Samedi 23 novembre, la France célébrera les 80 ans de la Libération de Strasbourg. Un devoir de mémoire, notamment visible toute l’année au Port du Rhin, à quelques mètres de la frontière allemande, où un char de la Seconde Guerre mondiale baptisé « Cherbourg » est installé là où est mort Albert Zimmer, un résistant alsacien et combattant de la deuxième division blindée.
Dettwiller, 22 novembre 1944, 21h. Dans le restaurant Au Tonneau d’or, un jeune soldat de 22 ans fête son retour en Alsace. Pour la première fois depuis trois ans, il foule le sol de sa région natale. Mieux : les ordres du général Leclerc viennent de tomber et Albert Zimmer participera le lendemain, aux commandes de son char baptisé « Cherbourg », à l’attaque de Strasbourg.
Il vient même d’obtenir de son chef une permission pour rendre visite à ses parents à La Wantzenau à la fin des combats. Mais, dans moins de 24 heures, le maréchal des logis Zimmer sera mort, tué dans les combats pour la Libération de Strasbourg.
Une jeunesse percutée par la guerre
Albert Zimmer est né à La Wantzenau en 1921. Bon élève et fils d’une famille de restaurateurs/rices, il suit des études à l’école hôtelière de Strasbourg. À la rentrée 1939, il s’apprête à rentrer au Ritz à Paris, mais Hitler décide d’envahir la Pologne et la vie du jeune homme va s’en trouver bouleversée.
Comme 370 000 alsaciens, Albert doit quitter sa région. Début septembre, sa famille est évacuée vers Dreux en Eure-et-Loire, pour éviter que les habitant(e)s des villages situés sur la frontière ne soient pris dans les combats.
La guerre va pourtant les rattraper, et au printemps 1940, la famille doit prendre les routes de l’exode face à l’avancée de l’armée allemande. L’armistice signé et l’Alsace annexée, la question du retour se pose. Les Zimmer font le choix de rentrer à La Wantzenau pour reprendre leur activité de restaurateurs/rices. La famille retrouve donc le restaurant et découvre une Alsace où flottent désormais les croix gammées…
Chanter la Marseillaise et tabasser des nazis
Trop jeune pour faire la guerre côté français, Albert Zimmer arrive à l’âge où il risque de la faire côté allemand. Si l’incorporation de force des Alsaciens et Mosellans ne sera décidée qu’en août 1942, le régime nazi ne cache pas sa volonté d’envoyer les jeunes alsaciens se battre pour le Reich.
Dès 1941, le Reichsarbeitsdienst (RAD), ou service du travail national, est rendu obligatoire pour les jeunes en Alsace-Moselle. Il s’agit d’une période de travail de six mois dans un cadre militarisé destiné à préparer le service militaire.
Cette décision va pousser nombre de jeunes alsaciens à rentrer activement en résistance. En mars 1941, Albert Zimmer intègre le groupe de résistants Meteor, imaginé par des étudiants de l’école d’ingénieurs de Strasbourg. La petite équipe se fixe pour mission de mener des actions de propagande anti-nazis. Elle imprime des tracts pour les distribuer sous le manteau.
Pendant quelques mois, les jeunes réussissent à passer sous le radar des autorités, si bien que le 13 juillet 1941, ils décident de célébrer la fête nationale en plein Strasbourg. Vers minuit, au sortir d’une brasserie, voilà Albert et ses camarades, chantant à pleins poumons La Marseillaise au pied de la cathédrale.
Attirée par le raffut, une section des jeunesses hitlériennes leur tombe dessus, la bagarre s’engage. Si l’un des résistants est blessé, la petite équipe semble avoir eu le dessus, tous parviennent à rentrer chez eux.
Trois ans, quatre mois et huit jours d’exil
De retour à La Wantzenau après son équipée nocturne contre les nazis, Albert Zimmer fait le choix de l’exil pour fuir la répression qui s’annonce. Dès le lendemain, le 14 juillet 1941, il quitte son domicile sans même un au revoir à ses parents. Il craint, en effet, que ces derniers ne soient inquiétés (dans le cas où ils seraient au courant de son évasion d’Alsace).
Il rejoint une filière de passeurs qui le mène en France par le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, et passe en zone « libre », caché dans un wagon de charbon. Le 23 juillet, il est à Lyon, rejoint Marseille et s’engage dans l’armée française.
Albert Zimmer est envoyé en Afrique pour servir dans l’armée fidèle au maréchal Pétain. Mais en novembre 1942, le débarquement des Américains en Afrique du Nord fait basculer ces troupes dans le camp de la France libre. L’unité d’Albert devient le 12ᵉ régiment de cuirassiers. Équipé en chars par les Américains, il est intégré à la deuxième division blindée (2ᵉ DB) commandée par le général Leclerc. En avril 1944, elle est envoyée en Angleterre en vue du débarquement.
Le 2 août, Albert Zimmer débarque en Normandie avec son char. Dès le 9, c’est le début des combats pour la libération de la France. Avec son unité, ils poursuivent l’armée allemande en déroute à travers le pays, libèrent Alençon puis Paris. En septembre-octobre, il est en Lorraine, face à des Allemands déterminés à bloquer l’avancée alliée au niveau des Vosges. Le 31 octobre, la 2ᵉ DB prend Baccarat, Strasbourg n’a jamais été aussi proche.
Quinze jours plus tard, l’offensive alliée reprend vers l’est. Le 19 novembre, le groupement Rouvillois perce les défenses allemandes à Oberstinzel en Moselle, fonce à travers les Vosges du Nord pour prendre les défenses de Saverne à revers. Nous sommes le 22 novembre 1944, Albert Zimmer retrouve l’Alsace après trois ans, quatre mois et huit jours d’exil.
« Tissu est dans iode »
23 novembre 1944, 7h15. La 2ᵉ DB se lance à l’assaut de Strasbourg. Le groupement Rouvillois attaque par le nord, son objectif : Mommenheim, Brumath, Schiltigheim puis enfin Strasbourg. Les défenses de Mommenheim sont rapidement percées par les blindés français. La colonne s’élance vers Strasbourg et ne rencontre que peu de résistance. En effet, la Wehrmacht ne s’attend pas à une attaque vers la capitale alsacienne.
À 8h45, Albert Zimmer et ses camarades sont déjà dans Schiltigheim. Dans les rues, les fonctionnaires du Reich qui se rendent au travail sont saisis de stupeur à la vue des chars français. La traversée de la ville se fait au pas de charge, au milieu des Allemand(e)s qui tentent de fuir en tous sens. Trente minutes plus tard, les Français sont place de Haguenau et le commandant Rouvillois envoie le message « tissu est dans iode », code signifiant : nous sommes dans Strasbourg.
Pas le temps de marquer une pause pour se satisfaire de ce moment historique, les Français reprennent leur avancée dans Strasbourg. À la pointe de l’attaque, Albert Zimmer emprunte la rue du Faubourg-de-Pierre où un camion de munitions explose et détruit deux immeubles.
Puis c’est la rue de la Nuée-bleu, la rue du Dôme, la place d’Austerlitz et enfin la place de la Bourse. Partout, les Allemand(e)s sont pris de panique, fuient ou se rendent. La colonne de blindés se dirige alors vers Kehl et prend position à l’est du Neudorf, sur le pont qui enjambe le canal du Rhône au Rhin.
Voir le Rhin et mourir
Entre 10h et 15h, Albert Zimmer garde le pont du canal à l’est du Neudorf. Il profite de cette pause pour tenter de joindre sa famille à La Wantzenau, saute de la tourelle de son char, s’engouffre dans une brasserie et passe un coup de fil. Sans succès.
Qu’à cela ne tienne, il explique à ses camarades que la surprise n’en sera que plus grande ce soir quand il pourra les retrouver. Pourtant, la guerre n’est pas finie, de l’autre côté du canal, sur la route de Kehl, l’armée allemande a pu se réorganiser. Elle vient de perdre Strasbourg, elle ne veut pas courir le risque de voir les alliés franchir le Rhin à Kehl.
À 15h, l’attaque vers Kehl reprend. Les Français progressent de quelques centaines de mètres jusqu’au pont du Petit-Rhin. La résistance des Allemands est féroce, les bâtiments industriels doivent être nettoyés un par un. L’artillerie rentre en action. 16h, nouvel assaut vers le quartier du Port du Rhin. Albert Zimmer aux commandes de son char « Cherbourg » passe le pont sous la voie ferrée Strasbourg-Kehl, s’engage sur la route du Rhin pour appuyer l’infanterie qui progresse dans le quartier d’habitation.
La situation est chaotique, c’est une pluie de balles qui accueille les Français dans leur progression. Soudain, un projectile antichar part de l’entrée de l’école et touche le « Cherbourg » au niveau de la tourelle. Explosion, fumée. Rapidement, l’équipage sort du blindé en feu. Le tireur du char a la main arrachée et un œil crevé, les autres sont en état de choc.
Le pilote du « Cherbourg » hurle : « Zimmer est mort ! Zimmer est mort ! » Albert Zimmer vient de mourir à quelques kilomètres de chez lui, il avait obtenu une permission pour retrouver ses parents le soir même. Il avait 22 ans.