Malgré les kilomètres de distance qu’ils mettent entre eux et le contexte de conflit qu’ils ont quitté, les réfugiés ukrainiens n’échappent pas aux conséquences psychologiques engendrées par un tel choc. À Strasbourg, depuis l’arrivée des premiers Ukrainiens qui fuient la guerre dans leur pays, les professionnels de la CUMP du Bas-Rhin (cellule d’urgence médico-psychologique) proposent une prise en charge psychologique, pour tenter panser les blessures qui ne se voient pas.
Accueillis à la salle de la Bourse, qui sert de lieu d’orientation et de prise en charge depuis mars dernier, les réfugiés ukrainiens qui arrivent à Strasbourg accèdent à un dispositif qui prévoit une aide administrative, médicale, mais aussi psychologique. Pour cette dernière, c’est la CUMP du Bas-Rhin qui prend en charge les concernés. Certains la demandent d’ailleurs spontanément. Et pour les autres, un repérage systématique est effectué par le personnel médical présent sur place.
“On regarde si les personnes présentent des facteurs de risques et en fonction on leur propose ou non. Pour d’autres, c’est nécessaire puisqu’il s’agit de personnes qui étaient suivies dans leur pays ou qui avaient un traitement. Une fois arrivées en France, il y a donc une rupture thérapeutique.” explique Dominique Mastelli, responsable de la cellule du Bas-Rhin. “Ça peut concerner les personnes qui ont un trouble du spectre autistique ou qui n’ont plus eu accès à leur traitement et qui font donc une décompensation à leur arrivée.” précise-t-il.
Concrètement, toutes les personnes qui arrivent à la salle de la Bourse sont informées de la possibilité d’aide psychologique. Ensuite, 75% sont repérés par les professionnels présents sur place et 1⁄4 des personnes le demandent. Et parmi cette population, 7% de personnes relèvent de soins psychiatriques, la moitié à cause de troubles préexistants et l’autre moitié causé par les événements. “Au début, quand on était au pic, c’était 15%” indique le docteur Mastelli.
Il est aussi rare que des médicaments soient prescrits. “La plupart du temps, on engage une psychothérapie avec les enfants, on joue avec des Playmobil, on les fait dessiner, on voit tout de suite les enfants qui sont touchés. Si on arrive à les sortir de cet état, un enfant qui finit par jouer, par rire, c’est déjà qu’il va mieux ou bien.” Le psychiatre reconnaît humblement : “Dans la majorité des cas, on est plus des passeurs de facteurs de résilience, que des donneurs d’outils. Souvenez-vous de ce que dit l’adage : le médecin soigne, la nature guérit.”
Des symptômes liés au traumatisme, qui s’expriment seulement une fois en sécurité
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la plupart des personnes exposées à la guerre ou à des situations extrêmes sont préservées tant qu’elles sont dans l’action et en expriment seulement les symptômes une fois qu’elles sont à l’abri. “Ça peut paraître fou, mais dans la majorité des cas, les troubles psycho-traumatiques s’expriment plus tard, une fois qu’on est en sécurité.” révèle Dominique Mastelli.
Dans les faits, la personne peut ne plus réussir à dormir, avoir des cauchemars, ou encore des stéréotypies, donc les mêmes mouvements répétés inlassablement, comme par exemple une maman qui va langer son bébé 15 fois par jour : “Pour elle, ça va être sa façon d’en prendre soin malgré la situation.”
Mais ça peut aussi bien être des troubles cognitifs de la mémoire ou de l’organisation comme des personnes qui vont venir pour faire leur papier et réguler leur situation administrative plusieurs fois, ou encore de l’agressivité ou de la violence. Dans ces cas-là, c’est les personnels de santé sur place ou l’accompagnateur administratif qui vont devoir détecter que ce comportement n’est pas anodin, mais bien un symptôme.
Une hiérarchisation des besoins
“Le plus important à prendre en compte dans la prise en charge de ces personnes, c’est qu’il y a un ordre à respecter. À la cellule médico-psychologique, on a la modestie de savoir que la priorité, ce sont avant tout les besoins vitaux.” reconnaît Dominique Mastelli. Avant de débuter la prise en charge psychologique, les professionnels s’assurent donc que ce premier cadre soit stabilisé. Concrètement, il s’agit de mettre à jour la situation administrative de la personne, de lui proposer une aide médicale en cas de blessure, un logement en sécurité et d’assurer les besoins physiologiques avec une bonne alimentation et du sommeil. “On commence avec du concret, du plus matériel au plus abstrait et du plus général au plus particulier.” ajoute le psychiatre.
Et dans le cas des réfugiés ukrainiens, comme les hommes de 18 à 60 ans ont interdiction de quitter leur pays, ce sont majoritairement des femmes, parfois sur plusieurs générations et des enfants qui arrivent à Strasbourg. Un facteur que les professionnels de santé doivent prendre en compte : “Par exemple, les parents vont toujours vous dire qu’ils vont bien. Ils vont vous dire “occupez-vous de mon bébé”. Il faut se baser sur leur ordre de priorité. Pour certains, c’est une demande indirecte, parce qu’inconsciemment ils veulent qu’on s’occupe d’eux. Mais il faut d’abord prendre en charge l’enfant avant d’essayer d’apporter une aide à la maman.”
Les membres de la CUMP vont donc évaluer la situation de l’enfant en priorité. Et celle-ci repose essentiellement sur la santé de celui sur lequel il doit s’appuyer : “La psychotraumatologie, c’est une psychiatrie qui étudie la famille. Si la maman n’est pas bien, il y a un risque pour l’enfant.”
À Strasbourg, une réactivité exemplaire, mais des professionnels épuisés
D’après le docteur Mastelli, le professionnalisme et l’expérience des professionnels strasbourgeois ont permis d’être particulièrement réactif et efficace dans la prise en charge des réfugiés ukrainiens. Ces dernières semaines, le dispositif d’accueil de la salle de la Bourse a d’ailleurs été adapté suite à la diminution du flux des arrivées. Strasbourg est passé de plusieurs centaines de nouveaux arrivants ukrainiens par jour, à des dizaines. Mais Dominique Mastelli n’exclut pas qu’il faille à nouveau augmenter la présence des équipes : “On n’a pas de visibilité. Ça pourrait potentiellement se dégrader à nouveau.”
Mais les forces mobilisées sont épuisées. Selon le responsable de la CUMP 67, les services disposent de la moitié des personnes disponibles. “¼ sont en récup’, d’autres sont en arrêt. Après le Covid, la prise en charge des réfugiés afghans et aujourd’hui les populations ukrainiennes qui fuient l’invasion russe, c’est critique.”