Depuis 2010, une vague rose déferle chaque année dans les rues de la ville à l’occasion de la Strasbourgeoise. Au fil des éditions, l’événement s’est fait une place dans le cœur et la vie des habitants et habitantes de la capitale européenne. Il a aussi contribué à changer les regards sur le cancer du sein. Rencontre avec trois femmes strasbourgeoises qui en font un engagement.
Course à pied, marche, expositions, ateliers sportifs, projections, conférences… Chaque année, le programme du mois d’octobre est chargé, à Strasbourg comme ailleurs. Depuis près de 30 ans, le huitième mois de l’année est consacré à une vaste campagne de sensibilisation au cancer du sein.
Né aux États-Unis dans les années 80, Octobre rose a été importé en France en 1994 via un partenariat entre le magazine Marie-Claire et le groupe Estée Lauder. Au départ, il s’agissait essentiellement de mécénat d’entreprise. Aujourd’hui, c’est tout un ensemble d’événements un peu partout en France. Dont la Strasbourgeoise.
Une maladie que l’on ne nommait pas
Médecin au Centre régional de coordination dépistage des cancers Grand Est (CRCDC GE) depuis plus de trente ans, le Dr Catherine Guldenfels intervient sur les stands de prévention du village de la Strasbourgeoise en tant que spécialiste en santé publique. Elle se souvient de la naissance d’Octobre rose et de la multiplication des courses un peu partout en France. Dans l’optique de “lutter pour un meilleur soin du cancer du sein”.
L’organisation d’événements sportifs avait un sens tout particulier. Puisque “l’activité physique régulière joue un rôle important dans la prévention du cancer du sein. Elle est protectrice, et les études indiquent qu’elle diminue les chances de récidives”, rappelle le médecin. Dès leur origine, les différentes courses d’Octobre rose en France, en Alsace et à Strasbourg se sont donc accompagnées de marches, afin de rendre l’événement accessible au plus grand nombre, et adapté aux personnes malades.
Au-delà des fonds qu’ils ont récoltés, ces événements ont surtout permis de sensibiliser le grand public. “Grâce aux courses, on a vu que les gens atteints du cancer du sein étaient vivants. Qu’on pouvait guérir si la maladie était prise à temps. Ça a levé un tabou”, juge Catherine Guldenfels, qui se souvient d’associations de lutte contre le cancer du sein refusant de faire figurer le mot cancer dans leur nom, tant il était imprononçable publiquement.
“Cette année, j’ai fait beaucoup d’interventions en entreprises et j’ai vu des gens qui assumaient d’avoir eu le cancer du sein, qui en parlaient. Ça aurait été inimaginable il y a 40 ans.”
Être à l’écoute
Membre de l’Office des sports de Strasbourg, Maria Hugel est bénévole à la Strasbourgeoise depuis ses débuts. “Octobre, c’est le mois où l’on s’engage le plus. On se sent utile à quelque chose”, glisse dans un sourire celle qui avait “besoin de contact avec les gens” après son départ à la retraite.
Postée au ravitaillement pendant la course, la bénévole se souvient de “l’ambiance particulière” des premières éditions. Quand environ 500 participantes couraient de nuit. Mais aujourd’hui encore, “cette vague rose de femmes qui courent ou qui marchent est un moment vraiment sensible” pour elle.
Son credo ? “Être à l’écoute.” “Chaque édition est une occasion de parler avec des personnes qui ont eu le cancer du sein. Ça a changé mon regard sur la maladie, relève-t-elle. Je ne savais pas vraiment ce que c’était avant. Mais à force de discussion, on apprend”, conclut la bénévole, qui compte bien poursuivre son engagement quelques années encore.
“Si je m’en sors, je la fais.”
Avant cette année, Karine Debargue n’avait jamais participé à la Strasbourgeoise. “J’en avais entendu parler via des collègues de travail qui y allaient tous les ans, mais c’est le week-end et ça ne m’arrangeait pas forcément”, se souvient la quadragénaire. En octobre 2020, on lui diagnostique un cancer du sein. Suivent trois opérations, et 33 séances de radiothérapie. “À chacune d’entre elles, j’avais l’affiche de la Strasbourgeoise sous les yeux et je me suis dit : “si je m’en sors, je la fais.”
Un vrai défi pour la quadragénaire, gênée dans la marche par deux hernies discales. “Mon objectif, c’était d’y arriver malgré le handicap”, se remémore-t-elle avec détermination. En mars 2022, elle commence son entraînement avec les organisatrices de la marche “Martine et ses roses” à Hoenheim – autre initiative Octobre rose. “Au début, c’était l’horreur. Pendant une semaine, je ne pouvais plus marcher.”
En parallèle, Karine Debargue candidate pour devenir la marraine de l’édition 2022 de la Strasbourgeoise. Avec succès. “C’est un honneur d’avoir été choisie, rayonne-t-elle. J’avais envie de représenter les malades, de dire qu’on peut y arriver.” De “rendre ce qu’on m’a donné aussi. Lorsque j’ai appris que j’avais un cancer, j’ai choisi de l’annoncer sur Facebook pour ne pas avoir à le redire plein de fois. Deux proches, anciennes malades, m’ont immédiatement contactée et m’ont prise sous leur aile. Dès que je ne comprenais pas ce que me disait le médecin, je me tournais vers elles. Elles m’ont beaucoup aidée, beaucoup informée. Avant d’y être, on ne sait pas comment se passent les traitements, l’évolution de la maladie… On a juste peur de mourir.”
Cette solidarité entre femmes ayant connu le cancer du sein, Karine Debargue l’a retrouvée tout au long de la Strasbourgeoise. “C’était une montagne d’émotions. J’ai pleuré avant, pendant, après. C’était vraiment touchant de voir tout ce rose.” Touchant de rencontrer les autres marraines aussi. “À chaque événement, il y en avait quatre ou cinq à mes côtés. Elles m’ont, elles aussi, beaucoup soutenue. Cela me porte, me donne de la force. Ça me fait beaucoup de bien de voir à quel point elles sont actives, sportives et engagées.”
Pour Karine Debargue, être marraine de la Strasbourgeoise est un engagement qui s’inscrit dans le temps. “Ce n’est pas juste pour une année. Cela continue après, on devient une famille.”
Fin novembre, le chèque de la Strasbourgeoise sera remis au Centre régional de coordination dépistage des cancers Grand Est, bénéficiaire des dons de cette édition 2022. Afin de toujours mieux soigner la maladie. De mieux la dépister aussi. La somme récoltée devrait servir à financer un buste de palpation, pour apprendre aux femmes à détecter les irrégularités dans leurs seins. Un savoir à acquérir dès 25 ans.