Jusqu’en juin dernier, selon une enquête publiée par La Croix en 2020, 2 400 femmes célibataires ou en couple lesbien se rendaient chaque année en Belgique ou en Espagne pour faire un bébé. Nous sommes allés à la rencontre d’une jeune alsacienne de 28 ans, Amandine, qui a fait une PMA en Espagne au printemps de cette année. À l’approche de la grande rencontre avec son enfant, elle nous a raconté son parcours pour faire un bébé toute seule.
Le 29 juin dernier, la nouvelle loi de bioéthique a été définitivement adoptée par le Sénat, en France. Cette loi permet l’élargissement de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules. La PMA, Procréation Médicalement Assistée, était jusque-là réservée aux couples hétérosexuels souffrant d’infertilité. Un assouplissement bienvenu, car selon une étude publiée par l’INED (Institut National d’Études Démographiques) en 2018, en France une naissance sur trente est le fruit d’une fécondation médicalement assistée.
Construire une vie à 2 + 1
Amandine nous reçoit chez elle, dans son petit cocon rose, où sont disséminés les meubles en cours de montage en prévision de l’arrivée de son bébé. La jeune femme de 28 ans, épanouie dans sa vie personnelle et professionnelle, nous explique qu’il ne manquait qu’un enfant pour compléter son bonheur : “Je me suis toujours senti mère, très tôt, dès mes premières règles”.
La future maman ne parle pas du déclenchement de son horloge biologique, mais plutôt d’une remise en question profonde et d’un désir amplifié par une rupture difficile : “L’idée a germé il y a quatre ans, lors d’une séparation. Cette histoire qui venait de se terminer m’a poussée à remettre en question la relation homme-femme, la place de l’enfant dans le couple malheureux […] je n’arrivais pas à avancer dans mes relations amoureuses, à cause de ce désir d’être mère. À chaque fois que les choses devenaient sérieuses, j’étais bloquée. Je suis une angoissée de la rupture, la séparation, la garde alternée… Du coup, je revenais constamment au point zéro. J’ai donc retourné le problème dans l’autre sens et je me suis dit qu’au lieu d’avoir quelqu’un pour faire un bébé, j’allais faire un bébé pour pouvoir ensuite avancer librement dans mes relations amoureuses”.
La situation d’Amandine est assez atypique, puisqu’elle est en couple avec un homme, qui n’est donc pas le père de son petit garçon : “Mon compagnon a compris ma démarche, et me soutient dans mon projet. Il m’a proposé d’être là, de m’accompagner dans cette aventure”.
La jeune femme ne souhaitait pas faire un enfant avec son compagnon actuel, car cela impliquait un engagement trop fort qu’elle n’avait pas encore envie d’assumer, par peur de la suite : “Ma maman est restée avec mon père pour mon frère et moi. Elle était malheureuse et ça a traumatisé mon enfance. C’était présent, c’était dit, qu’elle restait pour nous. Je refusais de reproduire cela. Mais l’inverse, c’est la séparation, ce qui implique d’autres problématiques : les gardes alternées ou la relation avec la nouvelle compagne du père de mes enfants…”
Elle souligne que sa situation actuelle ne ferme pas les portes à un avenir commun avec l’homme qui partage sa vie aujourd’hui : “Cette PMA ne m’empêche pas d’avoir des enfants avec mon compagnon si je le souhaite, ma vie de maman peut encore bouger”.
Le parcours d’une vie
Comme de nombreuses femmes qui ont recours à la PMA, Amandine souligne que sa situation est davantage liée à un parcours de vie qu’à une volonté ancrée depuis toujours de faire un enfant seule: “Plus jeune, quand on me demandait comment je voyais l’avenir, je ne voyais pas les choses comme ça. À 16 ans, ce n’était pas mon rêve de faire un bébé toute seule. Mais les choses se sont faites ainsi pour moi et je suis très heureuse. Je ne dis pas que toutes les femmes doivent suivre mon exemple, mais dans mon cas, je suis convaincue que c’était le bon chemin à suivre.”
Pour suivre le bon chemin, la jeune femme a fait le choix de la PMA dans une clinique, car elle avait envie d’un parcours balisé, afin d’être encadrée, mais surtout de protéger son enfant : “Il y avait plein de solutions pour faire un enfant seule : l’ami, l’insémination artisanale, faire un enfant dans le dos d’un homme […] Ces solutions ne me convenaient pas et je n‘avais pas envie que quelqu’un retourne sa veste un jour, et demande à être reconnu comme le père. Je voulais que les choses soient cadrées et que mon enfant et moi soyons protégés. J’ai préféré la PMA à l’adoption, car les démarches sont simplifiées et que j’avais envie de vivre une grossesse.”
Le bon chemin, dans le cas d’Amandine, a impliqué de traverser les frontières hexagonales et de se rendre en Catalogne. Le choix de la clinique a demandé à la future maman quelques recherches et un peu de patience. Elle savait cependant qu’elle voulait se tourner vers l’Espagne : “J’ai choisi l’Espagne, car les donneurs sont anonymes, ce qui était très important pour moi”. Après avoir contacté une première clinique qui lui a refusé la PMA, car elle est porteuse d’un gène du cancer du sein, Amandine a finalement trouvé son bonheur dans une clinique barcelonaise : “J’ai choisi une clinique à Barcelone, parce que c’est une ville que je connais, il y a un côté rassurant”. Covid oblige, les premiers entretiens se sont fait en visio, ce qui n’a pas empêché un premier contact chaleureux et engageant. La décision d’Amandine n’en a été que consolidée.
Commence alors la procédure habituelle de préparation à l’insémination : “Avant l’insémination, j’ai eu un cycle test pour voir comment et quand j’ovule. J’avais le choix de prendre des stimulants hormonaux avant l’insémination si je le souhaitais. La stimulation peut augmenter le risque de grossesse multiple, mais j’ai choisi de prendre le risque. Sur dix jours, je me suis fait des piqûres dans le ventre avant de me rendre à la clinique.” Tout s’est enchaîné très vite dans un grand engrenage nourri par l’excitation d’être arrivée à Barcelone seule et de peut-être, rentrer à deux : “Je suis arrivé à la clinique le matin de ce 4 avril 2021, j’ai été reçu, on m’a demandé si tout allait bien, si j’étais sûre de moi. Je me suis allongée, on m’a inséminée, je suis restée couché quelques minutes et puis j’ai repris la route direction la France […] Bon il n’y a rien de sensuel et de sexy dans cette procédure, c’est très médical ! (rires)”
“Je serai transparente avec mon fils sur la manière dont il a été conçu”
“Après l’insémination et avant le premier test, ce sont les treize jours les plus longs de ta vie”. Une fois de retour en France, il lui a fallu patienter quelques jours avant le premier test de grossesse qui devait, ou non, confirmer le succès de la PMA : “Je n’ai pas tenu et évidemment j’ai fait un test au bout de dix jours” plaisante Amandine. Les premiers tests n’étant pas précis, l’angoisse montait et avec, tous les questionnements qui l’accompagnent.
Au bout des treize jours réglementaires, la nouvelle tombe : Amandine est enceinte. La première insémination a donc été la bonne, ce qui n’a fait que conforter la maman dans le fait qu’elle a emprunté le bon chemin. “À ma première échographie, mon gynécologue m’a dit que je ne fais pas les choses à moitié […] Il m’a montré l’écran, puis l’a retourné vers lui et m’a dit qu’il allait compter combien il y avait d’embryons. Je suis devenue livide, j’en ai perdu mes mots ! Et là, le spécialiste a rigolé. C’était une blague !” Il n’y avait bien qu’un seul embryon, un petit garçon comme elle l’apprendra quelques semaines plus tard.
Pour le choix du donneur, Amandine n’a pas eu à le sélectionner sur catalogue, contrairement aux idées que peut véhiculer l’imaginaire collectif : “La clinique que j’ai choisie fait des choix très éthiques. Avant l’insémination, je ne savais rien du donneur, on est sur une relation de confiance aveugle avec la clinique qui l’a choisi pour moi. Les critères étaient simples : le donneur devait avoir les mêmes caractéristiques physiques que moi : brun aux yeux bruns, mais aussi le même groupe sanguin. Ce n’est qu’après l’insémination que j’en ai appris plus sur lui. Je sais par exemple qu’il a 20 ans et mesure 1m87”.
La future maman ne souhaite pas entourer la conception de son fils de mystère et elle sait déjà qu’elle lui parlera sans tabous de la PMA, avec des mots d’enfants. Il pourra choisir seul qui incarne pour lui une figure paternelle dans sa vie : “Je serai transparente avec mon fils sur la manière dont il a été conçu. Quand il rentrera de l’école en me demandant qui il doit mettre en “Parent2” sur les fiches de scolarité, il mettra ce qu’il veut, mon compagnon, son parrain ou même Buzz L’Éclair !”
Construire un avenir commun
À six semaines de son accouchement, Amandine se sent sereine. Sa grossesse s’est bien déroulée et elle n’a jamais remis en doute son choix. Son entourage s’est montré enthousiaste au sujet de sa décision. Elle s’est sentie épaulée et accompagnée dans cette aventure : “Mon entourage a super bien réagi. J’ai eu que des bons retours de ma famille, de mes amis et de mes collègues […] Des amies enceintes ou mamans ont essayé de me mettre en garde en m’expliquant que ça ne serait pas toujours facile, mais c’était plutôt par bienveillance […] Par ailleurs, le fait que mon compagnon me soutienne, m’a aussi beaucoup aidé. C’est important pour moi, surtout à la fin de ma grossesse, ces petits moments à deux, où il s’endort avec une main sur mon ventre, ou qu’on regarde un film ensemble le dimanche après-midi”.
Amandine a la sensation d’avoir vécu une très belle expérience et se sait chanceuse que tout se soit aussi bien passé pour elle. Elle a conscience que certaines femmes rencontrent des difficultés à faire un bébé, même après plusieurs PMA, ou doivent faire face à un entourage hostile. Cet environnement de bonheur ne lui fait pas perdre le Nord pour autant.
Elle ne veut pas se projeter trop vite et continue de vivre au jour le jour : “Pour l’avenir, je ne veux pas me projeter dans un idéal qui n’existera peut-être pas. Tout dépend des événements. Est-ce que ça sera un bébé calme, un bébé qui a des complications ? Tout se fera au fil de l’eau. Je vais me laisser porter jusqu’à l’accouchement et le peu de temps auquel j’ai droit avec mon congé maternité. Tout ce que je peux faire pour l’instant, c’est commencer à m’organiser pour la reprise du travail, avec les grands-parents et la crèche […] on va commencer notre vie à deux dans mon appartement, de temps en temps à trois avec mon compagnon, qui viendra certains soirs. Et on verra où cela nous mène. Et pourquoi pas finir par s’installer à quatre, mon fils, moi, mon compagnon et son fils ?”