Doté tout à la fois de beaucoup d’inventivité, d’imagination et d’une belle sensibilité, l’Alsacien Vortex n’est pas un sculpteur des plus classiques. Passionné de science-fiction et grand bricoleur, il fait de l’art avec des petits riens : bouts de ferraille, de caoutchouc, de plastique… Il pioche dans nos poubelles et dans les siennes, pour créer des créatures uniques venues d’un autre monde, avec les déchets du nôtre.
À Breuschwickersheim, à 15 min de Strasbourg, se cache une drôle de collection. Sous les doigts habiles et l’imagination fertile de leur créateur, Vortex (l’alias d’Adrien Vinet), naissent des petites bestioles bricolées à partir de morceaux de métal ou de plastique trouvés ça et là. Des riens qui suffisent à donner vie à un univers fantastique et futuriste ultra créatif.
C’est gamin, lors de longues vacances d’été passées chez une grande tante, que le jeune Adrien commence à « fabriquer des robots à partir de petits objets jetés avec tout ce qu'[il] pouvai[t] trouver : stylos, câbles, fils de fer, cartouches d’encre, pinces à linge, etc. ». Des matériaux en tout genre qu’il récolte alors dans une « boîte aux trésors » qu’il retrouve un jour, désormais adulte et papa, avec ses enfants. Lui revient l’idée et l’envie de se « replonger dans la création de robots et personnages à partir d’objets de tous les jours [afin] de leur montrer que l’on pouvait être créatif avec ce que l’on avait sous la main et créer ses propres héros ou créatures en recyclant. Le déchet redevenait important et devenait une source de création ! ». Jusqu’à rapidement « pousser le concept encore plus loin et donner une dimension originale et artistique à ces sculptures ». Adrien Vinet devenait Vortex.
Le plastique, c’est fantastique ?
Si Vortex use des déchets, dans la vie de tous les jours, Adrien les limite : « Consommer à outrance me dérange à titre personnel. De part ce que l’on retire à notre environnement et ce que l’on rejette sous une forme transformée plus insidieuse. […] Ne dit-on pas que le déchet le plus écologique est celui que l’on ne produit pas? ».
Si l’art de la récup’ n’est pas nouveau, l’une des tendances actuelles (en mode, déco ou autre) est à l’upcycling [ndlr : surcyclage en français, soit un recyclage qui passe par la revalorisation du produit]. « Espérant que ce soit un mouvement de fond et pas seulement une mode passagère », Vortex développe : « Finalement, tout comme notre société qui va devoir évoluer avec la raréfaction de certaines ressources, une partie de l’art peut tout à fait suivre ce chemin et porter ses messages et ses émotions avec la contrainte de matériaux limités, transformés et usés ».
Rajoutant, pour sa propre pratique que « dans une société de consommation massive, on oublie vite tout ce que l’on jette au quotidien, et si ces sculptures peuvent permettre au spectateur de prendre du recul sur ses habitudes de consommation, sans être non plus moraliste, alors c’est un premier pas. Il est même possible que certaines sculptures viennent hanter le spectateur, comme des vestiges de leur intimité mis au rebut et qui s’animeraient de nouveau sous une forme parfois plus inquiétante… ».
Alors pour trouver de quoi remplir son stock, Vortex a souvent l’œil qui traîne. Lors de ses promenades familiales « où la découverte de petits déchets deviennent une chasse au trésor », dans ses propres poubelles, ou dans celles de ses proches qui lui font don d’objets inutiles… S’il est content de pouvoir revaloriser ces détritus, même « qu’une partie infime », il confesse que « ce qui [lui] fait le plus mal au cœur, ce sont les petites décharges à ciel ouvert qui fleurissent ici et là et qui polluent l’environnement et le paysage »
Fantastic Mr. Vortex
Au-delà de l’aspect écologique, Vortex trouve aussi « qu’il y a une vraie poésie à donner une seconde vie à des objets oubliés et jetés. […] Ce genre d’art [ndlr : celui de la récupération] est fabuleux, il est illimité et en même temps possède d’énormes contraintes. En effet, les déchets plastiques ou métalliques de toutes sortes ne manquent pas mais sont toujours différents, ce qui apporte un défi artistique très intéressant. Au final, il n’existe pas deux pièces identiques, et l’imagination est la seule limite ».
Et l’imagination, ce n’est pas ce qui lui manque, à Vortex. Plongé dès ses 7-8 ans dans l’univers du Seigneur des Anneaux, ce « grand rêveur », comme il se décrit,continue d’être inspiré par les œuvres de science-fiction et de fantastique. Il cite ainsi Edgar Allan Poe, H.P. Lovecraft, Philip K. Dick (l’auteur de Blade Runner, Total Recall, Minority Report…), l’univers graphique de HR Giger (derrière l’univers visuel d’Alien de Ridley Scott), Tsutomu Nihei (avec sa série manga Blame !), Robert Kirkman (et sa BD The Walking Dead)…
Comme un génie un peu fou de littérature fantastique, pas loin d’un Dr. Frankenstein des temps modernes, Vortex parle d’un assemblage « instinctif », voire « biologique » par moments : « Parfois, les matériaux s’assemblent d’eux-mêmes, sans idées préalables, c’est comme si j’étais au service de ces rebuts et qu’ils prenaient vie sans une volonté claire de ma part ». Il commence ainsi par le squelette en fils de fer, puis « les couches successives de fils de fer, plaques de fer, câbles, plastiques, clous, vis, etc. [qui] viennent apporter de la consistance et le style général. Enfin, il y a les finitions, par petites touches qui donnent le caractère ».
Mais là où réside toute l’énergie et la sensibilité de ses personnages, c’est au travers de la position de ceux-ci, qu’il travaille « assez tôt », notant que « ce sont les postures qui permettent d’insuffler une histoire et une émotion à chaque pièce », puis les photos finissent de rajouter le supplément d’histoire à chacune de ses créatures. Pour le reste, c’est entre le spectateur et la créature que cela se passe : « À partir du moment où mes sculptures sont terminées, c’est comme si elles ne m’appartenaient plus. J’aime laisser le spectateur s’approprier ce qu’il découvre, imaginer le sens et [leur] histoire pour qu’elles lui parlent au travers de sa propre sensibilité ».
Vous ne verrez probablement plus jamais votre vieille paire d’écouteurs du même œil. Ni même votre boîte à outils où se perdent écrous rouillés et fils de fer emmêlés : une créature en pièces détachées se cache peut-être déjà dans vos déchets, prête à émerger. Après L’invasion des profanateurs de sépultures, voici celle… de nos ordures. Bienvenue dans le monde fou de Vortex, aux frontières de notre réel.
Vortex
Fanny Soriano