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HEAR et Conservatoire de Strasbourg : un professeur accusé de viol et tentative de viol

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TW - sujet sensible : automutilation et violences sexuelles

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Professeur de clarinette au sein de la HEAR et du Conservatoire de Strasbourg, Jean-Marc Foltz est visé par deux plaintes de la part de deux anciennes élèves. Une enquête administrative est actuellement menée par l’Eurométropole de Strasbourg. Dans l’attente des conclusions, l’enseignant a été suspendu à titre conservatoire. Il ne fait l’objet d’aucune condamnation et reste présumé innocent.

« Mon quotidien est devenu invivable » confie Agatha*. Après avoir alerté la HEAR (Haute école des arts du Rhin) sur le comportement de son professeur de clarinette, la musicienne a sombré dans une dépression et a enchaîné les arrêts maladie. Aujourd’hui, elle explique avoir entamé un long travail de reconstruction. 

L’ancienne élève de la HEAR et du Conservatoire de Strasbourg, a fréquenté Jean-Marc Foltz durant cinq ans, en tant que professeur, mais aussi en tant que compagnon durant un an et demi. D’après son témoignage, le clarinettiste et son élève ont entretenu une relation à partir de décembre 2016. À l’époque de leur rencontre, Jean-Marc Foltz a 48 ans et Agatha* 25 ans.

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cité de la musique
© Hugo Favre - Napoli / Pokaa

Après avoir passé son récital et terminé son cursus au Conservatoire, Agatha* explique avoir eu une prise de conscience brutale : « J’ai commencé à avoir des souvenirs traumatiques, des flashs de souvenirs oubliés et des prises de conscience des violences que j’avais vécues, notamment des viols. » Agatha* a porté plainte en décembre 2023, pour « violence sur conjoint ».

Le 22 avril dernier, suite à la publication de notre enquête sur les violences au sein du Conservatoire de Strasbourg, une autre ancienne élève de l’établissement a décidé de porter plainte pour « viol et tentative de viol » contre Jean-Marc Foltz. Toutes les deux dénoncent une « emprise » et « de la manipulation » de la part de leur professeur. 

Enfin, une troisième femme, ancienne élève du TNS, nous a confié vouloir déposer plainte dans les prochains jours.

Clarinettiste et compositeur de jazz, Jean-Marc Foltz enseigne au Conservatoire de Strasbourg, mais aussi à la HEAR depuis 1990. Contacté, il n’a pas répondu à nos demandes. À ce jour, il ne fait l’objet d’aucune condamnation et reste présumé innocent.

Le 21 mars 2023, Agatha* a alerté la HEAR via l’une de ses référentes VHSS – violences et harcèlement sexistes et sexuels. Actuellement, l’Eurométropole de Strasbourg mène une enquête administrative et le professeur est a été suspendu à titre conservatoire.

De plus, le Clasches (Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur) a réalisé un signalement auprès du ministère de la Culture en octobre 2023.

cité de la musique
La Cité de la musique et de la danse, où est installé le Conservatoire de Strasbourg et la HEAR. © Hugo Favre-Napoli / Pokaa

« Quand le terrain de la clarinette ne fonctionnait plus pour se venger, il utilisait le terrain intime »

« J’ai vécu des violences de la part de mon prof de clarinette. J’ai mis beaucoup de temps à m’en rendre compte », confie Agatha*. La clarinettiste a suivi des cours auprès de Jean-Marc Foltz pendant cinq ans.

Aujourd’hui, Agatha* a le sentiment que sa vie s’est « écroulée ». Si elle a pris la décision d’en informer les deux établissements, c’est pour « que ça ne recommence plus ». « Cette démarche s’impose à moi à la fois dans mon processus de reconstruction personnelle, et à la fois pour alerter, dans le souci de protéger les élèves », précise-t-elle.

Selon la musicienne, les échanges avec son professeur de clarinette seraient très vite devenus familiers. Elle remarque un « comportement séducteur » de sa part. Après une soirée passée chez lui, leur relation serait devenue plus intime. Elle explique que Jean-Marc Foltz aurait rapidement exprimé le désir de former un couple avec elle. Mais qu’il lui aurait demandé de garder leur relation cachée. « Il m’a dit que ce serait mieux si on ne s’affichait pas. Si on se cachait », précise-t-elle. Agatha* en parle quand même à certaines de ses amies et d’autres élèves de la classe remarquent aussi le rapprochement. 

Gina femme solitude depression tristesse
© Chloé Moulin / Pokaa

« Il m’a dit que c’était la toute première fois qu’il sortait avec une élève, qu’il n’avait pas l’habitude et ne savait pas comment s’y prendre, qu’on allait essayer de construire notre truc à nous. » Mais elle découvrira plus tard, selon ses dires, que Jean-Marc Foltz a pourtant déjà entretenu des relations intimes avec plusieurs de ses élèves.

Les mois passent et la relation se dégrade peu à peu selon la clarinettiste. Crises de jalousie, harcèlement, chantage affectif, Agatha* décrit une situation « d’emprise et d’isolement psychologique ». « Une fois, il s’est posté devant la fenêtre de mon appart pendant je ne sais plus combien de temps. Je me sentais observée et prise au piège : je ne pouvais plus sortir de chez moi, et je n’osais plus passer devant mes fenêtres », se souvient la musicienne. Quelques jours plus tard, Agatha* devra retourner en cours de clarinette.

clarinette
© Toutelaculture / Photo d'illustration

« Je me suis aperçue que j’avais peur de ses réactions, qu’il y ait des répercussions sur mes cours si jamais je le quittais. Le fait que ce soit mon professeur m’a fait accepter des choses inacceptables, que je n’aurais pas acceptées d’un autre compagnon », se rend compte Agatha*.

À la fin de mes études, ma confiance en moi était encore plus basse que lorsque je suis arrivée.
Agatha*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

À cause de cette relation, elle explique ne pas avoir réussi à se sentir légitime dans ses études, ni à nouer de relations avec ses camarades de promotion : « À la fin de mes études, ma confiance en moi était encore plus basse que lorsque je suis arrivée en septembre 2016. J’avais le sentiment qu’il y avait un « trou » de cinq ans dans ma vie, qu’elle s’était arrêtée. »

Agatha* déclare aussi avoir subi plusieurs viols. Durant toute cette période, elle se rappelle avoir eu systématiquement mal au ventre au moment de se coucher auprès de Jean-Marc Foltz. « Il me disait que c’était à cause du « système du Conservatoire ». Je pensais sur le moment que c’était dû au stress de mes études. Mais après l’avoir quitté, et étant toujours étudiante, je n’ai plus eu mal à l’estomac au moment d’aller me coucher. »

cité de la musique et de la danse
© Bastien Pietronave / Pokaa

Selon elle, après plusieurs tentatives qui auraient provoqué des réactions violentes, elle parvient finalement à mettre fin à la relation. D’après l’ancienne élève, la pédagogie de son professeur change alors du tout au tout. « Quand le terrain de la clarinette ne fonctionnait plus pour se venger, il utilisait le terrain personnel. » Elle se souvient de remarques humiliantes en plein cours, notamment sur son intimité.

En juin 2021, elle passe son récital et termine son cursus au Conservatoire de Strasbourg. Après avoir passé cinq ans à ses côtés, Agatha* n’est plus l’élève de Jean-Marc Foltz et cesse de le voir chaque semaine. Cet éloignement permettra une prise de conscience, qui s’avèrera, toujours selon la jeune femme, particulièrement violente. 

Depuis mars 2023, date à laquelle elle a joint pour la première fois une référente pédagogique de la HEAR pour raconter son histoire, Agatha* a débuté un traitement antidépresseur.

musique partition culture artiste
© Vivien Latuner / Pokaa

15 ans plus tôt, Cécile*

« On décrit le même homme », reconnaît Cécile*. Elle a également porté plainte en avril dernier contre Jean-Marc Foltz, pour « viol et tentative de viol ». Plus âgée qu’Agatha*, les faits que rapporte Cécile datent de 15 ans auparavant. Elle entre au Conservatoire de Strasbourg en 1993 et fait la connaissance de Jean-Marc Foltz vers ses 10/11 ans. Elle aussi décrit « l’emprise » et « l’ascendant » que l’enseignant aurait exercé sur elle.

À quel moment un prof invite une élève chez lui et met le Kamasutra en fond d’écran en train de tourner ?
Cécile*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

Cécile* se souvient d’ailleurs d’un événement particulièrement marquant. Aux alentours de ses 17 ans, son professeur l’aurait invité à boire un verre chez lui. Elle s’y serait rendue accompagnée de l’une de ses amies : « Dans son salon, il a allumé la télé en fond et c’était un film d’animation en pâte à modeler avec les positions du Kamasutra. Pendant qu’on discutait, il y avait des personnes qui étaient en coït. »

Choquée, la musicienne explique n’avoir pas su comment réagir sur le moment : « À quel moment un prof invite une élève chez lui et met le Kamasutra en fond d’écran en train de tourner ? À ce moment-là, je n’ai même pas conscience de ce qu’il se passe. »

tv télévision
© Capture d'écran

Lorsqu’elle est prise au concours d’entrée pour passer en classe de musique improvisée et jazz, elle a autour de 20 ans. « Jean-Marc Foltz me fait remarquer que c’est grâce à lui. Comme si je lui étais redevable », commente-t-elle. Peu de temps après, elle aurait été invitée chez lui pour une soirée. Elle se rappelle que Jean-Marc Foltz s’était confié devant l’ensemble de ses invité(e)s plus âgé(e)s : « Il leur a dit que son regard a changé sur moi au moment où j’ai eu de la poitrine. Il y avait toujours ce rapport de hiérarchie entre nous, j’étais très gênée. »

Cécile* accuse son ancien professeur de tentative de viol et de viol. Au cours des années qui suivent les faits, elle se confie à plusieurs reprises à certaines de ses amies. 

Sophie est l’une d’entre elles. Inscrite au Conservatoire de Strasbourg entre 1993 et 2003, elle a passé toute sa scolarité avec Cécile* : « Dans mon souvenir, elle m’a raconté qu’elle avait été chez Jean-Marc Foltz avec d’autres musiciens, qu’il l’avait incité à boire. Je l’ai sentie sous le choc, en tout cas il n’y avait rien de positif quand elle le racontait. À l’époque, je n’ai pas pris la mesure de ce qu’il se passait. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de malsain, j’étais aussi jugeante envers elle. » 

cité de la musique
© Hugo Favre - Napoli / Pokaa
Je continue de penser qu’il est responsable, mais je pense qu’il est victime des limites qu’il n’a pas su mettre.
Sophie, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

En-dehors des confessions de Cécile*, Sophie précise n’avoir que des bons souvenirs auprès de Jean-Marc Foltz comme professeur et n’avoir jamais « senti une ambivalence » ou « une ambiguïté » entre elle et lui ou une autre élève et lui. « L’histoire de Cécile* nous a fait nous questionner, moi et d’autres copines. On était toutes surprises. Je pense que c’est possible qu’il ait eu une attitude qui n’était pas adaptée avec des élèves. Je continue de penser qu’il est responsable, mais je pense qu’il est victime des limites qu’il n’a pas su mettre. »

Suite aux violences qu’elle décrit, Cécile* explique avoir tout fait pour prendre ses distances avec Jean-Marc Foltz : « J’ai commencé à avoir un instinct. Quand il revenait ivre après un babysitting où j’avais gardé son fils, il me faisait des avances. » 

clarinette musique
© Libre de droit / Photo d'illustration

La pianiste s’éloignera ensuite du milieu « officiel et institutionnel » de la musique et du jazz et prendra ce qu’elle appelle des « chemins de traverse ». « J’avais 21 ans. J’ai cru que je n’avais pas le choix. » Elle quittera également Strasbourg.

Quelques années plus tard, alors qu’elle le croise lors d’un déplacement à Strasbourg, Cécile* « craque » et balance tout ce qu’elle a sur le cœur. Plus tard, lors d’une nouvelle rencontre inopportune, Jean-Marc Foltz l’aurait interpellé pour lui demander pardon. Cécile aurait alors répondu : « Je ne sais pas si je te pardonne, mais le plus important pour moi, c’est que tu ne recommences pas. »

D’après la musicienne, son ancien professeur lui assure alors qu’il ne recommencera plus. « Pour moi, l’essentiel, c’est qu’il n’y ait pas d’autres personnes qui traversent ce que j’ai traversé », affirme Cécile*. Des années plus tard, la musicienne fera la rencontre d’Agatha*.

piano
© Stolen Souls - Flickr / Photo d'illustration

Et puis Victoria*, Tiphaine* et Bérénice*

Les faits de viol rapportés par Cécile* se seraient déroulés lors d’une soirée à Paris vers 2006. À cette époque, Jean-Marc Foltz est en couple avec Tiphaine*, une autre de ses anciennes élèves avec qui il habite d’ailleurs à Paris. 

« J’ai été élève de Jean Marc Foltz de 2003 à 2005. J’ai été en couple avec lui entre la fin de l’année 2005 et jusqu’en 2007. Ça a commencé quelques mois avant que je ne termine mes études au Conservatoire de Strasbourg. On a décidé d’être assez discrets, pour le protéger. Je pense que ça s’est su, plus ou moins », détaille Tiphaine*.

Elle décrit une « relation toxique » de deux ans et demi. « J’avais 22 ans et lui avait 38 ans. Oui, il a été manipulateur. Il avait tendance à vouloir m’isoler socialement, mais je ne me laissais pas faire, du coup ça créait des tensions. On se faisait du mal l’un à l’autre. J’ai souffert, il a souffert, je suis partie au bout de deux ans et demi. »

cité de la musique strasbourg
© Hugo Favre - Napoli / Pokaa

Avant elle, Tiphaine* se souvient que Jean-Marc Foltz avait entretenu une relation avec une autre ancienne élève. De 1998 à 2011, l’enseignant a en effet donné des cours au TNS. C’est là-bas que Bérénice* fait sa connaissance. Inscrite en section régie de 2002 à 2005, elle suit des cours de clarinette chaque semaine. D’après elle, ils se seraient mis en couple trois ou quatre mois après la rentrée, vers janvier 2003. En tout, elle estime que leur relation a duré un an et demi.

« Je suis tombée amoureuse tout de suite. Mais assez rapidement, j’ai compris qu’il y avait des choses qui n’étaient pas tout à fait classiques », relève Bérénice*. 

Sans m’en rendre compte, je suis tombée sous emprise. Il y a eu une destruction de mes repères.
Bérénice*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

« Il jouait du chaud/froid de manière très puissante. Il m’encensait en disant que j’étais une femme géniale et à l’intérieur de tout ça, il glissait des phrases pour me détruire. Parfois devant les gens, parfois dans l’intimité, c’était des choses extrêmement blessantes. Il y avait des menaces comme : « Tu veux que je dise à ton père comment t’es ? Que je le dise à ta sœur ? Si j’en parle à tes copains ils vont penser quoi de toi ? » Au bout d’un moment, c’était quotidien. Sans m’en rendre compte, je suis tombée sous emprise. Il y a eu une destruction de mes repères. Le peu que j’avais a été complètement anéanti. J’étais devenue l’ombre de moi-même, je ne savais plus quel corps j’avais, quelle pensée, etc. Il m’a complètement détruite », détaille la régisseuse.  

« Ça, ce n’était que la première phase », soupire Bérénice*. L’ancienne étudiante du TNS explique que son professeur et compagnon serait devenu violent physiquement : « Il cassait tout dans la maison. » 

théâtre cinéma fauteuil
© Rawpixel / Photo d'illustration

Comme plusieurs autres anciennes élèves de Jean-Marc Foltz, elle pointe « l’isolement psychologique » dont il semble être à l’origine : « Je n’avais plus d’amis, il m’a éloigné de tout le monde à cause de la jalousie, je n’avais plus accès à personne. J’étais devenue une autre personne même physiquement. Toutes ces violences ont eu un effet sur moi tellement dévastateur. »  

Accablée par les violences et complètement désespérée, Bérénice* se résout à ce qu’elle considère aujourd’hui avec le recul comme « un appel à l’aide », et commence à se faire du mal. « La dernière solution que j’ai utilisé pour sortir de ça, ça a été l’automutilation. J’ai commencé à m’ouvrir le corps et je me disais : « Quand je vais sortir dans la rue et que je vais saigner, il va se passer quelque chose, ça va se voir et on va m’aider », confie-t-elle, la gorge serrée. 

étudiant précarité
© Bastien Pietronave / Pokaa

Roland, directeur de la section technique du TNS, se souvient bien être venu plusieurs fois « récupérer Bérénice* dans la nuit pour la remettre d’aplomb et pour essayer de comprendre ce qu’il se passait ». Il avait d’ailleurs remarqué les marques de scarifications sur les bras de l’étudiante, alors qu’elle avait remonté ses manches un jour lors d’un cours.

En fait, il m’enfermait tous les soirs quand je rentrais des cours. Il surveillait tous les horaires.
Bérénice*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

« J’avais très très peur de Jean-Marc, il était foncièrement violent et méchant psychologiquement », explique Bérénice*. En 2004, durant tout le dernier mois de leur relation, elle affirme avoir été séquestrée. Elle livre son récit, des sanglots dans la voix : « Il avait décidé de m’enfermer. En fait, il m’enfermait tous les soirs quand je rentrais des cours. Il surveillait tous les horaires. Il s’était mis à boire vraiment beaucoup d’alcool. Il prenait les clefs et il partait picoler. Et moi, je restais terrorisée dans cet appart en ne sachant pas ce qu’il allait arriver. Quand il rentrait, il pouvait être extrêmement violent, ou sinon il s’endormait, ou bien il hurlait toute la nuit, il m’empêchait de dormir. » 

Un jour, alors qu’elle remarque que la porte est restée ouverte, Bérénice* aurait finalement réussi à s’enfuir pour se réfugier chez Sarah, une camarade du TNS, qui confirme les faits. Après plusieurs semaines cachée chez son amie, Bérénice* parvient à mettre définitivement fin à la relation. Elle cessera aussi de suivre ses cours de clarinette au TNS.

Victoria* quant à elle, aurait entretenu une relation d’environ un mois, alors qu’elle avait 19 ans et lui 40 ans, vers 2010. Dans son témoignage dans un article de La Lettre du Musicien, l’ancienne élève du Conservatoire de Strasbourg souligne l’ascendant que Jean-Marc Foltz aurait eu sur elle.

Elle ajoute avoir eu des difficultés à se séparer de lui et avoir appris plus tard que sa mère aurait menacé l’enseignant de porter plainte. Selon elle, c’est cette intervention qui aurait permis de mettre définitivement fin à la relation.


En tout, nous sommes parvenu(e)s à identifier cinq anciennes élèves de Jean-Marc Foltz avec lesquelles l’enseignant a entretenu des relations intimes. Deux d’entre elles ont porté plainte, une autre nous a confié qu’elle prévoyait de le faire dans les prochains jours et toutes, ont déjà, ou sont sur le point, de partager leur témoignage avec l’Eurométropole de Strasbourg.


eurométropole strasbourg pokaa
© Nicolas Kaspar / Pokaa

Allusions sexuelles pendant les cours et soirées avec les élèves

D’autres ancien(ne)s élèves de Jean-Marc Foltz se seraient parfois senti(e)s mal à l’aise durant ses cours. Danaé* a suivi sa classe de clarinette à la HEAR pendant trois ans. L’ancienne élève explique avoir senti « un climat de séduction et de danger » dès la première année : « Il m’avait parlé d’un film dans lequel une étudiante avait tissé un lien très intime avec son enseignant. Il avait fait le rapprochement en me disant que j’allais beaucoup manquer l’année suivante. » 

Je me souviens d’essayer des modes de jeu sur ma clarinette en glissant les dents sur le bec, il m’avait dit : "Évite ça, on dirait que tu fais une pipe".
Danaé*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

Selon elle, « les exemples d’inconfort ne manquent pas ». Elle aurait relevé de nombreuses allusions sexuelles durant les cours de Jean-Marc Foltz. Des commentaires sur le physique ou des remarques graveleuses, prononcés sur le ton de la blague.

Par exemple, lors d’un appel en visio avec des camarades de la classe lorsqu’elle était à l’étranger : « Il m’avait demandé de me mettre debout pour me voir entièrement, savoir si « je n’avais pas trop grossi », savoir comment se comportaient les garçons. Dans un exercice d’improvisation, je me souviens d’essayer des modes de jeu sur ma clarinette en glissant les dents sur le bec, il m’avait dit : « Évite ça, on dirait que tu fais une pipe ». Pour me faire comprendre le soutien abdominal nécessaire pour jouer de la clarinette, il avait posé sa clarinette sur mon ventre, je lui ai dit que ça me dérangeait, il m’avait demandé comment je faisais avec mon copain si je n’aimais pas que l’on me touche le ventre. C’est comme s’il sentait le malaise et qu’il l’utilisait pour asseoir une forme de domination. » 

musique partition
© Libre de droit / Photo d'illustration

Danaé* a aussi suivi un atelier dirigé par Jean-Marc Foltz au Conservatoire national supérieur de musique et danse de Lyon. Là-bas aussi, la musicienne relève plusieurs moments qui l’auraient mis mal à l’aise. Alors que le professeur s’adresse en anglais à ses élèves, celui-ci se serait « attardé sur le mot « blowing » et sur son ambiguïté, puisque que cela signifie à la fois souffler dans un instrument et faire une fellation ».  

Myriam* était l’une des élèves présentes ce jour-là : « J’ai trouvé que c’était une blague trop intime et trop sexuelle pour l’atelier. » Elle affirme qu’il est arrivé à plusieurs reprises à l’enseignant de faire des blagues « en rapport avec des sujets sexuels ou intimes ». Et que ces remarques n’étaient pas bien reçues par les élèves.

« Une fois, en cours de clarinette, je me souviens d’une remarque qu’il m’avait faite, qui m’avait mis assez mal à l’aise. Il était en train de m’expliquer qu’il fallait varier dans ce que je faisais et il avait dit : « C’est comme quand tu fais l’amour avec quelqu’un, on ne fait jamais deux fois la même chose. » Musicalement, j’ai compris ce qu’il voulait dire, est-ce que je cautionne qu’il soit passé par ce chemin-là pour me le faire comprendre ? Je ne sais pas. Ça m’a mis mal à l’aise », complète Sylvain*, qui a également eu Jean-Marc Foltz en professeur principal de clarinette jusqu’en 2020.

Selon l’ancien élève de la HEAR, Jean-Marc Foltz entretiendrait une « forte proximité » avec ses élèves : « Je me souviens de quelques anecdotes de fermeture de bar à 3h ou 4h du matin, ou bien dans une autre ville à partager du vin nature qui était à disposition dans le coffre de sa voiture. » Avec le recul, Sylvain* s’interroge, « est-ce que c’est fréquent que les prof fassent la fête jusqu’au bout de la nuit avec les élèves ? Non, c’est pas fréquent. » 

J’ai trouvé ça bizarre qu’un prof à 5h du matin demande à ses deux élèves de lui faire un massage.
Marie*, ancienne étudiante de Jean-Marc Foltz

« J’ai été conviée à une « soirée VIP », telle qu’il l’avait nommée, rassemblant quelques-unes de ses étudiantes […] j’ai senti beaucoup d’inconfort : commérage sur les élèves de la classe, sur leurs situations amoureuses, sur leurs personnalités », confie également Danaé*. 

D’après Marie*, qui a suivi des cours au Conservatoire de Strasbourg jusqu’en 2012, Jean-Marc Foltz « est connu pour toujours faire des sorties avec les élèves, comme si c’était des amis. » Elle garde d’ailleurs le souvenir d’une fin de soirée chez son enseignant, avec cinq ou six autres élèves : « On a continué à discuter et il a dit : « Moi, j’aimerais bien un petit massage », en regardant les deux autres filles qui étaient là. Les filles ont dit ok, elles lui ont fait un massage devant nous. C’était un massage à la nuque. Est-ce qu’elles avaient vraiment le choix ? J’ai trouvé ça bizarre qu’un prof à 5h du matin demande à ses deux élèves de lui faire un massage. Et on est tous partis ensuite. » 

cité de la musique
© Hugo Favre-Napoli / Pokaa

Une procédure en cours à l’Eurométropole

Agatha* et Cécile* indiquent avoir témoigné auprès d’une référente VHSS de la HEAR en avril 2023. Les deux anciennes élèves précisent avoir été convoquées et entendues lors d’entretiens à l’Eurométropole six mois plus tard, en octobre 2023. 

Les victimes qui osent signaler des faits n’ont aucun intérêt à mentir.
Camille*, bénévole dans le collectif Clasches

Agatha* est également accompagnée par le Clasches (Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur) dans ses démarches depuis mars 2023. D’après Camille*, l’une des bénévoles qui suit le dossier, les cas comme celui d’Agatha* sont courants. « Les victimes qui osent signaler des faits n’ont aucun intérêt à mentir. Quand on vient signaler ce type de faits, ce n’est pas parole contre parole, la victime va constamment voir sa parole remise en question, alors que le professeur non. »  

Pour les militantes du Clasches, l’enjeu c’est de faire comprendre aux établissements que les cas comme celui que rapporte Agatha* sont assez courants dans des formations au sein desquelles il y a des petits groupes et beaucoup de concurrence. 

« Les enseignants ont une double casquette, ils sont enseignants, mais aussi des artistes reconnus. Donc pour une victime, c’est aussi quelqu’un qui va avoir un impact direct sur sa carrière. Le type de violence que nous on voit, c’est vraiment des relations d’emprise », développe Camille*.

blue note cité de la musique
© Bastien Pietronave / Pokaa

Elle précise aussi : « Tout enseignant sait qu’il exerce un pouvoir sur ses étudiants et du coup, c’est à lui de se maintenir à distance. La section disciplinaire peut très bien dire : « Quand bien même les deux personnes sont majeures, un enseignant n’a pas à sortir avec une de ses étudiantes, parce que la relation de hiérarchie est claire et ne peut pas faire penser qu’un consentement était éclairé. » » 

Contrairement au pénal, il n’existe pas de prescription au disciplinaire. Par ailleurs, même si les faits se déroulent en dehors de l’établissement, dans le cadre d’une fête privée par exemple, à partir du moment où une agression a des conséquences sur la victime, l’établissement est responsable.

Le Clasches a également informé le ministère de la Culture de la situation en octobre 2023. Dans le cadre de son signalement, le collectif demande que l’enquête disciplinaire soit déléguée à un service moins surchargé, estimant, d’après leurs informations, que l’Eurométropole de Strasbourg est dépassée par le nombre de dossiers en cours.

eurométropole administratif
© Google maps / Capture d'écran
Nos établissements doivent plus que jamais devenir des espaces où les femmes et les hommes évoluent en sécurité
Alexandre Jung, directeur du Conservatoire et directeur adjoint de la partie musique de la HEAR

Le 29 mai dernier, Alexandre Jung, directeur du Conservatoire de Strasbourg et directeur adjoint de la partie musique de la HEAR a envoyé un mail à l’ensemble des étudiant(e)s pour leur proposer un temps d’échange le 25 juin prochain. 

« L’objectif sera de pouvoir échanger très librement suite à ces articles [la publication de notre enquête sur les violences au Conservatoire de Strasbourg en avril dernier, l’article de la Lettre du Musicien sur Jean-Marc Foltz, ndlr], de vous permettre de poser toutes les questions que vous souhaiteriez aborder et de poser les bases d’une réflexion nous permettant d’aborder la suite des événements avec sérénité. »

L’occasion également, pour Alexandre Jung, de réaffirmer la position du Conservatoire et de la HEAR : « Nos établissements doivent plus que jamais devenir des espaces où les femmes et les hommes évoluent en sécurité et où leur parole est entendue. »  

* Les prénoms ont été modifiés

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