À Neuwiller-lès-Saverne, le centre de soins du Groupement ornithologique du refuge Nord-Alsace (Gorna) accueille chaque année plus de 2 000 animaux sauvages blessés par le voisinage des humains. Oiseaux et mammifères y sont patiemment remis sur pied pour pouvoir être relâchés dans leur milieu naturel. Reportage.
Dans la salle de soins du Gorna, Graziella Tenin examine silencieusement la chouette hulotte immobilisée par sa collègue. L’animal ne bronche pas lorsque la soigneuse approche une compresse de son œil crevé pour désinfecter la plaie qui peine à cicatriser.
Mais la professionnelle ne s’y trompe pas : « Si l’animal ne réagit pas, ce n’est pas forcément parce qu’il se sent bien. Au contraire, c’est souvent une réaction liée au stress. » Un coup d’œil plus attentif permet en effet de noter la respiration accélérée du rapace, pressé d’en finir avec ce moment.
Sur la console de la petite salle, une demi-douzaine d’animaux attendent leur tour dans des cages de transport isolées du bruit et de la lumière, en ce matin d’automne. Un hérisson, un hibou moyen-duc, une jeune tourterelle à l’aile fracturée, une chauve-souris… Certains resteront encore quelques jours à l’intérieur, dans le halo d’une lampe chauffante, pour les aider à se remettre du choc et du stress de leur arrivée. D’autres termineront en revanche leur journée dans l’un des nombreux enclos du site.
Une infirmerie sur un hectare
Installée à la maison forestière du Loosthal depuis 2003, cette arche de Noé des temps modernes est bien plus ancienne. « Le Groupement ornithologique du refuge Nord-Alsace (Gorna) est une association reconnue d’utilité publique qui a vu le jour en 1982, retrace Graziella Tenin, responsable de la structure. Elle a été fondée par un groupe de passionnés des rapaces, désireux de les protéger à une époque où il n’existait pas de législation de protection de la nature. »
Au fil des années, le centre s’est agrandi pour pouvoir accueillir tous types d’oiseaux et quelques espèces de mammifères. Il s’étend aujourd’hui sur un hectare, en lisière de forêt, à Neuwiller-lès-Saverne, et accueille de plus en plus d’animaux chaque année. « Quand je suis arrivée il y a 14 ans, nous avions environ 800 admissions par an. En 2024, nous avons dépassé les 2 000 en septembre », poursuit Graziella Tenin.
Pour la soigneuse, plusieurs facteurs expliquent cette hausse. La destruction toujours plus importante des écosystèmes d’une part, et une meilleure sensibilisation du public d’autre part. « Maintenant, avec les réseaux sociaux, les gens nous trouvent rapidement. Ils savent qu’ils peuvent nous amener les animaux immédiatement là où ils avaient parfois tendance à les garder auparavant. »
Un métier non reconnu
En cas de rencontre avec un animal blessé, le centre recommande en effet de les appeler immédiatement, puis de se protéger avant de le placer dans un carton aéré, au calme, pour l’amener au Gorna le plus rapidement possible. Il est déconseillé de lui donner à boire ou à manger – « ce n’est pas une urgence vitale », insistent les soigneuses, qui ne manquent pas d’histoires de malnutrition de la part de gens qui « voulaient bien faire. »
Soigner des animaux sauvages ne s’improvise pas. Pour pouvoir prendre en charge les pensionnaires du centre, les soigneuses ont dû obtenir un certificat de capacité de détention et de réhabilitation de la faune sauvage. « Il faut deux ans d’expériences avec les animaux dont on prétend vouloir s’occuper et 50h de formation », détaille Grazialla Tenin, habilitée à prendre soin des oiseaux européens et des mammifères métropolitains.
« En plus, le métier de soigneur n’existe pas. Ce n’est pas reconnu », poursuit la responsable, qui s’est familiarisée avec la profession en travaillant avec des cliniques vétérinaires et des parcs zoologiques avant de travailler en centre de soins.
Elle poursuit : « Ici, nous avons trois salariés à temps plein, une personne à mi-temps et un saisonnier pour la grosse période d’admission, d’avril à septembre. » Les « capacitaires » peuvent prodiguer aux animaux des soins infirmiers. Mais en cas de blessures graves ou nécessitant des traitements, l’équipe fait appel à deux vétérinaires bénévoles installés dans le nord de l’Alsace.
Les humains, mauvais voisins
Les soins terminés, Graziella Tenin fait volontiers visiter le centre et ses différents enclos adaptés à tous ses pensionnaires. Cigognes, chats forestiers, pigeons ramiers, faucons, écureuils, chauve-souris… de nombreuses espèces sont représentées. Le ratio d’accueil est d’environ 70% d’oiseaux pour 30% de mammifères, dont 70% de hérissons. Les dernières installations ayant vu le jour leur sont d’ailleurs dédiées.
« Dans 80% des cas, les admissions sont liées aux activités humaines », détaille la soigneuse. Des collisions avec des vitres, des poteaux ou des voitures. Des tailles de haies à la mauvaise saison. Mais aussi des prédations d’animaux domestiques tels que les chats ou les chiens, dont les marques sont assez caractéristiques. Le centre leur prodigue les premiers soins puis les accueille le temps de leur convalescence. Le plus souvent, quelques semaines. Parfois, quelques mois.
Protéger le sauvage
Hors de question de les garder en captivité : l’objectif est de pouvoir les relâcher dans leur milieu naturel. « Un animal sauvage doit rester sauvage », pose Graziella Tenin, qui préfère un pensionnaire qui lui crache dessus à un animal trop habitué à l’humain. Environ 60% des accueillis peuvent ensuite regagner leur liberté. Ceux qui sont trop malades ou blessés pour pouvoir survivre en milieu naturel sont euthanasiés.
« Ce n’est jamais une solution de facilité, explique la responsable avec gravité. Et ce n’est pas pour faire de la place, comme l’imaginent parfois certaines personnes. Mais si nous avons choisi de faire ce métier, c’est pour pouvoir relâcher les animaux. C’est notre raison d’être. »
Graziella se souvient du moment où elle a choisi de travailler en centre de soins. Tout s’est joué lors d’un stage, quand elle a pu rendre leur liberté à des animaux dont elle s’était occupée. « J’ai eu le sentiment que les choses retrouvaient leur place. » « Voir un animal retrouver sa liberté après des soins, c’est une émotion difficile à décrire », témoigne de son côté sa collègue, Coralie Le Fahler.
C’est une question de rapport au sauvage. « Un animal qui n’a jamais connu la captivité peut se laisser complètement dépérir », reprend Graziella Tenin, pour qui ce n’est pas une solution. Même si elle comprend que cela pose beaucoup de questions.
Pas d’inquiétudes pour la chouette hulotte cependant. « Les rapaces chassent à l’ouïe. La perte d’un œil ne devrait pas l’empêcher de se chasser et de se nourrir. » Bientôt, elle pourra profiter d’une des grandes volières de rééducation pour se remuscler à son rythme.
Arrivée au fond du parc, Graziella Tenin montre les larges espaces encore disponibles pour pouvoir accueillir de nouvelles infrastructures. Ce n’est pas la place qui inquiète la responsable, mais les ressources de la structure. « Nous recevons des subventions de la Région Grand Est et de l’Eurométropole de Strasbourg, mais cette dernière a tendance à baisser. »
Bien que sa mission soit reconnue « d’utilité publique », l’association ne touche pas un centime de l’Etat. « La majorité de nos financements viennent de dons d’entreprises privées ou de particuliers, explique la responsable. Les gens sont généreux. »