire kiffer le public. Je suis beaucoup plus réservé, voire introverti dans ma vie de tous les jours. »
Le personnage d’Amanda a cette confiance qui lui permet de monter sur scène que ce soit en festival, show ou club. Vis-à-vis de l’audience, c’est une “armure protectrice”. « Ton personnage ne partage pas les problèmes que tu peux avoir dans la vie de tous les jours. C’est une bulle. »
Si pour Amanda (Nicolas), la pratique du Drag est un moyen de se lâcher, c’est aussi et surtout un art qui demande préparation et sensibilité. Les chansons passées en playback sont entièrement réinterprétées. On peut réellement transmettre une émotion, une rage, un bonheur, un désespoir, ou une mélancolie sur scène et les dragqueens travaillent beaucoup là-dessus. C’est comme du théâtre, mais un peu plus personnel.
Une création mystique et nocturne, ancrée dans la communauté LGBTI+
Pour Amanda (Nicolas), c’est souvent les dragqueens qui posent la première pierre dans la lutte pour les droits de la communauté LGBT. « On a toujours été un peu figure de proue des marches des fiertés, avec une image parfois mal interprétée. Pour le grand public, on apparaît souvent comme étrange et indécis. « Est-ce qu’il veut vraiment devenir une femme, rester un homme ? » Cette question de genre tourne beaucoup, alors que pour la plupart d’entre nous on sait pertinemment d’où on en est. Personnellement, je sais que je ne veux pas transitionner (changer de sexe). Je me sens homme. Le côté genre et identité… pour moi ça ne change rien. Amanda, c’est quelque chose d’asexué. C’est une forme d’expression qui se manifeste par le fait de porter une perruque et des accessoires féminins. »
« C’est plus la transformation qui est recherchée de mon côté. La question de genre ne se pose pas vraiment. Mais je suis conscient que c’est cette question qui pousse certaines personnes à essayer, pour voir, avoir ce ressenti de changer de genre. Personnellement, je ne me sens pas « plus féminin ». Forcément j’agis de manière plus féminine pour le personnage. Et puis avec les ongles etc, des mimiques s’installent… Mais je ne me sens pas « moins homme » ou « plus femme » pour autant en étant Amanda.»
Transgenre ≠ Dragqueen ≠ Travesti
Il y a bien sûr aussi des dragqueen trans, mais il faut bien différencier. Un trans n’est pas une dragqueen. Un travesti, n’est pas une dragqueen. Une dragqueen, c’est un personnage, dans le cadre d’un show ou d’une soirée. Les questions de genres, de sexualités et d’identités sexuelles se rapportent à une question d’identité personnelle et du rapport de chacun à soi. Ce n’est pas le sujet ici, même si les dragqueens « jouent et aiment jouer de ces questions de genre dans le show ». Il y a des hommes hétéros qui s’habillent en drag. Il y a des nanas cisgenre hétéro qui s’habillent en dragking comme en dragqueen (les filles qui font du dragqueen sont parfois nommées bioqueens, même si beaucoup n’aiment pas le terme). C’est une exagération de traits et de clichés de genre.
Lexique: cis genre (le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance), identité de genre (genre auquel une personne a le ressenti profond d’appartenir), transgenre (le fait d’avoir une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance, indépendamment de son orientation sexuelle), travestissement (l’acte qui consiste à porter les vêtements, accessoires, qui sont généralement associés au sexe opposé du sien, dans un but récréatif, de confort ponctuel ou dans un besoin profond d’identité)
Des préparations de 4 heures pour voiler les traits masculins
Il en faut beaucoup pour cacher un homme dans de bonnes proportions. Pour la préparation d’une soirée Disco où Amanda LaGrande (Nicolas) fait une scène avec ses copines Isahk Noxïma Marley et L-Ïxyr, c’est près de 4 heures de préparation en amont pour quelques dizaines de minutes de show. Il faut BEAUCOUP de couches de collants, de maquillage, de cheveux pour commencer à créer l’illusion et ne plus les reconnaître. Et puis c’est une manière de s’exprimer et de s’amuser. C’est très créatif. Beaucoup de drags ne cherchent pas à ressembler à une femme, mais plus à une sorte de créature mystérieuse et intrigante.
« On s’éclate hein. Sinon on ne le ferait pas. Vu toutes les couches qu’on a… ce n’est pas confortable non plus ! Le drag c’est du sport ! » 5 paires de collants, scotchés de partout, des corsets, trois paires de faux-cils… Autant vous dire qu’ils transpirent ! Trouver ou fabriquer des costumes est aussi un défi. « C’est super dur de trouver des talons en taille 44 ! Heureusement qu’Amazon et Internet sont là. On n’a pas trop accès à des boutiques qui vendent ce genre de produits à Strasbourg, contrairement à Paris. » Beaucoup pratiquent le DIY et la récup’ pour fabriquer leurs costumes. Oui les dragqueens sont aussi bricoleurs.
Patrice fait les costumes de “Titia” tout seul depuis ses 18 ans.
C’est le cas de Patrice, dragqueen depuis ses 18 ans et co-fondateur avec son mari Yves du club le SPYL, l’un des seuls clubs revendiqués LGBTI+ à Strasbourg. « Tout ce que je porte, c’est moi qui le fabrique. Depuis des années, j’ai accumulé des stocks de costumes. Au début c’était aussi pour des raisons budgétaires. Avant de pouvoir performer, il faut investir ! Une paire de cuissarde ça vaut facile 200€. Tu vois les autres drags, ils ont des trucs de dingue, ça fait envie. »
« Je m’en suis inspiré, étant très bricoleur et ébéniste de formation. J’ai fait des structures moulées sur ma tête avec une bague de fixation, ensuite je tressais des cheveux en vrac, ou je faisais des chignons… Il faut que ça soit équilibré, pas que ça tombe… Avec la créativité, ça donne des fois des trucs immenses, surréalistes… J’achète plein de trucs, des cheveux, du grillage, des bases en latex … ou j’en fabrique papier mâché. Je colle du tissus dessus… tout dépend de ce que je veux obtenir. »
A l’époque leurs soirées phares, avant même l’ouverture du Spyl, c’étaient les Crazy Nights, où la présence de dragqueens était de mise. « On en organisait dans des lieux comme le Vogue ou l’Offshore dans les années 2000… Il y a eu une grosse période de vide, parce que beaucoup de lieux ont fermé, mais ça reprend en ce moment. » C’est là notamment où il a continué à développer son personnage Titia une nana un peu grunge, rebelle qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense.
« Tu te mets dans la peau de quelqu’un d’autre, et ça permet de vraiment se lâcher. Pendant au moins 10 ans, personne ne savait qui était derrière Titia… Laisser cette part de mystère, c’est génial. Ça reste une partie de nous-même. A la base, je dis ce que je pense, parfois ça dérape. En Drag, il n’y a pas besoin de retenue, c’est donc toujours une part de moi, mais à travers mon personnage, sans dire qui je suis. C’est comme parfois, je suis dans la rue, je veux appeler mon pote et au lieu de l’appeler comme pourrait le faire mon personnage, je gueule un gros « OOOH » bien masculin. Le naturel revient au galop. Les gens à côté sont surpris, choqués. Du coup, j’en joue : « Oh bah non ce n’est pas moi » avec une voix toute fluette, ou alors l’inverse, « bah oui c’est moi, tu m’as pris pour une nana ou quoi ? »
Je n’ai pas toujours fait des shows dans la seule communauté LGBT. J’en ai fait beaucoup plus pour des mariages, des boites hétéro, des clubs échangistes… C’est intriguant. Les gens se demandent si on est des mecs, des nanas… Ils ne savent pas et nous posent des questions.
« Vous avez encore votre service trois pièces en dessous ? »
Souvent on laisse l’ambiguïté, on sème le doute et c’est ça qui est drôle d’ailleurs. Souvent les gens s’imaginent qu’on est efféminés dans la vie quotidienne, comme ce n’est pas le cas, ils n’en reviennent pas quand je leur dis que Titia… bah si c’est moi ! Comment ça, ça ne se voit pas ?
Je n’ai JAMAIS eu de soucis avec les gens. De toutes les cultures différentes etc. Les gens sont plus intrigués, curieux, qu’agressifs. Je me maquille chez moi, je descends chez moi, je monte dans ma bagnole avec ma valise, en jogging baskets mais maquillée comme une « pute ».
«Je pense qu’on aide aussi les femmes peut-être un peu à assumer encore plus leur féminité. Nous, on exagère ces traits-là à outrance, très féminins, très sexy etc. Les gens disent des fois qu’on a presque le cul à l’air quoi. Et les nanas se disent en conséquence qu’elles peuvent se le permettre aussi. Pareil pour les mecs qui veulent assumer leur part de féminité. Chacun peut s’y retrouver.»
« Titia, elle en a rien à foutre de personne, dit tout au culot. C’est THE QUEEN quoi. »
«Étant plus jeune, le drag c’était vraiment une manière de vaincre ma timidité. Ça m’a vraiment aidé. Sans ça, aujourd’hui je n’en serais pas là. Grâce à ça, j’ai pu gagner en confiance en moi et évoluer personnellement comme professionnellement. Entre nous on est assez solidaires. Si pendant le show, le bustier d’une copine commence à se défaire, on va l’aider. On se protège, on préserve l’image les unes les autres. On sait qui on est en dehors du show. Les autres non. »
«En 2018, le constat, c’est qu’il y en a beaucoup moins qu’avant. Dans les années 90, c’était la grande tendance. Dans les clubs très branchés, électro etc… ce n’était pas spécifique des clubs gays. En ce moment, ça revient un peu. Les classiques reviennent disons. Et dragqueen, c’est un classique de la vie nocturne. Ça va avec la fête, c’est strass et paillettes… »
TimeLight: disco et dragqueen en 2018
On retrouve Amanda LaGrande à une soirée Mothership, soirée de clôture du projet TimeLight d’une association strasbourgeoise LeTube. Ce projet de Violette et Margot, respectivement trésorière et présidente de l’asso, tourne autour du mouvement disco. Six jeunes artistes ont pu se réapproprier ce thème, et voir ce qu’il représentait pour eux en 2018. Dans ce cadre, la jeune artiste Claire Guetta a travaillé sur l’angle des dragqueens.
« On a fait en sorte que Claire rencontre Nordine, un ami à nous qui fait du dragqueen à Strasbourg sous le pseudo Isahk Noxïma Marley. Ils ont travaillé ensemble sur deux vernissages. En plus des performances de Nordine, Claire a pris en photo Nordine, qui était habillé en dragqueen… mais représentant Claire ! »
https://www.youtube.com/watch?v=VyAHULpMXKQ
Nordine a lu des textes sur le thème du « sosie » et a fait show drag lipsync sur YouMakeMeFeel, avant d’inaugurer des portraits photos de 2m sur 1m50. « Il y a quelque chose d’hyper enthousiasmant dans la métamorphose qui s’opère, ça fait rêver ! Le processus de maquillage fait un peu office de chrysalide, la chenille qui devient papillon. On a souvent du mal à les reconnaître quand ils sont sur scène. Pour l’imitation de Claire, beaucoup ont été troublés par la ressemblance avec l’imitation de Nordine. »
Pour Violette et Claire, cette soirée dans les locaux de l’école de danse burlesque Luna Mokka (dont on parlait ici) était l’occasion parfaite de découvrir l’univers de leur ami. « On en avait vu via des documentaires ou des films, mais on n’avait jamais assisté à un show. C’était aussi l’exploration de quelque chose d’un peu inconnu. Il y a de l’ostentatoire et du paraître, mais, comme pour le disco, ça reste des paillettes et des strass, mais avec un vrai fond politique et social derrière. »
« Le mouvement disco tourne aussi autour de la libération sexuelle et l’émergence d’un mouvement gay qui s’assume. Il y avait une revendication avec la présence de dragqueen en clubs à l’époque, ça devient possible et accepté. Ça fait 40 ans que ça existe, pourtant on n’en entend pas autant parler que ça. Ça reste des milieux assez fermés, voire complètement privés. Si tu ne connais pas, pas sûr que ça soit accessible. Il faut être curieux et s’y intéresser. C’est aussi lié à un manque d’acceptation.»
«Encore aujourd’hui, l’homosexualité et le transgenre, ça reste compliqué dans notre société. C’est de plus en plus accepté peut-être… mais on se demande si ce n’est pas juste une impression issue de nos cercles personnels. Suffit de voir les manifs contre le mariage homosexuel ou l’adoption. »
Amanda (Nicolas) qui se prépare aux côtés d’Isahk Noxïma Marley (Nordine) en loge, tient un discours similaire : « Le regard des gens, l’animosité, la violence … Voilà ce qu’on peut risquer en tant que drag queen. On essaye le plus souvent de se faire déposer juste devant le club, on ne prend pas trop les transports en commun. Après, il ne faut pas oublier qu’on est des mecs. Tu me cherches, tu me trouves aussi.»
«Personnellement, je ne l’ai pas subi, mais ça reste un vrai risque. Je connais beaucoup de queens qui l’ont vécu. Et qui l’ont même vécu avec l’incompréhension des forces de police qui lui disaient qu’elle recherchait l’altercation en sortant comme ça. C’est pour ça que c’est important pour nous de continuer à se faire entendre et se faire voir.»
«Pour que ces événements ne se reproduisent plus. On a besoin de visibilité et de compréhension. Dans les grandes villes, notamment aux USA, les gens sont beaucoup plus demandeurs des shows drags et on peut sortir dans les transports en commun etc. C’est devenu mainstream. La communauté passe sur une chaîne à grande audience, des shows sont diffusés sur Netflix avec des victoires aux Emmy Awards… Tout le monde en a entendu parler, c’est rentré dans la culture, on pourrait même parler d’une période dorée du drag.»
Des jeunes filles hétéro, fans de la culture drag
«Aujourd’hui, même à Strasbourg, beaucoup de personnes en dehors de la communauté LGBT s’y intéressent. Les dragqueens revendiquent beaucoup de jeunes filles hétéros parmi leur public. « . La relation avec le public c’est génial. Quand des jeunes viennent après pour te dire « merci, c’est cool ce que tu fais » ou encore « maintenant j’ose sortir de chez moi avec du rouge à lèvres bleu ». Il y a un vrai impact social.»
Si des figures comme nous existent et s’épanouissent sur scène, c’est sûr que d’autres vont avoir beaucoup plus confiance pour se lancer et se dire « si elle le fait, pourquoi pas moi ». Et on les incite à participer justement pendant les soirées drag. »
« Au niveau quantité et visibilité, c’est sûr qu’à Strasbourg ce n’était pas la joie par rapport aux grandes villes européennes. Il faut plus de shows et dans différents clubs. Des shows plus réguliers aussi, tout en donnant la possibilité d’essayer avec des « Open Stage » (scène ouverte). Ça passe par les lieux, mais par la demande aussi. Depuis ces 6 derniers mois, on sent un peu plus la demande de ça. Je pense que ça va aller de mieux en mieux. »
Même au Spyl, pour une soirée spécifiée dragqueen, il y a des réticents. Un groupe un peu ivre tente de gâcher la fête parce qu’ils veulent danser. Faute à l’alcool et l’horaire de la performance, programmée pour le pic de la soirée vers 1h30. « A l’inverse, beaucoup de gens ne viennent pas nous voir PARCE QUE c’est en boite de nuit. Il faudrait beaucoup plus de formats, comme en afterwork, en cabaret, en diner-spectacle … et des horaires plus tôt comme en ouverture de soirée, plutôt que de la couper en deux. »
Le show est préparé en amont avec les lumières et les djs pour que ça soit le plus propre et fluide possible. Parfois, il y a des jeux en interaction avec le public comme des jeux à boire entre les chansons. « Ça nous arrive souvent de faire monter quelqu’un sur scène et d’essayer de le faire lipsyncé avec une chanson. Généralement c’est LE mec hétéro de la boite venu accompagner sa copine… C’est pour le dévergonder un peu mais il est souvent gêné ! »
Amanda donne quelques règles pour ceux qui veulent assister à un show : « donne de l’attention à la personne sur scène. Elle a passé du temps à se préparer et à préparer son show. Ne reste pas sur ton portable ou dos-tourné à elle. C’est elle qui a le micro, et elle n’hésitera pas à te rappeler à l’ordre devant tout le monde… Donc Pay Attention ! »
« Il faut continuer à venir et à faire vivre cette scène grandissante. Si vous voyez des drags, n’hésitez pas à leur poser des questions. Elles seront plus de contentes de vous expliquer pourquoi elles font ça. On a l’air impressionnantes, grandes, un peu « bitchy », ça brille de partout… mais toujours prêtes à expliquer notre pratique, avec pédagogie si besoin. »
Il ne faut pas tout mélanger. Moi je fais ça, je suis payé. Point. C’est du spectacle, une prestation.
Nordine et Logan, même sous les traits de leurs personnages, ne se sentent pas dragqueen à proprement parler
Isahk Noxïma Marley (Nordine) et L-Ïxyr (Logan), les copines de scène d’Amanda LaGrande (Nicolas), s’habillent en drag pour les mêmes raisons (ça leur plaît), mais pas forcément dans le même but. Encore aujourd’hui, se travestir, se changer dans le genre opposé (ou en autre chose) peut être encore être perçu comme engagé. Mais pour eux, c’est uniquement dans le cadre d’une soirée. « Je ne fais pas de la politique. En boite de nuit non, c’est du divertissement. Dans un cabaret, plus officiel comme on a pu le faire à l’Aubette dans le cadre de l’Exhibitronic, ça l’est un peu plus, mais ce n’est vraiment pas le but principal.
Quand je me balade en ville avec le makeup, je le fais totalement librement à n’importe quelle heure. C’est une confiance en soi à avoir. La rue, je l’ai traversée en talon en 1991, ce n’est pas maintenant qu’on va m’arrêter. Au pire, j’assume, je peux taper aussi hein. Mais à l’heure d’aujourd’hui ça ne m’est jamais arrivé. Une seule fois, je me suis énervé au tram Dante, vers Hautepierre, avec des gars du quartier que je connaissais. Aujourd’hui, quand je croise ce monsieur dans la rue, il me dit bonjour. Perso, j’ai l’impression qu’on est déjà bien accepté dans le monde de la nuit. Je comprends celles qui militent, mais en journée tu ne vas pas te balader en drag ce n’est pas l’idée. Et en soirée, même dans des grosses soirées hétéro, on ne choque plus, on est très bien accepté.»
Nordine, actuellement dans la restauration, a commencé à faire du drag dans les années 90. Il a du arrêter à cause de problèmes familiaux, avant de reprendre récemment. « Ça a pris du temps, mais, il y a une vraie demande. A l’époque, elle était déjà là, avec le MonteCarle à la Petite France, il y avait des shows transformistes et de dragqueen, mais c’était plus des gogo-dancers que des showgirls. Aujourd’hui, tu ne peux pas arriver sur un podium, et juste faire des mouvements de voguing (danse). Il y a une réelle évolution artistique. L’influence de la scène américaine fait que c’est plus pointu qu’avant. »
J’ai connu les débuts des drags en France. Entre Paris et Strasbourg, il y a 20 ans, il fallait que je travaille dans le milieu de la nuit. J’ai commencé comme GogoDancer. Quelques drag queens passaient en soirée. En voyant ces gens maquillés qui se donnaient en spectacle, j’étais attiré. J’ai commencé à me makeuppé tout seul et à les suivre.
Je suis tombé nez-à-nez avec des gens de ma famille en boite. Ça dérangeait. A cause de ça, j’ai dû arrêter, mais je savais que je reviendrais… et ça s’est fait 20 ans après (hors quelques apparitions sporadiques). Quelqu’un m’a cherché pour une troupe dans laquelle je jouais un personnage qui n’était pas un drag, mais qui était un garçon sur scène qui voulait des plumes et du maquillage. On a fait des sketchs, la troupe s’est dissolue après 1 an… Une des personnes de la troupe est venue vers moi pour le projet de la Pépinière (avec les tremplins aux Savons d’Hélène). J’étais le meneur de revue de ce spectacle avec mon personnage un peu queer, gardant son bouc, ses plumes etc. Comme ça est né Isahk !
Avec ma carrure et mes traits, on voit que je suis un mec. Je ne mets pas de robe, pas de seins. Je ne voulais pas un nom de meuf, alors j’ai pris le nom de mon chat. Noxima vient de Noxeema Jackson, du film Extravagance. Dedans, il y a Wesley Snipes et Patrick Swayze en dragqueen. A voir. Et Marley parce que… je suis la cousine cachée de Bob Marley bien sûr.
Nordine et Logan, à la différence de Nicolas (AmandaLaGrande), ne se considèrent pas totalement dragqueens. Logan est comédien dans la vie de tous les jours (théâtre, ateliers etc), le dragqueen lui permet une prestation supplémentaire, dans un milieu et une culture qu’il affectionne.
Pour Logan, la dragqueen a vraiment évolué depuis 20 ans: « Avant c’était un personnage de soirée, aujourd’hui, c’est un business et même mainstream, peut-être moins engagé, secret et alternatif qu’à l’époque. D’un autre côté, il y a une grande liberté et chacun peut développer ce qu’il veut. Avec Nordine, on ne suit pas trop les règles classiques du milieu.
« C’est une envie de spectacle à la base. J’ai commencé le drag à 19ans, bien avant le théâtre. A la base je suis maquilleur. J’avais les techniques et un jour j’ai commencé à les appliquer sur moi. En cachette au début, c’était encore un peu tabou. Petit à petit, j’ai trouvé ma patte et mon personnage a bien évolué avec. Je suis parti de quelqu’un de très féminin pour aller vers quelque chose de plus androgyne et queer. J’avais envie de développer cette sensibilité féminine au début, mais elle s’est assez vite calmée. Dans l’essentiel, c’est l’envie de faire rire les gens, leur faire passer un bon moment, les émouvoir… Maintenant, avec les copines, on a une vraie dynamique.
L-Ïxyr, c’est par rapport aux chromosomes, le mélange de genres et des cultures aussi: « j’adore les influences orientales, d’où les turbans, l’esthétique vaporeuse. Mon personnage est sulfureux au regard perçant, il parle ouvertement de sexe, c’est Logan puissance 1000. C’est tout ce que je peux m’interdire dans mon quotidien par inhibition.
« Je porte une attention particulière au playback. C’est très important. Les gens regardent beaucoup le visage. Transmettre une émotion par ce biais là c’est assez compliqué, j’aime bien le travailler. La gestuelle et la danse aussi. Ces affinités m’ont par la suite amené au théâtre assez naturellement. J’essaie de faire la convergence maintenant entre mes deux pratiques et mon personnage drag gagne de ma pratique du théâtre. Plus de corps, d’âme, plus de voix avec quelque chose à dire et pas seulement une figure plastique qui fait du playback.
Nordine non plus ne veux pas être assimilé à une drag qui fait uniquement des shows lipsync à l’américaine. « Je m’en inspire bien sûr, et c’est génial, mais je cherche plus à être un meneur de revue, un maître de cérémonie. Le personnage ne se réserve pas au show, il vit réellement en tant que tel.
Dans le Grand Est, pour Nordine et Logan, on est lent. « On essaye de faire bouger ça. Certains arrivent à se dire que c’est un métier désormais. Les “balls” et le “vote” sont des éléments mythiques de la culture. Je trouve ça bien de faire participer le public. Il y a toujours des spectateurs qui voudraient s’y essayer. Là, c’était l’occasion, et ça a bien pris ! Les gens jouent le jeu, et en dehors du drag, les gens se maquillent, se déguisent de plus en plus. On va réitérer ça, faire des trophées etc… Ça va peut-être créer une vraie culture, une vraie scène, même s’il faut qu’il y ait des clans qui en sortent… On me demande déjà le thème de la prochaine ! En janvier, ça sera « glacial »…»
Une scène qui poursuit son nouvel essor, mainstream ou underground
D’ici là, plusieurs autres soirées dragqueen auront lieu à Strasbourg, certaines paraît-il dans des lieux plus secrets que le Spyl pour préserver un espace de liberté et de sécurité.
Si une bonne partie de la communauté cherche à se montrer presque de manière ostentatoire, toutes les personnes issues de la culture drag ne cherchent pas à se dévoiler au grand public et souhaitent garder un certain anonymat, contrairement à nos quatre protagonistes interrogés ici, Isahk Noxïma Marley, L-ïxyr, Amanda LaGrande et Titia qui ont accepté de répondre à nos questions.
Le projet La Pépinière par exemple, organise le vendredi 7 décembre avec une scène Ouverte ” La pépinière fait son noel” aux Savons d’Hélène où Isahk Noxïma Marley sera présent comme meneur de revue, c’est lui qui organise. Un spectacle entier “entre performances burlesques, danse et show drag-queen” aura également lieu en février prochain au Spyl.
Photos, audio et texte: Martin Lelievre pour Pokaa.fr
Bonjour j’aimerais devenir dragqueen
Ou de temps en temps en travestis également.
Pouvez-vous me conseiller ou bien me diriger dans un établissement
Cordialement Mr Colleaux David