Alors que les étudiant(e) entament une nouvelle année sur fond de climat social mouvementé, nous avons souhaité rencontrer celles et ceux qui leur préparent chaque jour à manger. Pour cela, nous nous sommes rendus au restaurant universitaire d’Illirch (le RU) pour rencontrer le chef Hervé Marck, son second Olivier Zaegel, et une partie de l’équipe de cuisine. On a passé toute une matinée avec eux afin de mieux connaître les rouages de leur métier, ce qui les anime au quotidien, et par quel tour de main ils arrivent à produire jusqu’à 2 000 repas par jour.
Il est 6h30. Les mines sont tirées dans le tram qui nous emmène en direction du campus d’Illkirch. Alors que le jour est encore loin de pointer son nez, nous sommes accueillis par monsieur Marck dans des cuisines déjà bien animées du RU.
En place à ce poste depuis 23 ans, et du haut de ses 50 printemps, l’heureux papa de deux enfants nous explique comment se déroule une journée type dans les cuisines du RU, quels sont les défis rencontrés au quotidien, et quelles sont les adaptations auxquelles il doit faire face.
Contrôle, prévision, adaptation, gestion, motivation et surtout passion : le métier de chef cuisinier dans un établissement scolaire public est bien sûr technique, mais également bien plus humain que l’on peut imaginer.
Ici, on oublie vite les clichés encore tenaces sur les cantines de notre enfance. D‘ailleurs, nous ne sommes pas dans une cantine mais dans un restaurant ordinaire (avec une déco un peu moins fun que les autres c’est vrai). Mais à voir l’intitulé des menus proposés par l’équipe, le RU n’a pas à rougir faces à bon nombre de tables strasbourgeoises.
Un terrain d’expression privilégié pour une équipe sur-motivée
Le campus d’Illkich, c’est cet immense pôle universitaire que l’on retrouve aux portes de Strasbourg, dans la commune d’Illkirch. Constitué de dizaines d’écoles, il est l’un des berceaux étudiants de la Ville de Strasbourg qui a mis les moyens, dès les années 80, pour créer un parc d’innovation et de recherche universitaire majeur.
Faculté de pharmacie, école supérieure de biotechnologie, IUT Robert Schuman, écoles d’ingénieur, et même Université de l’Espace (oui oui), pas moins de 3 500 étudiants et plus de 1 000 chercheurs se croisent quotidiennement sur le campus.
Chaque jour de la semaine, ces étudiants et étudiantes ont la possibilité de venir manger à moindre coût dans un restaurant universitaire quasi neuf, totalement réhabilité en l’an 2000 et doté des dernières technologies nécessaires à l’élaboration de 2 000 repas par jour. Imaginez-vous… 2 000 repas par jour, 5 fois par semaine.
Pour réaliser cet exploit, le chef Marck, qui a été formé aux métiers de la cuisine à quelques mètres de là (au Lycée Hôtelier Alexandre Dumas), peut compter sur une équipe de 30 personnes (dont 10 étudiants vacataires) qui connaissent tous leur rôle sur le bout des doigts.
Appareils interconnectés, immenses fours de cuisson, bacs de préparation gigantesques, frigidaires intelligents, le chef le reconnait lui-même, les équipements et l’infrastructure du RU d’Illkirch permettent de travailler plus que correctement : « Nous avons une base de travail saine. On a la chance d’avoir un grand réseau qui nous permet de pas mal nous déplacer et de voir ce qui se passe ailleurs et je peux vous dire qu’on est privilégiés. Je ne dirai pas où, mais à une petite centaine de kilomètres de Strasbourg, certains RU tirent la gueule, et les conditions de travail son très loin des nôtres. Pour ça, et il faut être honnête : on est bien lotis. »
Une journée type en cuisine avec le chef
Chaque matin, il est environ 6h lorsque le chef met la lumière sur les cuisines vides et endormies du RU. Après la réception et le contrôle des commandes pour les menus des semaines à venir (il faut toujours deux semaines d’avance pour créer des menus), le chef entame sa ronde de contrôle dans les différents pôles. Cuisine, réfectoire, cafet’, machines, tout est inspecté.
Doté d’une tablette sur laquelle sont connectés les différents éléments qui demandent une température constante, une ventilation et une hygiène irréprochable (frigidaires, congélateurs, terminal de cuisson vapeur, fours, présentoirs réfrigérés) il vérifie que tout fonctionne correctement, et ce contrôle est capital : « Chaque jour, je contrôle l’hygiène et le bon fonctionnement de chaque élément sensible pour que les repas soient préparés et servis dans un environnement propre et sain. Tu imagines un problème d’hygiène, avec 2 000 personnes à table, tu es foutu ! Mais heureusement rien n’est jamais arrivé en 23 ans de métier, mais ça demande une vigilance constante des appareils et une vraie traçabilité des produits ».
Après la ronde, Hervé contrôle les menus et les premières préparations qui commencent à être réalisées, tout en ayant un bon mot pour chaque personne qu’il croise. Les légumes commencent à être découpés, la base des entrées froides commencent à prendre forme : ça y est, la cuisine est réveillée.
Un petit passage dans le bureau pour le checking du personnel, un coup d’œil au menu, un petit souci à régler par-ci avec le livreur, un imprévu par-là. Le chef discute ensuite avec tout le monde pour connaître l’avancée des préparations du jour. Il est 8h et tout le monde est (déjà) à la tâche.
Les premiers plats mijotés commencent également à prendre forme, les parfums commencent à se diffuser, c’est l’heure de goûter à tout ça ! Avec son emblématique petite cuillère, le chef goûte alors chaque préparation pour les ajuster au besoin.
Les pommes commencent à cuire, les tartes à l’abricot maison se mettent à dorer, bientôt ces parfums de douceurs sucrées laisseront place à celles du rougail saucisse ou du porc caramélisé qui seront proposés au menu ce jour-là, en plus de dizaines d’autres préparations, car le menu est on ne peut plus complet ! Mais pour l’instant, il est 10h45, c’est l’heure du repas du personnel.
Des repas maison de qualité et surtout : de l’inventivité !
Comme dans tout bon restaurant qui se respecte, et à l’instar des menus de « cantines » infâmes de notre enfance, les menus du RU sont à la fois diversifiés, équilibrés, mais surtout : ils sont travaillés sur place (et non pas transformés) avec énormément d’inventivité.
Chaque jour, 6 à 8 menus différents sont proposés, dont 1 à 2 menus végétariens, en fonction des disponibilités des matières premières.
Un chiffre nous donne un aperçu de l’ampleur de la tâche quotidienne que l’équipe doit accomplir : 60 à 70 % des repas sont entièrement préparés en cuisine, c’est bien plus que dans de nombreux restaurants du centre-ville strasbourgeois.
Poitrine de porc miel et coriandre et pommes noisettes, carottes aux champignons ; burger végétarien et poêlée printanière ; onglet de bœuf beurre maitre l’hôtel, flan de courgettes et pommes de terre sautées… On est à des années lumière de la cantine d’antan !
Pour atteindre ce chiffre de 60 à 70 % de plats maison, il faut bosser. Les fruits et légumes (locaux) sont travaillés en cuisine, les desserts sont faits maison (il y en a jusque 8 par jour), les viandes sont travaillées sur place, les sauces et les jus aussi, et tous les éléments bruts sont constamment agrémentés de la touche du chef.
Marinade, cuisson à basse température, sauces parfumées ou jus nappant, jeux d’épices et de texture... Tout est fait pour sublimer le moindre produit afin de le rendre non seulement meilleur, mais aussi plus attrayant aux yeux des étudiant(e)s, et chaque membre de la cuisine est régulièrement formé pour cela.
En travaillant le plus de produits possible, en donnant envie aux étudiant(e)s de manger ce qu’ils ont dans l’assiette, l’équipe offre non seulement un moment de plaisir et de gourmandise à moindre coût, mais elle évite aussi le gaspillage, l’un des combats du chef Hervé Marck et de toute la team.
Grâce à sa longue expérience, en analysant la période, l’humeur globale des étudiant(e)s, le jour de la semaine et bien sûr en consultant les statistiques des années passées, le chef arrive à calculer très précisément combien de repas il va devoir sortir chaque jour : « On a l’habitude ! Si il fait 25 degrés et qu’il fait beau par exemple, ou encore si on est vendredi et qu’il y a eu une soirée étudiante la veille, il y aura forcément un peu moins de monde au RU, les gamins seront encore au lit ou iront manger dehors. Il y a des dizaines d’éléments qui rentrent en compte, mais sur 2 000 personnes par jour, on arrive à avoir une marge de 5 % d’erreur environ». Respect mon capitaine.
Les produits qui constituent les 5 % de repas « restants » (des fruits, des légumes, des viandes et autres produits encore délicieux) sont réutilisés pour faire des compotes, des tartes, des sautés de légumes, des plats en sauce et bien d’autres choses encore. En tout, le chef aurait déjà proposé plus de 1 000 plats différents, et il se documente encore pour innover.
Bien sûr, à la fin de chaque service, il y a ce que l’on appelle les « retours assiette », en gros, ce sont les restes de repas des élèves. Sur un laps de 6 semaines, avec 2 000 élèves par jour, tous les déchets organiques confondus représentent un volume de 3 000 litres, ce qui est très peu selon le chef, même s’il reste encore des efforts à faire.
Ces restes-là, ils seront réutilisés par une entreprise qui les transformera en biogaz ou en engrais pour l’agriculture. Encore une bonne idée qui s’est glissée dans ces cuisines.
Un métier et une offre de restauration qui évoluent à l’image de la société
Cette valorisation des déchets, qui n’existait tout simplement pas il y a quelques temps, est l’un des nombreux marqueurs qui tendent à montrer que ce métier n’a cessé d’évoluer ces dernières années.
Tout d’abord, les habitudes de consommation des étudiants ont radicalement changé, et elles continuent d’évoluer. Par exemple, la demande de repas végétariens explose. Selon le chef, elle a doublé ces 10 dernières années, et désormais lorsque c’est possible, un quart de la carte est végétarienne (ce qui représente entre 250 et 300 repas par jour).
De plus, dans un contexte économique, sanitaire et social peu favorable, il faut jouer des coudes et des coûts pour satisfaire et nourrir correctement tous les étudiants, quelle que soit leur sensibilité. Et selon le chef, la génération actuelle est de plus en plus consciente et engagée en faveur du respect animal.
Ensuite, certains coûts ont très fortement augmenté, à tel point que certains produits ont été totalement rayés de la carte. Certaines viandes ont pris +40 %, le prix de certains poissons a augmenté de 70 %, le coût des fruits et légumes a explosé, et la délirante augmentation des énergies de ces derniers mois s’invite également à table, sans que personne ne l’ait invité.
Malgré tout, même si certaines contraintes complexifient le métier et augmentent les coûts, l’équipe du restaurant fouille, décortique et trouve des tours de passe-passe pour continuer à nourrir les étudiants pour un tarif qui se veut le plus accessible possible, c’est le combat principal des restaurants universitaires français.
Alors que chaque repas coûte 1,70 € à l’établissement (rien qu’en coût de matière, auquel il faut ajouter les salaires du personnel, le coût des construction et d’entretien du bâtiment, des équipements de cuisine, de l’énergie, du ménage, etc), celui-ci est proposée à un prix public qui défie toute concurrence (1 € par repas pour les étudiants boursiers et non-boursiers en situation de précarité).
Pour les non boursiers, le repas est à 3,30 € et 9,05 € euros pour les non-inscrits (personnes extérieures).
On le dit trop peu, mais les restaurants universitaires remplissent une vraie mission : ils nourrissent quantité de personnes qui parfois sont financièrement démunies. C’est pourquoi le repas à 1 euro, par exemple, est un totem qu’il faut absolument défendre et conserver.
Ces tarifs, ils sont les mêmes pour tous, ils n’ont pas bougé depuis 2019 et Hervé s’en réjouit. C’est selon lui une question d’humanité et de justice sociale : « C’est quand même génial quand tu y penses : quel que soit le pays d’où tu viens ou qui tu es, tu es assis à la même table que tout le monde, tu manges le même repas et tu payes le même prix que les autres. Tu sais, peut-être que certains étudiant(e)s se privent pour venir manger chaque jour, ils sautent peut-être un repas qui sait ? Mais les prix dehors sont tellement démentiels qu’ils ne peuvent pas se permettre de manger correctement ailleurs qu’au RU. Le prix bas du CROUS, c’est un prix égalitaire qui offre une forme de justice sociale, ce n’est pas étonnant que de plus en plus d’étudiants viennent manger chez nous ces dernières années, je ne connais pas les chiffres exacts, mais depuis le Covid, on doit être à + 20 %. »
Sur les présentoirs chauffants, les premiers plats sont présentés aux étudiants qui arriveront bientôt. Chacun d’entre eux pourra profiter d’un repas chaud, fait maison complet et proposé dans un cadre lumineux par des personnes qui bossent déjà depuis le petit matin.
Ce passage en cuisine a totalement changé la perception que nous avions d’un restaurant scolaire. Merci à toute l’équipe du RU d’Illkirch pour leur accueil et le travail qu’ils abattent chaque jour, un peu pour eux, et beaucoup pour les autres.
Établissement
Restaurant Universitaire (RU) du campus d'Illkirch
Quoi ?
Restaurant universitaire et cafétériaoù ?
76 Rte du Rhin 67400 Illkirch-GraffenstadenPlus d'infos ?
Ouvert tous les jours de 11h à 13h30 / vente à emporter à la cafétéria de 7h30 à 15h
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