Si nous souffrons de la nôtre, le Maillon, théâtre de Strasbourg – scène européenne, fait lui aussi sa rentrée, et on s’en réjouit ! Pour cette saison, il nous invite à « réfléchir avec l’œil », et se conjugue en plusieurs temps forts, dont le retour – ou plutôt la suite – du festival PREMIÈRES, avec un vrai focus sur la jeunesse européenne. Mais il sera aussi foncièrement queer, féministe, et empreint de questionnements écologiques. Plus que jamais, Le Maillon vit avec son temps. Comme à son habitude, sa programmation se déclinera autour du théâtre, du cirque, de la danse, de la musique, ainsi que de la performance et d’installations. Car il y a 1001 façons d’expérimenter le spectacle vivant, au Maillon… Et surtout : 35 créations dont on te fait un tour d’horizon.
Barbara Engelhardt – sa directrice – l’annonce dans l’édito de rentrée : pour cette nouvelle saison, Le Maillon « sera riche en occasions de « réfléchir avec l’œil », selon les mots du plasticien Philippe Mayaux ».
Plus que jamais, en faisant se rencontrer les arts (théâtre, danse, performance, cirque, musique) et les générations avec des artistes émergent(e)s comme des plus installé(e)s, Le Maillon continue de parler du monde qui l’entoure, et de faire résonner les questions qui l’animent autant que nous.
Cependant, pour comprendre sa saison, commençons par la découper : Le Maillon annonce « trois points d’orgue ». Un Focus en novembre (du 10 au 18) autour de la jeune création européenne, un Temps fort en mars sur le langage (parlé, écrit, corporel), et le troisième épisode de son Paysage mai-juin avec un invité particulier.
Dans ces trois créneaux, plusieurs spectacles seront à chaque fois présentés, sous l’égide d’un même thème, autour d’une même discussion.
Et tout autour, de nombreux spectacles. Trente-cinq en tout. Et tout autant de bonnes raisons d’aller au Maillon. Présentation d’une belle saison qui démarre dès samedi 16 septembre avec Dompter les rivières, en partenariat avec Musica !
Focus sur « Premières, la suite – Jeunes scènes européenne »
Gros plan sur ce Focus : du 10 au 18 novembre, Le Maillon accueille « Premières, la suite – Jeunes scènes européennes ».
Pour celles et ceux qui s’en souviennent : entre 2005 et 2015, en collaboration avec le TNS – Théâtre national de Strasbourg, Le Maillon imagine PREMIÈRES, un festival qui promeut les talents émergents de la scène européenne.
Plus que de chercher les dernières tendances artistiques, il était (et est) question d’aller rencontrer le cœur battant de la jeunesse et de « mettre au jour des perspectives nouvelles : comment le théâtre se questionne-t-il, à l’échelle européenne ? À quelles pratiques et quelles réalités la relève théâtrale est-elle confrontée, qu’il s’agisse de les confirmer ou de s’y opposer ? » selon les mots de Barbara Engelhardt.
Huit ans après la dernière édition, PREMIÈRES revient donc, dans une version toujours plus en phase avec les préoccupations actuelles. Aujourd’hui, face à l’urgence climatique, à l’heure d’une mondialisation culturelle, « l’émergence est appelée à inventer de nouvelles méthodes de travail, à repenser les systèmes dans lesquels elle souhaite évoluer », explique la directrice.
Seront programmés quatre spectacles, dont trois premières françaises, et une installation.
Parmi les premières françaises : Sauvez Bâtard de Thymios Fountas (Grèce-Belgique), « un tribunal loufoque » où Bâtard doit se faire juger pour un meurtre qu’il n’est plus sûr d’avoir commis. On nous parle d’ « une langue rétive à toutes les règles, hétéroclite, queer et musicale » et d’une « poésie de l’étrange ».
Quant à La Taïga court, première cérémonie (Collectif La Volga), il s’agit là d’une création locale, puisqu’elle est la restitution de diplôme du metteur en scène Antoine Hespel, sorti l’an passé de l’École du TNS (section mise en scène).
Avec « les mots de Sonia Chiambretto », on y « dresse le tableau de l’aveuglement du monde, mais aussi celui d’une incompréhension entre celles et ceux qui vivent l’écroulement des équilibres et celles et ceux qui les regardent… ou pas. ». Mais nous dit-on, « la poésie n’est pas une leçon de morale pour autant : à la manière du film Don’t Look Up d’Adam McKay, l’humour aussi peut aider à ouvrir les yeux ».
Temps Fort : Langues Vivantes – « (D)écrire le monde »
Du 11 au 28 mars, place à un Temps Fort autour des Langues vivantes, avec des spectacles, des ateliers, des rencontres, des projections qui déclineront ce qu’est « (D)écrire le monde ». « Car le langage n’est pas seulement le prisme à travers lequel nous regardons le monde, mais aussi un outil pour le faire naître » écrit Barbara Engelhardt.
Parmi les nombreux spectacles de ce Temps Fort, notons Forces Vives où l’on y triturera aux côtés d’Animal Architecte, l’immense œuvre de Simone de Beauvoir.
Pour leur dernière pièce, Camille Dagen et Emma Depoid (précédemment passée au Maillon en 2020 puis 2022 avec BANDES) se plongent en effet dans le cycle des mémoires de la philosophe, essayiste, autrice et icône féministe, composé des Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses.
Avec en fond, « la quête du bonheur et l’inquiétude existentielle, l’émancipation et les pesanteurs diverses du monde. Une exploration subjective du passé, de soi et du monde, de la grande histoire – guerres mondiales, guerre d’Algérie – autant que des événements de la petite : des visages, des rencontres, des émotions ».
Paysage #3 : 10 jours avec Alexander Vantournhout
Certain(e)s l’auront déjà découvert avec SCREWS (accueilli en 2021), Alexander Vantournhout est de retour avec ses acolytes de la compagnie not standing du 29 mai au 8 juin. Avec, toujours au centre : le dialogue entre le corps et l’objet, au moyen de la danse et du cirque.
Pour ce Paysage #3, il débarque avec trois spectacles, sur dix jours de représentations…
Through the grapevine où l’artiste rencontre le danseur Axel Guérin dans un duo hypnotique ; VanThorhout, un seul-en-scène de l’artiste autour de la figure de Thor dans une scénographie/chorégraphie circulaire rappelant les derviches tourneurs… Et enfn, Foreshadow sur la notion d’équilibre et de gravité, face à la verticalité d’un mur que les acrobates réussissent à défier en travaillant de concert.
Notre sélec' : 5 spectacles qui claquent
"EXTRA LIFE" de Gisèle Vienne
Il faudra avoir le cœur bien accroché cette saison… Avec une thématique « Violences normatives, violences quotidiennes », Le Maillon annonce la couleur, et réinvite une habituée de sa programmation : Gisèle Vienne.
Après This is how you will disappear (2013), The Pyre (2014), Showroomdummies #3 (2015), I Apologize (2016), The Ventriloquists Convention (2016), Crowd (2017) et L’Étang (en 2021), elle vient présenter EXTRA LIFE, une restitution de sa résidence de recherche, réalisée au Maillon en février 2022.
Elle y fait rejouer l’incroyable Adèle Haenel – après une première collaboration dans L’Étang –, cette fois-ci accompagnée de Theo Livesey, Katia Petrowick et… D’une marionnette, objet récurrent de ses spectacles.
Sur scène, « un frère et une sœur se retrouvent au terme d’une nuit de fête, après 20 ans de séparation suite à un drame familial ». Grâce aux différents outils du théâtre, les strates des relations se dévoilent sous nos yeux et « le passé y côtoie le futur, le souvenir l’imagination ». Une pièce qui s’annonce aussi troublante qu’émouvante. À l’image de ses précédentes créations.
"Cadela Força – Trilogie chapitre 1 – La Mariée et Bonne nuit Cendrillon" de Carolina Bianchi
Coup de poing aussi… Le « Chapitre 1 » de la trilogie Cadela Força de la Brésilienne Carolina Bianchi et de sa compagnie Cara de Cavalo risque bien de remuer nos tripes. Entre théâtre et performance, La Mariée et Bonne nuit Cendrillon abordent des sujets sensibles.
Le propos ? « Dire les violences sexuelles et les féminicides, en questionnant la persistance des non-dits autant que les possibilités du récit », et « mettre au jour une mémoire de la violence », en s’attaquant au patriarcat. Le Maillon le présente comme un « spectacle à la beauté radicale ».
"Caligula" de Jonathan Capdevielle
Bouleversant dans Adishatz/Adieu (2014), revenu avec Rémi à la saison dernière (son adaptation de Rémi sans famille) Jonathan Capdevielle se penche aujourd’hui sur Caligula d’Albert Camus, au travers de ses deux versions (« l’une, plus poétique, de 1941, l’autre, de 1958, plus politique »).
Une figure détestable et insaisissable que le metteur en scène et comédien prodige (également marionnettiste, ventriloque, danseur et chanteur – rien que ça! –) tente de dépeindre. « Un être souffrant de l’état du monde, ivre d’un pouvoir politique absolu et pourtant impuissant à changer la condition humaine ». Un « spectacle inclassable », nous dit-on. De quoi attiser notre curiosité.
"Le Jardin des Délices" de Philippe Quesne
Il n’en est pas à son coup d’essai : Philippe Quesne avait déjà ramené des taupes géantes avec La Nuit des taupes. Cette fois, ce sera un œuf géant qu’il viendra nous présenter avec Le Jardin des Délices.
Une pièce inspirée du célèbre triptyque éponyme, sorti de l’esprit génial et un peu dingue de Jérôme Bosch. Une peinture iconique et fantasmagorique où le Paradis, la perversion des humains et les affres des Enfers y sont représentés dans un joyeux bordel.
Ici, Philippe Quesne utilise le tableau pour y transposer des questions d’aujourd’hui, dans une réinterprétation rétro-futuriste. C’est donc dans une atmosphère énigmatique que l’Arche de Noé prend les traits d’un bus, et que l’on y croise de drôles de personnages aux allures de cowboys. Un spectacle farfelu remarqué au dernier festival d’Avignon.
"Geh nicht in den Wald, im Wald ist der Wald" de Tabea Martin
Déjà passée par Le Maillon (avec Pink For Girls And Blue For Boys en 2017 et Forever en 2021), la danseuse et chorégraphe suisse Tabea Martin revient avec Geh nicht in den Wald, im Wald ist der Wald et « explore les structures mentales qui produisent les hiérarchisations selon l’origine sociale et la couleur de peau ».
Une performance composée de quatre danseurs et danseuses et d’un musicien (Donath Weyeneth), et un spectacle qui s’adresse autant aux plus jeunes (dès 7 ans) qu’aux plus grand(e)s. Pour se questionner sur l’exclusion et ses mécanismes.
Les autres crushs
Avec trente-cinq spectacles, nous n’avions évidemment pas la place de te faire le récit complet de cette prog’ bien chargée et de qualité. Mais voilà un éventail d’autres petites curiosités à ne pas rater :
Queen of Hearts qui s’empare de la parole de Lady Di… Où une soprano redonne vie, avec sa voix, à une interview donnée à la BBC en 1995. Une « relecture « pop-musicale » et théâtrale de ce grand moment de la société du spectacle ».
Ou encore la reprogrammation de Danse macabre de Martin Zimmermann que nous vous avions conseillée à la saison dernière (mais reportée à cette année). Un spectacle « convoquant le cirque, le théâtre, les arts visuels dans un décor audacieux » où « s’exprime le tragicomique de l’existence ».
Sans oublier le Péplum médiéval de Valérian Guillaume et Olivier Martin-Salvan, qui arrive un château fort géant, une troupe de quinze comédien(ne)s dont des personnes en situation de handicap.
Une fresque colorée, des costumes délurés, un univers barré… Pour nous faire vivre et aimer comme jamais, un Moyen-Âge inspiré inspiré de Brueghel l’Ancien et de Rabelais.
Pour retrouver l’intégralité de la programmation, c’est par ici !
Le Maillon – théâtre de Strasbourg, scène européenne
1 Bd de Dresde, 67000 Strasbourg
Le site internet
Saison 2023-24