Ville-symbole d’un renouveau sur le continent à l’après-guerre, Strasbourg a eu une place bien particulière dans l’Histoire du XXe siècle. Si elle est aujourd’hui siège de nombreuses institutions, c’est que la ville a toujours été au cœur des projets européens. Et le symbole-même de cette nouvelle Europe, son drapeau, semblerait lui aussi être davantage lié à Strasbourg qu’on ne pourrait le croire.
Précisons d’abord une chose : chronologiquement, Strasbourg ne doit pas sa renommée européenne à l’Union européenne. Une première organisation internationale a d’abord fait le choix de siéger au sein de la capitale alsacienne quelques années plus tôt : le Conseil de l’Europe.
Au lendemain de la guerre, des États européens décident de s’unir autour du projet commun de préserver la paix et la démocratie sur le continent. La première séance de ce qui deviendra le Conseil de l’Europe a lieu à Strasbourg, ville qui représente les déchirements du continent et dont le destin sera de devenir le symbole de la réconciliation et de la paix retrouvée.
En l’absence de siège officiel, la réunion se tient dans le hall du Palais universitaire.
Ce 10 août 1949, les Strasbourgeois(es) – pas peu fier(e)s d’un tel événement dans leur ville – hissent en nombre des drapeaux à leurs fenêtres. À ce moment-là, personne ne connaît encore le drapeau bleu aux douze étoiles dorées… puisqu’il n’existe tout simplement pas.
À la place, on y voit les drapeaux du Mouvement Européen et de l’Union paneuropéenne internationale.
En quête d'un drapeau
L’organisation naissante doit se distinguer de ces mouvements et se trouver un emblème propre. Prenons par exemple le drapeau du Mouvement européen, le plus répandu.
Bien qu’il soit déjà représentatif d’un projet européen pour beaucoup de citoyens, tout le monde s’accorde plus ou moins sur un détail, et pas des moindres : il est terriblement moche.
Paul Peyraud, homme d’État français, déclare à son sujet : “on dirait un caleçon blanc séchant sur un pré vert”. Un autre estime qu’il ressemble “davantage à un poteau de signalisation qu’à un drapeau”. Le constat est fait : il faut en trouver un autre et il faut qu’il soit beau.
Paul Levy, directeur de l’Information et de la Presse au Conseil de l’Europe, est en charge du projet. Il travaille d’abord avec un conservateur de musée strasbourgeois. Les deux hommes estiment que la croix et les armes de Strasbourg devront être dans l’œuvre finale.
Ils se heurtent à un refus . Impossible d’y faire figurer une croix : la France et la Turquie s’y opposent.
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On se penche alors sur un autre projet, celui d’une constellation d’étoiles. Chacune d’entre elles représentant une capitale européenne, elles figurent sur un fond azur selon leur emplacement géographique sur le continent. Strasbourg se voit mise en avant avec une étoile plus imposante que les autres.
Au final, trop difficile à réaliser : on n’imagine pas des écoliers devoir passer plus d’une heure feutre en main pour tenter de reproduire ce qui au final ne ressemblerait qu’approximativement au drapeau européen.
Le dessin d'un fonctionnaire strasbourgeois
Finalement, c’est un Strasbourgeois qui met tout le monde d’accord. Modeste fonctionnaire européen au service postal, Arsène Heitz est repéré par Paul Levy pour son coup de crayon. Il faut dire que ses collègues lui reconnaissent un talent évident pour le dessin.
Il imagine un cercle de douze étoiles dorées sur un fond bleu. La proposition sera adoptée à l’unanimité.
Le 8 décembre 1955, le “drapeau bleu azur aux douze étoiles d’or” est adopté par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Le 13 décembre de la même année, il est hissé pour la première fois sur le mât de la Maison de l’Europe à Strasbourg.
En 1985, le drapeau est adopté par les institutions de la Communauté européenne (ancêtre de l’Union européenne). Il devient le seul drapeau au monde commun à deux organisations différentes.
Si on le retrouve dans chaque pays de l’Union européenne, il flotte également dans des États qui n’en sont pas membres mais qui appartiennent au Conseil de l’Europe : on peut aussi bien le retrouver en Ukraine qu’en Turquie.
Alors oui, le symbole du drapeau partagé, c’est bien mignon mais, qu’on se le dise, ça n’aide pas du tout dans la tâche ardue d’éviter la confusion entre les deux organisations ! Et figurez-vous que Conseil de l’Europe et Union européenne partagent également le même hymne, mais bon, ça, c’est une autre histoire.
Pourquoi douze étoiles ?
Arsène Heitz, notre fonctionnaire européen / artiste, se vante d’avoir réussi à glisser dans ce drapeau un symbole tout particulier. Fervent catholique, il affirme s’être inspiré d’une représentation répandue de la Vierge Marie pour “faire plaisir à [sa] mère”.
Si cet aspect n’a évidemment jamais été repris par la moindre institution européenne, il a fait l’objet de polémiques politiciennes variées : une fois prétexte à un rejet catégorique de l’idée européenne, une autre dans une tentative de légitimer une xénophobie certaine par des “racines chrétiennes”…
Lors de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des vitraux de la cathédrale de Strasbourg sont démontés pour être placés en sécurité en Dordogne et au Haut-Koenigsbourg. Le vitrail du chœur ainsi que la rosace restent toutefois sur place. Si la rosace passe la guerre sans souci, tel n’est pas le cas du premier vitrail, soufflé par un bombardement.
En 1956, désireux de marquer son ancrage dans Strasbourg, le Conseil de l’Europe offre à la Ville un vitrail visant à remplacer celui détruit.
Le cadeau est une représentation magistrale de… la Vierge, un cercle de douze étoiles flottant au-dessus d’elle.
Symbole de Strasbourg depuis des siècles, cette représentation mariale aux bras grands ouverts orne désormais et pour bien longtemps la cathédrale, couronnée de ce qui symbolise aujourd’hui la paix des peuples d’Europe.
Si la petite histoire de la Vierge Marie peut vous faire sourire (ou polémiquer, c’est vous qui choisissez selon votre humeur), elle n’a rien d’officiel et les étoiles du drapeau européen n’ont pas été adoptées par les organisations européennes pour une quelconque symbolique religieuse.
N’allez pas non plus penser qu’elles seraient liées aux États-membres des institutions qui utilisent le drapeau. En réalité, les douze étoiles du drapeau européen ne varient pas selon les adhésions ou retraits des pays à ces organisations internationales. Elles symbolisent la plénitude, la perfection.
Essayez chez vous, cherchez des exemples. Dans les différentes cultures, coutumes… Bref dans la vie, ce qui est par douze est bien souvent symbole de plénitude et de perfection : les heures du jour, les travaux d’Hercule, les enfants d’Abraham, les mois de l’année, ou encore les escargots au beurre persillé.