Plus ancienne fête d’Alsace, le Pfifferdaj a lieu chaque année le premier week-end de septembre à Ribeauvillé. Célèbre pour son défilé historique du dimanche, l’évènement égaye les rues de ce charmant village de la route des vins dès le samedi avec des concerts, des animations et une procession nocturne à l’ambiance médiévale. Reportage.
Situé à 45 minutes de Strasbourg en voiture, Ribeauvillé a tout pour figurer sur une carte postale alsacienne. De petites rues pavées, d’anciennes fortifications et de nombreuses maisons à colombage. Le temps semble s’y être comme arrêté. Ce premier après-midi du mois de septembre, quelques mesures de fifre résonnent dans l’artère principale et viennent renforcer cette impression.
À quelques encablures de la Tour des bouchers, une petite troupe sautille au rythme des quintes, bransles, pavanes et autres danses qu’ils interprètent devant un public intrigué. Les femmes portent des coiffes et de longues robes en drap de laine ceinturées. Les hommes, des chausses et des pourpoints. Aux pieds, les souliers sont en cuir.
“On essaie d’avoir des costumes qui correspondent à la période des danses que l’on propose”, détaille Gaëlle Loesch, présidente de l’association La Dancerie des Ribeaupierre. En l’occurrence, la fin du XVe siècle. Certaines tenues sont des créations personnelles, voulues les plus fidèles possibles.
“Cela fait plus de 30 ans que nous dansons pour le Pffiferdaj, détaille Chantale, ancienne présidente de la troupe. Avant, nous présentions un petit spectacle juste avant le défilé du dimanche, pour faire patienter le public. Maintenant, nous jouons la veille.”
Plus simple en termes d’organisation. Les danseurs peuvent prendre le temps d’investir les rues et de jouer avec le public. Une chose est sûre pour cette bénévole d’expérience : “Le pfiff, c’est toujours une ambiance particulière !”
Plus de six siècles de fête
Bien plus qu’une simple célébration alsacienne, le Pfifferdaj est un petit morceau d’histoire locale. Aussi appelée fête des ménétriers, il célèbre les liens entre les artistes de cette corporation et les seigneurs de Ribeaupierre ayant longtemps gouverné la région. La légende raconte que l’un d’entre eux aurait donné une pièce à un musicien ayant cassé son instrument pour qu’il puisse continuer à jouer.
C’est en hommage à ce geste que la corporation des ménétriers aurait choisi de se placer sous la tutelle de cette puissante famille et d’organiser sur son fief son assemblée annuelle, au début du mois de septembre chaque année. Un rassemblement de musiciens venus de toute l’Alsace qui se terminait immanquablement par des festivités. On peut dire que le Pfifferdaj était la fête de celles et ceux qui en étaient les maîtres.
Aujourd’hui, le Pfifferdaj est une fête portée par les associations du village. Chaque année, toutes rivalisent d’inventivité pour confectionner les chars qui paraderont dans les rues lors du défilé historique, point d’orgue des festivités, le dimanche après-midi.
Le spectacle attire plusieurs milliers de personnes, dont certaines payent leur place pour l’admirer depuis les tribunes placées le long du parcours. Au terme des festivités, un prix est remis au plus beau des chars et vient couronner plusieurs semaines de travail acharné.
Coiffes, bliauds et surcots
Pour l’heure, les rues de Ribeauvillé sont encore calmes. De petits groupes de musiciens remontent ou descendent la Grand rue, costumés eux aussi. Tenues noires, jaunes et blanches pour une fanfare venue de Bann, dans l’ouest allemand. Bleues et grises pour une autre, composée de flûtes et de cuivres. Les caisses claires résonnent et font sourire les spectateurs qui dégainent leur téléphone pour ne pas en perdre une miette.
À l’écart de l’artère principale, la cour de la médiathèque accueille un petit marché médiéval. Les badauds s’attardent devant l’armurerie pour y admirer haches et épées. Flânent devant les paniers du vannier ou les pièces des deux maroquiniers. Et ouvrent grand les yeux devant les costumes de Chantal Antoine.
À côté des portants, quatre convives sirotent leur boisson dans de grandes coupes en bois, sous des tentures et des tapisseries. “On dirait une sorte de salon de thé médiéval”, s’amuse un spectateur.
Presque. Costumière, Chantal Antoine expose ses créations sur le petit marché du Pfifferdaj depuis une dizaine d’années. “Le costume, c’est particulier, détaille-t-elle. On n’est pas là pour essayer un t-shirt : cela prend du temps. Il faut se sentir à l’aise dans le vêtement. Se promener un peu avec.” Il arrive que les personnes accompagnant le ou la cliente trouvent le temps un peu long : ils sont alors invités à patienter sous la tente.
Chacun des vêtements exposés est une pièce unique, réalisée par l’artisane. “C’est une passion, je ne compte pas mes heures”, sourit cette nancéienne tombée dans le costume par hasard, à l’occasion d’un marché médiéval. “J’avais confectionné trois robes pour l’occasion, je les ai toutes vendues. Je suis rentrée en me disant : “j’arrête tout, c’est ça que je veux faire ! Mais je ne savais pas dans quoi je m’embarquais…”
La costumière évoque en souriant les mètres de draps de laine, de soie ou de galons qu’elle entrepose chez elle. Les recherches pour ébaucher des patrons en cohérence avec certaines époques. À chaque clientèle son style. “La majeure partie de mon activité, c’est de la commande”, explique celle qui réalise aussi bien des tenues de mariée ressemblant à la robe d’Eowyn dans le Seigneur des anneaux que des tenues de Béhourd pour des reconstitutions historiques.
En passant au milieu des portants, Chantal Antoine décortique les tenues. Le bliaud est la chemise que les femmes portent près du corps sous le surcot – partie plus épaisse et colorée. Quand il fait froid, on peut ajouter une cape. Et côté coiffes, il y a de quoi se faire plaisir.
Certains et certaines se laissent d’ailleurs tenter. “L’ambiance y est pour beaucoup, sourit l’artisane. Voir des personnes déambuler en costume aide celles et ceux qui en avaient envie, mais n’osaient pas à sauter le pas.”
Des saltimbanques dans la Grand rue
20h30. Le soleil vient de passer sous la ligne d’horizon et les flambeaux se multiplient place de la République. Tout en haut de la Grand rue, le cortège se met en ordre de marche, fanfares aux premiers rangs. Les cuivres sonnent le départ et la foule s’élance. Derrière les groupes de musiques viennent les associations de la commune. Réunies pour un moment convivial avant le grand défilé du lendemain.
À chaque arrêt, quelques groupes s’alpaguent gentiment et se donnent rendez-vous sur les chars, d’ici à quelques heures maintenant. Pour faire triompher leur équipe.
Au milieu du cortège, c’est toutefois une petite troupe de jongleurs et cracheurs de feu qui captive la foule des spectateurs. Elle précède un petit groupe de cavaliers, paradant sur des cheveux caparaçonnés de tentures. Étonnamment calmes malgré la proximité des flammes.
Viennent ensuite des badauds de tous les âges, costumés ou non, flambeau à la main pour participer à la fête. Arrivé au bas de la Grand rue, la foule se disperse. Certains filent au bal dans les jardins de la ville, d’autres remontent la Grand rue ou la musique résonne encore.
Assis à une table dans la rue, Martine et Brice regardent une partie de la foule se disperser. Originaires de Mulhouse, le couple s’est retrouvé au Pfifferdaj par le plus grand des hasards. “On avait réservé un week-end spa dans un hôtel, mais on n’avait jamais entendu parler de cette fête”, sourit Brice. Le couple a toutefois apprécié le spectacle.
“On s’est dit que c’était de plus en plus rare ce genre de choses, et c’est bien dommage, regrette Martine. Il y en avait beaucoup plus, il y a quelques années. Nous, on a grandi avec ça, mais on se dit que nos enfants ne connaîtront sans doute pas toutes ces fêtes.”
L’Alsacienne pointe aussi un souci de communication pour celles qui persistent. “Avant, on savait quand elles auraient lieu parce que nos parents lisaient le journal. Mais aujourd’hui, on les manque parfois faute d’informations.”
Malgré le temps qui passe, la recette de leur succès reste la même, toutefois : “De la bière, du monde dans les rues, des jeunes et des vieux, de la musique. Ça, c’est l’Alsace. C’est tout ce qu’on aime dans notre région.”
"C'est un moment pour les bénévoles"
Un peu plus haut, sur l’artère principale, le médiéval laisse en effet la place à une fête plus moderne. Un petit orchestre de jazz reprend des airs populaires et fait swinguer les habitants de Ribeauvillé.
Camille et Apolline hochent la tête dans leur costume de femmes de la noblesse. “J’ai toujours fait le samedi soir du Pfifferdaj, explique la première. C’est vraiment un moment pour les bénévoles, pour les membres des associations de la commune. On fait la fête pour célébrer la fin de plusieurs semaines de travail acharné. Ce jour là, c’est la dernière ligne droite pour finir de préparer les chars. Alors, on décompresse.”
Dans le petit centre, les libations se multiplient. Un drôle de char surmonté d’une table et de tireuses à bière descend l’artère principale. Propulsé par les convives en train de pédaler. Le célèbre tube de schlager Johnny Däpp retentit dans les enceintes et la fête bat son plein. Prochain rendez-vous : le lendemain, 6h du matin, pour la mise en place du grand défilé.
