Ils et elles ont la responsabilité, lors d’un concert, de réussir à rendre harmonieux un ensemble de notes, de sonorités et de personnalités différentes. Ils et elles ont le talent d’imaginer tout un univers constitué de la, de sol et de fa. Ils et elles, ce sont les chefs d’orchestre et les compositeurs. Comment se sent-on, face à un orchestre en action et dos au public ? Comment compose t-on une œuvre musicale ? On a posé nos questions à Bruno Mantovani, chef d’orchestre et compositeur de Memoria, représentée la semaine dernière au PMC, avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, n’a pas deux métiers, mais plutôt cinq ou six. Pourtant, il se considère avant tout comme compositeur. Il a quinze ans lorsqu’il compose sa première pièce. C’est d’ailleurs celle qu’il présentera, cinq ans plus tard, au concours du Conservatoire national de musique et de danse de Paris… Avant de devenir le directeur des lieux de 2010 à 2019 !
Mais sa carrière de compositeur est vite étoffée par la direction d’orchestres. Pour lui, il s’agit avant tout d’un métier de rhétorique : il doit convaincre un orchestre, qui doit lui-même convaincre un public, du bien fondé d’un parti pris esthétique. C’est ce qu’il appelle un « métier de poulpe ».
À l’occasion des représentations de sa pièce Memoria, jouée par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, il a répondu à nos questions, sur son métier et sur son œuvre.
« Quand j’écris une pièce en général, je l’évacue. Quand on la joue avec l’orchestre, je la redécouvre »
Bruno Mantovani a depuis toujours été attiré par le son. Inscrit très jeune au conservatoire municipal, il a tout de suite su que c’était ce qu’il avait envie de faire de sa vie. Outre le piano, il a également fait de la percussion, ce qui lui a permis de s’ouvrir au répertoire contemporain. La question de la composition s’est posée très rapidement.
La rencontre avec le jazz, à l’âge de treize ans, a été son premier moyen de s’émanciper de la partition écrite, d’aller vers des contrées plus créatives. À quinze ans, Bruno Mantovani découvre également l’électro acoustique, puis, la composition instrumentale. S’en suivra un parcours plus académique, cochant toutes les cases.
Selon lui, pour être compositeur, il faut à la fois accumuler des connaissances techniques, d’écriture, et culturelles. Mais il faut aussi se trouver. Se demander « Je suis qui au juste ? Qu’est ce que j’ai envie d’entendre, de montrer. C’est comme si vous aviez été en simulateur de vol toute votre vie, et qu’un jour, vous deviez piloter un avion ».
Et en parlant de composition : jeudi et vendredi dernier, son œuvre Memoria, jouée par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, était présentée au PMC : « L’Orchestre de Strasbourg a des cordes de grande qualité, et j’avais envie d’écrire pour un orchestre à cordes pour la première fois de ma vie ».
Quand on lui demande comment est née cette pièce dans son esprit, il nous parle de la guerre de 44 jours, qui a éclaté entre l’Azerbaïdjan et la République autoproclamée du Haut-Karabagh, en 2020. « En voyant des photos de gamins plein d’avenir de l’Université française, le jour de leur mort, j’ai réalisé à quel point on avait laissé crever les Arméniens sans les soutenir. J’ai eu alors envie de m’exprimer là-dessus ».
Bruno Mantovani aime bien écrire en avance, mais n’aime pas être acculé par la répétition : « Quand j’écris une pièce en général, ensuite je l’évacue. Quand on la joue avec l’orchestre, je la redécouvre. J’écoute cet objet qui est une création et en même temps j’en suis loin, on passe à autre chose dans la vie. À partir du moment où l’œuvre est composée, ça ne vous appartient plus ».
« Finalement, on est bien quand on leur tourne le dos »
En plus de son métier de compositeur, Bruno Mantovani est aussi chef d’orchestre. Un métier qui a la particularité de se faire… de dos : « On passe notre temps à montrer nos fesses, c’est vrai que c’est pas une situation classique ».
L’un de ses rôles est donc de trouver sans cesse un compromis entre le carburant qu’il y a derrière et le boulot qui se passe devant lui : « Ce qui se passe derrière compte moins que ce qu’il y a devant. Mais avec l’âge, on apprend à écouter ce qui se passe derrière ». Il existe aussi des salles où le public est derrière l’orchestre central. Une mise en scène déconcertante selon le compositeur : « Finalement, on est bien quand on leur tourne le dos ».
Le fait d’être dos au public peut représenter un avantage, dans certaines situations cocasses : « Un jour, j’ai fait une répétition générale totalement ivre, au Brésil, à Sao Paulo. Je me suis fait piéger par la caïpirinha, je voyais l’orchestre tourner autour de moi, mais la musique m’a sauvé à ce moment-là. J’ai essayé de me raccrocher à la partition ».
Autre particularité du métier : réussir à rendre harmonieux un ensemble de notes, de sonorités et de personnalités différentes. Une responsabilité, qui a ses bons côtés : « C’est magique. Quand vous levez la main, que vous la baissez lentement, le son apparait. Vous avez l’impression d’être le roi du monde ». Bruno parle d’un sentiment de puissance, même si ce n’est pas pour ça qu’il fait ce métier.
« Il ne faut pas oublier que le concert est une fête. Mais c’est aussi un métier très technique ». Selon lui, on ne peut pas écrire, même de la très mauvaise musique, si on n’a pas une base technique très forte. La partition, qui est leur code, doit être claire pour l’orchestre.
Il conclut en nous rappelant à quel point il est difficile de faire de la musique un langage, langage qui ne dispose pas vraiment de mots et pouvant être interprété par chacun(e), selon ses propres fantasmes et projections : « La 9ème symphonie de Beethoven est l’hymne européen actuel. Pourtant, c’était la musique préférée d’Hitler. On fait dire ce qu’on veut à la musique, elle n’a pas de sens littéraire ».