Si Strasbourg a sa cathédrale, majestueuse et imposante, le petit village de Herrlisheim dans le Bas-Rhin a lui aussi son totem : un lieu de culte monumental aussi spectaculaire qu’étonnant. Petite perle architecturale presque cachée, bijou controversé de l’art sacré, on vous embarque avec nous pour une visite guidée de l’église Saint-Arbogast.
Bourgade de 5 000 âmes située au coeur du Pays Rhénan, Herrlisheim est un village alsacien situé à 30 minutes de Strasbourg.
C’est au milieu de ce petit bout de Grand Est, tout proche du Rhin, qu’un édifice assez singulier se dresse depuis 1968 : une église de béton à l’architecture unique en son genre. Mais avant de vous parler de ses attributs, faisons un petit voyage dans le passé.
Au XIVe siècle, une église paroissiale de style néo-classique était érigée au coeur du village. Abimée par le temps, elle fut reconstruite au XVIIIe siècle (voir la photo d’archive juste en-dessous), puis classée aux Monuments historiques bien plus tard, en 1932.
Le village de Herrlisheim ayant été presque totalement détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, l’église fut elle aussi détruite en 1945. D’ailleurs, le monument aux morts, érigé sur le parvis ouest de l’édifice, a été construit avec un morceau de la colonne de grès rose de l’ancienne église. Tout un symbole.
Après la guerre, grâce à la résilience des pouvoirs publics et des populations, couplée à l’inventivité et à l’audace des architectes de l’époque, le site fut protégé, et une campagne de reconstruction fut alors lancée. La nouvelle église Saint-Arbogast et son clocher en béton de 40 mètres furent érigés à partir de 1965, puis consacrés en 1970.
Depuis, c’est un édifice au style plutôt étonnant, et surtout osé pour l’époque, qui trône fièrement au milieu du village, et il fait désormais définitivement partie du paysage de la commune.
Une église catholique qui casse les codes, entre tradition et modernité
Lorsque l’on se promène dans les rues de Herrlisheim, et que l’on croise le clocher en béton de l’église Saint-Arbogast pour la première fois, on est toujours un peu surpris(e). Pourquoi ? À cause de son allure singulière et d’un design qui est unique dans la région.
Représentation architecturale inédite de l’édifice sacré, entre tradition chrétienne et modernité, les architectes Monnet Bertrand et Guri Fernand ont signé là une véritable prouesse technique que les amoureux/ses d’architecture trouveront peut-être à leur goût.
D’un style moderne affirmé, mais surtout brutaliste, l’église comporte plusieurs volumes additionnés les uns aux autres, parfois croisés, et sa construction n’a pas été chose facile, puisqu’il a fallu plus de trois ans de travaux pour l’achever.
Rien qu’en observant la façade, on peut penser que les bâtisseurs/ses n’ont vraiment pas cherché la facilité. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Réalisée à partir de bois, et également composée partiellement de galets ramassés dans le Rhin, c’est l’utilisation du béton brut en quantité qui dénote et surprend dans cette église. En utilisant ce matériau, et en élevant le clocher aussi haut au milieu du village, l’architecte Bertrand Monnet a souhaité proposer un projet « en rupture complète avec l’architecture religieuse traditionnelle ».
On peut aussi imaginer que le duo d’architectes et les bâtisseurs/ses ont probablement souhaité montrer leur capacité à reconstruire, mais aussi à imaginer ainsi qu’à créer de la surprise et du spectaculaire après une guerre qui a laissé des traces, dans le village et dans les mémoires.
L’église Saint-Arbogast de Herrlisheim : une œuvre sacrée complète
Lorsque l’on entre dans l’enceinte du bâtiment, on comprend que l’édifie a été pensé pour devenir une œuvre sacrée complète, et chaque détail a son importance.
Tout d’abord, on remarque que le décor est dénué de toute iconographie religieuse, et que l’intérieur est épuré, probablement pour que notre regard porte sur les vitraux qui sont également une œuvre d’art sacrée à part entière. Imaginés comme une suite de plans successifs abstraits de plusieurs mètres de haut, les 650 m2 entourent la nef centrale et dispersent une lumière colorée délicate à travers l’immense l’espace réservé aux fidèles.
D’ailleurs, hasard ou non, l’église a été pensée pour accueillir exactement 650 personnes, chacun(e) peut donc (en théorie) avoir son propre coin de lumière.
On remarque aussi que la plupart des lignes et des points de fuite font porter notre regard vers l’autel central, et même l’inclinaison du sol lui donne l’impression d’être sur un piédestal.
D’ailleurs, tous les volumes ont été pensés par les architectes pour donner un effet de perspective, et nos yeux convergent presque naturellement vers ce monument sacré imaginé par l’artiste plasticien Philippe Kaeppelin.
L’autel du Saint-Sacrement, installé dans la partie arrière de l’église, a quant à lui été réalisé par l’artiste sculpteur Louis Emmanuel Chavignier, et la cuve baptismale par Irène Zack, deux grands noms du design et de l’architecture contemporaine.
Enfin, dans un style plus classique, mais tout aussi sobre, un grand orgue est installé dans l’espace réservé aux choristes de la paroisse, une pièce surélevée d’où se diffusent les plus belles voix du village et de ses alentours.
Que l’on soit croyant(e) ou non, sensible à l’architecture ou à l’histoire, l’église Saint-Arbogast de Herrlisheim et son style brutaliste, si cher à Le Corbusier, reste un édifice remarquable et unique en son genre qui mérite le détour.
Avec ses volumes angulaires, son gigantisme et sa modernité assumée, on peut estimer que les architectes, et celles et ceux qui ont validé le projet dans les années 60, ont fait preuve d’une certaine audace qui, on l’imagine, a certainement fait parler dans les chaumières.
[Article dédié à mon grand-père, Charles Herrmann, qui a donné sa voix pendant 60 ans pour la chorale de l’église et sa paroisse, ndlr.]
