À quoi ressemble le quotidien d’une artiste qui transforme les plumes d’oiseaux en créations et en compositions ? Comment accède-t-on à un métier si rare ? Lucia Fiore, artiste plumassière strasbourgeoise de 33 ans, crée des bijoux et des tableaux graphiques et colorés depuis maintenant 7 ans. Elle nous a accueillis dans son atelier partagé à Koenigshoffen, La Coterie, afin de nous éclairer sur cette pratique poétique, ancestrale et originale.
Les plumassiers et plumassières, artisan(e)s qui travaillent la matière délicate de la plume pour confectionner des costumes, de la décoration ou des accessoires, se font rares. Ils et elles sont environ une centaine en France, et seulement deux ou trois en Alsace.
L’un(e) d’entre elles/eux, Lucia Fiore, artiste strasbourgeoise de 33 ans, nous a fait visiter La Coterie, son atelier partagé depuis 2019 avec Charline, couturière, ainsi que Leslie et Cécile, toutes deux bijoutières.
Après avoir déambulé dans l’atelier commun, on suit Lucia dans son espace rien qu’à elle. Dans cette pièce boisée et colorée, des bocaux en verre abritent des plumes de toutes sortes, une bouilloire, des tamis, ou encore une petite casserole entourée de plantes posées sur le rebord de la fenêtre.
En haut des étagères, un guide des oiseaux et Le livre des symboles attirent notre regard. Des plumes aux teintes bleutées sont parsemées sur un bureau en bois où les pots sont remplis de ciseaux. Intrigant, l’univers de la plumassière nous fascine instantanément.
Lucia nous raconte : manuelle depuis l’enfance, elle a toujours su qu’elle exercerait un métier artistique. Après son bac, elle commence par un master d’Arts Plastiques au Palais Universitaire de Strasbourg, qui lui a beaucoup plu.
Alors qu’elle cherche un CAP pour se spécialiser dans un matériau, hésitant à l’époque avec le cuir, une amie bottière entre à la maison des Compagnons du Devoir à Paris, boîte rachetée par Chanel. Elle y visite tous les ateliers et y découvre la plumasserie, qui lui fait tout de suite penser à Lucia.
« Sans elle, je n’aurais sûrement jamais su que la plumasserie existait », nous explique l’artiste. Conquise, et bel et bien décidée à se lancer, elle s’inscrit alors en CAP dans le lycée professionnel Octave Feuillet à Paris, qui forme surtout aux métiers de la mode, de la couture et à de la broderie.
Un métier ancestral adapté à son propre univers
La plumasserie, savoir-faire amérindien découvert par des colons avant d’être importé en Europe, s’y est particulièrement développée via la création de chapeaux ornés de plumes, d’autruches notamment. Aujourd’hui encore, cet art mène surtout aux milieux du luxe, du cabaret et du spectacle en général.
Ces univers ne collent pas tout à fait aux envies de Lucia, qui tient avant tout à réaliser ses petites créations plutôt en solitaire. Elle s’éloigne donc bien vite de la robe et du textile en s’attelant davantage à la marqueterie, ou mosaïque, qui consiste à assembler les plumes en collage et à les retravailler, technique existant déjà chez les Aztèques.
Animée par le désir d’explorer, elle recherche des formes aléatoires en développant petit à petit un style bien à elle et ses propres formules. Ses deux activités principales sont la création de bijoux (boucles d’oreille, colliers et broches) et de tableaux, qu’elle appelle « paysages », au sein desquels elle colle des plumes sur du papier qu’elle fait ensuite encadrer. « La fabrication des bijoux se compte en heures et celle des tableaux, plutôt en jours », explique-t-elle.
Dans le milieu de la plume, les bijoux sont plus rares. D’autant plus que Lucia crée ses propres supports en bois, qu’elle ponce et découpe elle-même. Habituellement, les personnes du métier qui utilisent le bois travaillent plutôt en collaboration avec des ébénistes.
Allier minimalisme et originalité
L’artiste souhaite quitter l’aspect de la plume légère volant à l’air libre en se concentrant plutôt sur les couleurs, la profondeur, les textures et le côté pictural de la plume. « Je peux y aller à l’infini, avec le support en bois qui se fait oublier, tout fin ».
Elle crée des boucles d’oreille très graphiques aux formes originales, en demi-cercle ou en dans des formes plus octogonales. Sa particularité ? Les ronds directement à l’oreille qu’elle préfère aux boucles d’oreille flottantes, ou encore la broche.
Au fil du temps, elle s’est éloignée des plumes plus classiques et a découvert des plumes de perroquet aux subtiles nuances de bleu, qui lui ont donné l’envie de travailler le paysage pour ses tableaux. « Si je ne les avais pas eues en main, je n’aurais pas commencé à faire des montagnes ». Elles sont épaisses, s’encollent bien, ont peu de transparence.
Pour les plumes de pigeons par exemple, elle sait qu’il lui faut des plumes claires dans le fond, pour jouer avec les contrastes. Hypersensible à la nature et à des choses assez simples, elle prône le minimalisme, en laissant beaucoup de place au blanc.
Lucia aime aussi les objets existants détournés en les rendant sacrés, et le côté décalé et grotesque des figures du Moyen Âge, des petites fresques. Les naturalistes de l’époque qui ont fantasmé des animaux sont aussi une source d’inspiration.
En collaboration avec l’artiste Torkil, ils mélangent la mosaïque de plumes à la gravure, alliance assez inédite. À quatre mains, ils créent des Cynocéphales (« qui a une tête de chien »), un travail plus narratif, plus drôle, qui permet à Lucia de quitter le côté plus sérieux de ses approches personnelles.
Des plumes récupérées chez des particuliers
Si il est possible d’acheter des plumes classiques d’oiseaux de basse-cour directement dans le commerce, Lucia préfère aller les chercher elle-même chez des particuliers. Avec les années et grâce au bouche-à-oreille, elle s’est créé un véritable petit réseau. Elle tient un carnet avec les différentes façons de récupérer ses plumes, et un classeur avec toute la traçabilité.
À part des plumes de paon régulièrement ramenées de Corse par un ami, Lucia travaille essentiellement avec des plumes du coin. Elle aime cette dimension d’un territoire parcourable sans voiture, à échelle humaine, rendant selon elle sa démarche plus cohérente. « Je m’y rends seule, à vélo et en train avec mon sac à dos. Je tiens à conserver des gestes et des parcours primaires, simples ».
Elle se procure, entre autres, des plumes de pigeons de race Modène ou Cravaté, récupérées auprès de colombophiles strasbourgeois(es), des plumes noires et blanches de faisan mâle de l’espèce Lady Amherst, ou encore celles de perroquets Araruna et de perruches ondulées, vivant en Alsace.
Pour ces dernières, les plumes qu’elle récupère sont issues de la mue, durant parfois plusieurs mois. La plupart du temps, les particuliers lui mettent de côté les plumes tombées au fond des volières, et Lucia en récupère un petit sac. Plus rarement, il lui arrive d’aller les ramasser avec eux. Souvent souillées par des graines ou des bestioles, elle congèle les plumes, leur fait ensuite un petit shampoing, les sèche dans des tamis avant de les stocker dans de larges boîtes en plastique.
Un flot de techniques et d’outils propres à la plume
Lorsqu’elle les sort de leurs boîtes, les plumes n’ont pas forcément leur forme idéale. Lucia les rouvre grâce à l’utilisation de vapeur, afin de mieux les redéployer. Pour cette étape, l’artisane travaille avec une bouilloire.
« Pour les petites plumes, ça fait le travail au-dessus de la vapeur, et quand c’est des grandes plumes, je les passe une à une afin de mieux les coiffer ». Elle affine l’arête centrale (appelée la cote) des plus grandes à l’aide de son couteau à parer. Puis, elle les encolle avec une colle blanche qui devient transparente lui permettant ensuite de redécouper dans la plume et les laisse sécher.
Enfin, elle manie les barbes pour leur donner des formes « moins autoritaires, moins rangées » qu’à leur origine.
Comme outils, Lucia utilise une pince, extension des doigts pour attrapper les plumes et mieux diriger les petites choses, des ciseaux, son couteau à parer, un outil pour encoller, et même un couteau à friser pouvant servir à boucler des plumes.
Une fois sa palette de couleurs et de formes sous les yeux, Lucia agence le paysage de ses tableaux. Elle compose, prend une photo, redécompose. « C’est comme un petit puzzle, mais les choix sont infinis ». Quand elle décide qu’il est terminé, elle fait un jeu de calque dans l’ordre défini au préalable, en partant toujours de derrière, couche après couche. Enfin, elle colle le paysage sur son papier, puis va chez son cadreur. « Parfois, les compositions sont plus instinctives que d’autres, le temps ne s’étire pas toujours de la même façon ».
Pour les tableaux roses, Lucia utilise des plumes plutôt blanches et beiges. Afin d’obtenir un jeu d’ombres rosées, elle doit teindre ses plumes. « Contrairement à de lourdes étoffes qui prennent plein de place, on peut facilement les travailler avec une petite casserole », nous explique-t-elle.
Attachée à transformer les plumes le moins possible, cette étape fut un sacré cap à passer pour l’artiste. Juliette Vergne, designeuse textile experte de la teinture naturelle au centre Motoco à Mulhouse, l’a formée aux protocoles et aux différentes longueurs de bains nécessaires.
Si ces créations vous ont tapé dans l’œil autant qu’à nous, que vous rêvez soudainement d’offrir un bijou unique ou d’accrocher des montagnes de plumes sur vos murs, retrouvez les jolies collections fabriquées par les mains de la talentueuse Lucia sur ses réseaux !
Lucia Fiore