Cet été, nous sommes partis à la rencontre des petites bêtes avec lesquelles nous cohabitons sur le vaste territoire alsacien. Pour préserver la faune alsacienne, il faut d’abord la connaître. Alors qu’il s’agisse d’espèces menacées ou parfois considérées comme nuisibles, elles partagent toutes ce même lopin de terre et méritent à ce titre une attention toute particulière. Troisième rencontre : la chouette chevêche.
La chouette chevêche est originaire du pourtour méditerranéen. Ce n’est qu’au Moyen Âge, qu’elle migre en Alsace à la conquête de nouveaux territoires, pour profiter du déboisement et du défrichement que la région subit à cette époque. Installée principalement dans les milieux ouverts, on la trouve donc dans les vergers traditionnels, avec des arbres fruitiers ou dans des milieux plus humides pourvus de vieux saules. C’est donc l’humain qui a permis au cours de l’Histoire, l’implantation de cette espèce dans notre région.
En Alsace, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) œuvre pour protéger la chouette chevêche, en réalisant un suivi de l’espèce sur le territoire et en coordonnant la pose de nichoirs. Dominique Bersuder est membre de l’association et a accepté de nous emmener à bord de son 4×4 pour le baguage de sa dernière nichée de la saison. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur celle qu’on appelle la déesse aux yeux d’or.
L’auxiliaire rêvée de l’agriculteur et du jardinier, pourtant menacée
La chouette chevêche ou chevêche d’Athéna est une des plus petites d’Europe : environ 22 cm à l’âge adulte. Mais malgré sa petite taille, il s’agit là d’un redoutable prédateur. Un seul couple peut ainsi consommer jusqu’à 3 000 campagnols par an. Mais ce rapace se nourrit également d’insectes dits “nuisibles” ou bien néfastes pour les cultures. C’est pourquoi elle constitue le parfait allié pour tout agriculteur ou jardinier. Catégorisée en tant que rapace nocturne, elle n’hésite pourtant pas à chasser en plein jour lorsque c’est nécessaire, ou bien sortir de son nichoir dès que le soleil se couche, au moment du crépuscule.
Protégée depuis 1976, il est interdit (si l’on ne dispose pas d’autorisation) de manipuler la chouette chevêche, de la transporter, ou évidemment de la dénicher, ou de la tuer. S’il en est ainsi depuis une quarantaine d’années, c’est parce que la chevêche était particulièrement menacée : au milieu des années 90, la population était au plus bas. On estime qu’il ne restait plus que 150 couples présents sur toute l’Alsace. “Elle a beaucoup souffert des remembrements. Paradoxalement, c’est une espèce qui a profité de l’agriculture extensive, une certaine forme d’agriculture lui a été bénéfique. Mais c’est l’agriculture moderne intensive, avec les pesticides utilisés qui sont entre autres, responsables de sa disparition.” explique Dominique Bersuder. Il estime que la transformation du monde agricole de l’après-guerre constitue l’un des principaux facteurs ayant entraîné la régression de 50 à 80% des chevêches.
Par ailleurs, en tant qu’espèce cavernicole (vivant dans l’obscurité), la chevêche d’Athéna a besoin de vieux arbres au sein desquels se nicher. Elle privilégie des fruitiers ou bien de vieux saules qui offrent des cavités naturelles. Mais ces arbres ont peu à peu disparu de la région car ils ont perdu leur utilité (à l’époque, ils étaient utilisés pour confectionner des sabots en bois, pour consolider les berges des cours d’eau, combler des fossés, etc.). De plus, les événements de sécheresse ou de canicule liés au réchauffement climatique participent aussi à leur dépérissement. Pourtant, ils jouent encore un grand rôle dans notre éco-système. Sans eux, la chouette chevêche se retrouve alors sans cavité naturelle dans laquelle elle peut se nicher et se reposer dans l’obscurité, à l’abri des prédateurs. Pour sauver l’espèce de l’extinction, des actions concrètes ont alors été mises en place, comme la pose de nichoirs dans les arbres.
Des nichoirs pour remplacer les cavités naturelles
Depuis maintenant une quinzaine d’années, la Ligue pour la protection des oiseaux est engagée dans un programme de pose de nichoirs pour compenser l’absence de cavités naturelles. Au total, près d’un millier sont installés sur toute l’Alsace et mobilisent une soixantaine de bénévoles. En règle générale, on installe deux nichoirs à proximité l’un de l’autre. Ainsi, sur un même territoire, la chevêche a la possibilité d’en choisir l’un ou l’autre. Il faut également porter une attention toute particulière au terrain, par exemple en élaguant les saules, en les nettoyant régulièrement, afin d’éviter que les branches cassent et emportent avec le nichoir.
Blottis dans le nichoir, les jeunes, appelés “petits blancs” aux allures de boules de coton (jusqu’à leur 5ème jour, avant de devenir gris), ne sortent pas le bec de leur abri avant environ un mois. Le nichoir est donc essentiel pour qu’ils soient protégés des prédateurs et puissent attendre sagement que leurs parents leur apportent les proies qu’ils auront chassées. Ils sortent ensuite une semaine avant de savoir voler et dépendent encore de leurs parents pour se nourrir. Enfin, ils vont explorer les alentours et découvrir leur territoire, qui s’étend généralement sur un rayon de 200 mètres maximum.
“Chaque année, on a plus en plus de jeunes, et tant mieux ! On a de plus en plus de couples, puisque l’espèce est en progression depuis une quinzaine d’années, grâce justement à la pose des nichoirs. C’est ça la principale raison de l’augmentation de la population en Alsace.” confirme le membre de la LPO. En 2020, on estime qu’entre 600 et 700 couples sont présents sur le territoire alsacien, alors qu’on n’en comptait une centaine dans les années 90.
Le baguage : un moyen efficace pour étudier la population
En France, seule une quinzaine de personnes baguent les chevêches et en Alsace, elles sont moins de dix à pouvoir exercer cette activité très réglementée. Dominique Bersuder précise : “On ne devient pas bagueur par hasard. Il faut une autorisation pour ça. Ça demande une formation pratique et théorique. Formation qui est validée par un permis de baguage qui est lui renouvelé tous les ans. C’est très réglementée en France puisqu’on travaille sur des espèces sauvages et en l’occurrence sur des espèces protégées.” Le baguage demande donc beaucoup de précision, et d’autant plus lorsqu’il s’agit de baguer des jeunes chevêches durant la saison estivale. La période de reproduction a lieu les mois d’avril et mai et la femelle couve ensuite pendant 28 jours. Une fois à l’extérieur de leur œuf, les jeunes sont baguables entre le 18ème et le 30ème jour. Idéalement, on vise le 21ème ou bien le 22ème jour. L’objectif, c’est de baguer l’oiseau avant qu’il puisse voler. Les bagues sont délivrées par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et chacune dispose d’un numéro alphanumérique unique. Le bagueur doit alors attraper le rapace et le tenir par ses serres afin de fixer le petit objet autour de sa patte. Il faut aussi préciser, qu’à l’inverse des cervidés, les oiseaux n’ont pas d’odorat (mis à part les vautours), il n’y a donc pas de risque d’imprégnation, qui inciterait les parents en abandonner les petits.
Mais une fois la délicate opération réalisée, il reste encore bien d’autres vérifications à mener. Un protocole national strict à respecter car les opérations de baguage se font en collaboration avec le département Physiologie Animale du CNRS de Strasbourg. Dominique Bersuder effectue donc quelques prélèvements et plusieurs mesures biométriques. Quelques plumes de chaque individu permettront de déterminer le sexe de l’oiseau et de faire des études plus poussées au niveau génétique. On mesure ensuite la longueur tête-bec, celle du tarse et celle de la 3ème rémige, qui permettra quant à elle, de déterminer l’âge exacte du jeune. Toutes les données sont notées et envoyées au CNRS.
“L’avantage du baguage, c’est principalement d’avoir une idée du taux de survie des oiseaux. Ensuite, le baguage va aussi nous donner une idée de la proportion de jeunes qui vont être recrutés pour remplacer les adultes qui sont morts dans l’année. Et troisième point, le plus important pour nous, c’est d’avoir une idée précise de la dispersion de ces jeunes oiseaux.” indique le membre de la LPO. Cette année, ce ne sont pas moins de 200 jeunes qu’il a pu baguer, contre 166 l’an dernier. Et comme de plus en plus de couples sont présents chaque année, Dominique Bersuder n’est pas prêt de lever le pied.
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Photo de couverture : Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux