Vous vous êtes déjà demandé pourquoi il y avait autant de rues-du-marché-quelque chose à Strasbourg ? Pourquoi certaines artères ont des dates en guise d’intitulé ? Nous aussi, on s’est posé la question. Alors on est allé gratter sous les pavés pour trouver la petite histoire derrière les noms des rues les plus emblématiques de la capitale européenne. Aujourd’hui, direction la rue des Échasses !
À Strasbourg, c’est une rue que peu de personnes connaissent. Sauf, peut-être, celles et ceux qui ont déjà cherché à éviter le carrefour entre la rue du Dôme et celle des Juifs, un samedi de marché de Noël. Située entre les deux artères susmentionnées, la rue des Échasses est étroite et discrète. Seuls deux commerces y ont pignon sur rue. Et on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement attractive d’un point de vue touristique.
Pourtant, fut un temps où les allées et venues étaient nombreuses dans cette ruelle. Au XVIe siècle notamment, lorsqu’elle abritait l’une des organisations les plus puissantes de Strasbourg : la tribu de l’Échasse. Aussi appelées corporations, les tribus de la ville étaient de véritables organisations socio-professionnelles, chargées de défendre les intérêts des métiers qui les composaient et de les règlementer. Strasbourg en dénombre vingt. Au XIVe siècle, elle prenne une importance croissante dans la vie de la cité et sont notamment chargées de défendre la ville.
Le siège des orfèvres
Parmi les corporations de Strasbourg, il en est une particulière riche et puissante : celles des orfèvres, peintres, verriers, et plus tard, imprimeurs et horlogers. Contrairement aux membres des autres tribus, ceux de l’échasse ont le droit de porter l’épée pour défendre la ville. C’est un privilège rare. Entre 1350 et 1450, huit amnestres – premier magistrat de la ville, équivalent du maire aujourd’hui – sont issus de cette corporation, selon le Dictionnaire historique des institutions d’Alsace.
Chacune des tribus a son lieu de réunion, où sont discutés les litiges, reprises d’activité, et entrées en apprentissage des jeunes à partir de 14 ans. Ce lieu – que l’on pourrait aujourd’hui comparer à un centre administratif – est le « poêle » de la tribu. Celui de la corporation des orfèvres est d’abord situé, au XIIIe siècle, dans une maison portant le drôle de nom d’ « homme aux béquilles » ou Stelzer, selon le Dictionnaire historique des rues de Strasbourg. Par glissement, cette bâtisse devient ensuite l’échasse, ou Stelz, et donne son nom à la tribu qui s’y réunit.
Lorsqu’il se déplace au 15 de l’actuel rue du Dôme, le poêle donne sur une ruelle à l’arrière, qui devient la rue des Échasses. Le nom de cette tribu peut prêter à sourire, mais l’apprentissage des orfèvres y est exigeant. Au XVIIIe siècle, la renommée de l’orfèvrerie strasbourgeoise dépasse les frontières de l’Alsace, grâce à la qualité de son vermeil et à ses formes particulières. Les grandes familles de la tribu de l’échasse sont sollicitées par des dignitaires de la ville et des grands seigneurs allemands pour des pièces sur mesure. Il est aujourd’hui possible d’en découvrir quelques unes au musée des arts décoratifs de Strasbourg, situé au sein du Palais Rohan.
Si vous avez de passer rue de l’Échasse, ayez donc une pensée pour les creusets qui y ont été chauffés, l’or qui y a été fondu, et les pierres précieuses qui y ont été enchâssées. Sous les pavés d’une rue paisible peut se cacher une histoire des plus surprenantes.