Qu’on ne vous prenne pas à perfectionner votre dos crawlé dans l’Ill, l’amende serait salée. Depuis plusieurs décennies maintenant, la baignade dans la rivière strasbourgeoise est strictement interdite. En cause ? L’évidente pollution, les courants insoupçonnés et la navigation de bateaux, qui rendent toute tentative pour le moins risquée. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Qu’il s’agisse de l’Ill, de l’Aar ou même du Rhin… avant, on se baignait à l’aise.
« Alexis, j’y suis ! Elle est douce ! Elle est DOUCE ! »
Ces mots, accompagnés d’un hurlement qui rendrait jaloux le bruit d’une craie sur un tableau noir, font un peu partie de la bande originale de notre été, bercé par les JO de Paris. On parle bien de l’ancienne ministre Amélie Oudéa-Castéra, glissant dans la Seine au petit matin afin de persuader des Français(es) un poil sceptiques que oui, c’est possible.
L’idée vient de loin. Avant d’être président puis égérie de t-shirts et tote-bags, Chirac vise déjà la trempette dans la Seine au milieu des années 70. Et il faut dire que ça excite aussi les imaginaires, si bien qu’au printemps dernier, Netflix s’offre même un succès inattendu en imaginant un requin dans la Seine.
Si nager dans les rivières urbaines et les fleuves de nos villes nous obsède à ce point, on peut se demander ce qu’il en est à Strasbourg. Est-ce qu’on nage dans l’Ill ou le Rhin ?
Oui, si vous avez le poil brun et dru, que vous pesez environ huit kilos, que vous êtes dotés de doigts postérieurs partiellement palmés, d’une queue de 40 centimètres et de dents orange fluo, parce que vous n’êtes rien d’autre qu’un gros ragondin. Sinon, non.
Et avant ? Est-ce qu’on nageait dans l’Ill ou le Rhin ? Bieeeeen sûr que oui ! Et on vous montre juste ici à quoi ça pouvait bien ressembler.
Les bains du Herrenwasser
Dès le début du XIXe siècle, les bains du Herrenwasser constituent un des spots de baignade les plus prisés des Strasbourgeois(es). Encore aujourd’hui, beaucoup d’habitant(e)s se souviennent des longues journées d’été dans la fraîcheur de l’Ill. Sur les réseaux sociaux, des internautes partagent leurs souvenirs de ces berges et livrent des témoignages souvent teintés d’émotion.
Beaucoup associent à ce lieu leur apprentissage de la baignade, une habitante du quartier se souvient y avoir fumé sa première cigarette, au son des Stones. Le redoutable pont du chemin de fer fait alors office de plongeoir pour les ados les plus téméraires et chaque jour, à 16h pétantes, les enfants s’accrochent au bateau qui passe systématiquement avec sa cargaison de graviers.
Cette parenthèse d’un siècle et demi de trempette s’achève en 1971, lorsqu’il est décidé d’y interdire la baignade à cause de la pollution de l’eau. Si beaucoup regrettent encore cette décision, les Bains du Herrenwasser auront tout de même eu le temps de marquer plusieurs générations de Strasbourgeois(es).
Les bains Mathis
De la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 60, les Strasbourgeois(es) se baignent à l’ombre des ponts couverts. Si aujourd’hui, on a un peu de mal à imaginer faire trempette dans ce cadre d’exception, beaucoup ont eu cette chance.
Deux bassins, des cabines pour se changer, des pontons… Bref, un lieu incontournable d’un Strasbourg révolu, bercé par de beaux moments de joie.
La candeur qui se dégage de ces souvenirs s’explique par l’âge des témoins du lieu : beaucoup se rappellent des bribes d’enfance et associent les bains Mathis à la passerelle qui serpentait sous les ponts couverts, retirée à peu près à la même époque. En été, on s’amusait aux bains tandis qu’en hiver, la passerelle, pourtant décrite comme branlante par beaucoup, servait de piste de luge aux enfants du quartier.
Une notion du danger bien personnelle.
Les autres bains de Strasbourg et ses alentours
À l’époque, chaque quartier a ses bains. Au Neudorf, on se baigne au Ziegelwasser, au bord de la rue des Corps-de-Garde. Là encore, des cabines en bois pour se changer, un petit ponton et le tour est joué.
On retrouve également des traces des bains Mollard sur le quai Finkwiller, des bains Weiss le long du quai Zorn, des bains le long de l’Aar à Schilick, ou encore de quelques lieux dédiés à la baignade directement au bord du Rhin.
Si à cette période, chaque quartier a son bain de rivière, l’objectif n’est pas tant d’avoir une dolce vita strasbourgeoise à base de doigts de pieds en éventail avec les ragondins.
On le sait, avant les réaménagements du XIXe et du début du XXe siècle, la ville est carrément insalubre. Plusieurs articles évoquent ainsi les fonctions variées de ces installations, car les bains ont plusieurs objectifs : sanitaire, éducatif… et tout de même de loisir. Dans certains bains, comme ceux de l’Aar ou dans le secteur Finkwiller, on a même un emplacement pour laver les chevaux. L’aspect pratique avant tout.