À Strasbourg, difficile de ne pas connaître le Rhin. Le fleuve rythme nos vies depuis des dizaines de milliers d’années, en nous rendant plein de services dont on n’a même pas forcément idée. Le problème, c’est que depuis deux siècles, le Rhin s’abîme et s’appauvrit. Pour alerter sur ce patrimoine, deux Strasbourgeois ont écrit un livre. Il s’appelle Rhin vivant, et on vous le présente.
Le 12 août 2022, le niveau du Rhin tombait sous les 40cm, un seuil crucial pour une grande partie du transport fluvial. En d’autres termes : sous ce seuil, difficile, voire impossible, pour les bateaux et péniches de transporter des marchandises.
Une information qui n’était pas nouvelle puisqu’à chaque sécheresse, phénomène qui arrive de plus en plus souvent ces dernières années, on s’inquiète davantage pour le Rhin. Certains le font pour la navigation, d’autres pour le fonctionnement plus global du fleuve, qui a tellement à nous offrir.
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Plus de 20 000 ans d’histoire du Rhin
C’est en substance l’objectif de Roland Carbiener et de Laurent Schmitt, auteurs de Rhin vivant, un plaidoyer pour conserver le patrimoine naturel que représente notre fleuve. Véritable travail interdisciplinaire, c’est le premier ouvrage d’une telle importance sur le Rhin, retraçant ses 20 000 ans d’histoire sur 300 pages, en collaboration avec Annick Schnitzler, professeure à la retraite de l’université de Lorraine.
Laurent Schmitt, professeur de l’Université de Strasbourg, géographe, hydrogéomorphologue et spécialiste de la gestion des fleuves, le présente un peu plus : « Pour bien comprendre l’histoire du fleuve, on remonte 20 000 ans en arrière. On parle de l’histoire de la biodiversité du Rhin supérieur, les poissons, mais aussi les forêts alluviales, rhénanes et du fonctionnement du fleuve, à travers tous les aménagements qu’il a connus, et leurs impacts ».
Surtout, l’ouvrage est accompagné de deux gros points forts. Tout d’abord son iconographie, avec plus de 300 illustrations et photographies, réalisées par Serge Dumont pour les poissons et Gérard Lacoumette pour les paysages. Mais surtout, selon Laurent Schmitt, « il valorise l’expérience de la pêche le long du Rhin avec des anecdotes personnelles de Roland Carbiener, pendant plus de 70 ans ». Ce dernier, co-fondateur d’Alsace nature, représente en effet une source documentaire incroyable, avec plus de 70 ans de carnets de pêche qui ont servi pour l’élaboration de l’ouvrage.
L’aspect écologique du fleuve ignoré, pendant des années
Et justement, c’est Roland Carbiener qui pilote une partie importante de l’ouvrage : la dimension écologique du Rhin. Et selon Laurent Schmitt, il y avait un besoin impérieux d’en parler : «Même si la qualité de l’eau s’est nettement améliorée, la qualité des habitats physiques et la fonctionnalité de ces habitats sont fortement abîmées par la canalisation du fleuve ».Une étape cruciale pour comprendre l’état du Rhin aujourd’hui.
De 1932 jusqu’en 1977, on canalise en effet le fleuve pour développer la navigation et le transport des marchandises. Le coût écologique est fort : la suppression de 130km2 de zones inondables. Laurent Schmitt explique l’intérêt de ces zones : « Lorsque l’on inonde une partie de la foret rhénane, l’eau rejoint la nappe phréatique 2m sous nos pieds. L’eau est alors purifiée. »
Une information importante au vu de son utilisation, et de son utilité, dans notre région : « En Alsace, 80 % de l’eau potable qu’on boit et utilise provient de la nappe phréatique. La recharger en eau de bonne qualité c’est important ». Et logiquement, s’il y a moins de zones inondables, dû à l’amputation du fleuve, cela devient plus compliqué.
Un fleuve vital pour les prochaines décennies
Cette dimension écologique se retrouve renforcée par un autre avantage du Rhin : alimenter les forêts alluviales, très importantes pour garder de la fraîcheur. Laurent Schmitt développe : « On a besoin de ces forêts alluviales, qui sont des bioclimatiseurs très efficaces et gratuits. En effet, une forêt bien alimentée en eau, pendant tout l’été, va extrêmement bien fonctionner. Elle va évapotranspirer tranquillement, permettant la photosynthèse et la fraîcheur ».
Des données très importantes dans une époque où les périodes de canicule ont tendance à s’amplifier. En effet, selon Laurent Schmitt, l’écart thermique maximal en période de canicule entre le centre-ville et une forêt alluviale peut aller jusqu’à 10°C. Une donnée que l’on retrouve également à Strasbourg, avec des différences importantes entre les places les plus minérales et celles entourées d’eau.
Une réalité qui affecte également les poissons et les plantes : « Les poissons, invertébrés et plantes vont trouver refuge dans des zones de sources phréatiques froides, autour de 11/12°, dans les bras latéraux du Rhin ».
« Il y a encore des poissons, mais beaucoup moins qu’avant » : le Rhin a perdu ses branchies
Sans ces zones, moins de poissons. Un phénomène qui tend à s’accélérer au fur et à mesure des années. Alors que le Rhin représente une « diversité d’habitat absolument exceptionnelle » pour nos amies à branchies, de moins en moins remontent désormais notre fleuve. Pour savoir cela, les auteurs ont exploité les données de remontée des poissons dans les passes à poissons de l’aval vers l’amont du Rhin. Résultat ? « On a beaucoup perdu en abondance ».
Laurent Schmitt développe : « Une centaine de saumons remontent le Rhin, alors qu’à l’époque du Rhin sauvage c’était davantage autour de 1 million de saumons ». Une vraie blessure pour un fleuve qui était tout simplement le plus grand fleuve au monde à saumon atlantique. Désormais, la souche naturelle du saumon du Rhin a disparu, éradiquée par la pollution excessive dans les années 60. Les saumons qui traversent le fleuve sont alors issus de la souche de la Loire. Enfin, d’autres espèces ont disparu, comme l’esturgeon.
« On a quand même beaucoup perdu » : que faire pour améliorer la situation ?
Désormais, que faire ? Le Rhin a perdu de ses réserves naturelles et une partie de sa capacité à inonder les plaines alluviales. Pourtant, il ne faut pas perdre espoir et c’est en ce sens que Laurent Schmitt et Roland Carbiener ont décidé de publier ce livre. La premier explique : « L’ouvrage est une ode à la vie du fleuve, mais c’est aussi un plaidoyer vibrant et engagé et étayé scientifiquement pour recouvrer autant que possible la biodiversité du fleuve avec la contrainte de la canalisation ».
À court et moyen-terme, des solutions existent. La plus importante ? Restaurer autant que possible ce qui peut l’être. Et pour cela, le livre peut-être utile selon Laurent Schmitt : « Avec ce livre, on souhaite informer les gens sur le besoin de restaurer le fonctionnement du fleuve. Il faut que la population soit en phase avec ces projets-là, qui sont des projets de territoire qui doivent aussi entraîner avec eux les parties prenantes ».
Informer, faire prendre conscience, pour ensuite agir. Pour retrouver un Rhin plus vivant, plus sauvage et plus en phase avec la magnifique biodiversité de notre région.