Le train de nuit offre de nombreuses possibilités de destinations. Pour s’évader entre terre et mer, la Croatie en est une idéale. Marquée par sa sortie du communisme, les guerres, un séisme… Elle est aussi une plaque tournante du tourisme dans les Balkans : certaines de ses villes ressemblent, durant l’été, aux rues strasbourgeoises au moment du marché de Noël. Sac sur le dos, on est parti visiter un bout du pays « aux mille îles ».
Pour arriver jusqu’à Zagreb, la capitale du pays, depuis Strasbourg, trois options : l’avion, Flixbus, ou le train de nuit. Sac à dos, passeport et billets dans la poche, le choix se porte sur le train. Pour un peu moins d’une centaine d’euros, c’est une promesse d’instants hors du temps et de découvertes. Direction la Croatie !
Si un mot devait la définir, ce serait « résilience ». La petite dernière de la zone euro est en plein renouveau. D’ailleurs, nos institutions européennes lui ont accordé fin 2023 une enveloppe de 10 milliards d’euros après les épreuves traversées (dans le cadre de la politique « REPowerEU »). Il ne s’agit pas là de la seule trace d’européanisation de cette ancienne pièce du puzzle communiste.
Étape 1 : le chemin fait partie du voyage
« L’important ce n’est pas la destination mais le voyage. » En parfaite application des principes de Robert Louis Stevenson, on a embarqué dans le Strasbourg-Stuttgart pour rejoindre le départ de la ligne nocturne croate. Billets imprimés et passeport dans la main (on t’a dit que ce serait important !), nous voici sur les quais allemands.
Une petite heure d’attente sera suffisante, l’occasion de grignoter une bretzel. On surveille d’un œil les changements impromptus pour notre quai.
19h30. Il est temps de monter à bord du vieux train de nuit croate qui ne manque pas de cachet. Le voyage dure 14h, alors entre deux dodos vous pouvez discuter avec vos voisin(e)s du wagon suivant. Allemagne, Autriche, Slovénie, Croatie… il est temps de ressortir tes souvenirs de cours d’allemand, ou ton plus bel anglais.
Vers 6h30, le soleil vous réveillera à la frontière slovène. Elle offre, sur la fin de l’hiver, de saisissants paysages enneigés. L’occasion de partager un café et une collation avec nos nouveaux/elles ami(e)s de compartiment en regardant défiler montagnes, lacs, églises – semblables à celle d’Alsace -, rivières en crue et villes.
Étape 2 : un saut de puce
La capitale croate ouvre son parvis de gare sur de magnifiques magnolias et monuments. On ne fait que passer. Une balade en direction des hauteurs de la ville permet de découvrir le fameux tunnel « Grič », ancien abri antiatomique, aujourd’hui devenu une voie piétonne et un objet de curiosité.
Une fois perché sur les collines, le constat des restes du séisme de 2020 est brut. Une magnitude de 6,4 a eu raison des bâtiments qui n’étaient pas aux dernières normes sismiques. D’anciens logements gouvernementaux y trônent, fissurés, vitres soufflées. Un contraste avec leurs voisines proprettes, déjà reconstruites.
Le contraste est une spécialité à Zagreb. Socialement parlant il a de quoi surprendre. Là où Strasbourg est bourgeoise mais compte tout de même une diversité sociale visible, Zagreb, elle, ne connaît pas le concept de classe moyenne.
La bourgeoisie locale est l’héritage de celles et ceux qui ont tiré leur épingle du jeu durant la période communiste. Elle est souvent propriétaire des appartements de fonction qu’elle avait alors. Le reste de la population se niche dans des quartiers pauvres. L’entre-deux est quasi-inexistant.
Un peu plus tard, sur la place principale, un concert en hommage à l’Ukraine débute : « Slava Ukraini ». En direction de la gare routière, des bougies éclairent au crépuscule du soir un hommage à Alexeï Navalny. Ici, pas de divergence. L’Europe vibre à l’unisson.
Sur la route de Dubrovnik
Le deuxième jour, on décide de prendre le bus direction Dubrovnik, qui est la mode de déplacement le plus simple et le plus rapide. Et le trajet n’est possible en train que jusqu’à Split. Une seconde nuit dans les transports et cette fois c’est la grêle qui réveille l’ensemble des voyageurs/ses.
Le Flixbus emprunté traverse les ponts en face de Neum, afin d’éviter la frontière de la Bosnie-Herzégovine.
Une fois en gare routière de Dubrovnik, alors que la ville dort encore, il est envisageable de rejoindre les fortifications en bus de ville, ou à pied. Sur le chemin, dans les cafés, l’expresso se prend « souvent double et avec du lait » explique le serveur serbe. C’est un « kava s mlijekom ». Il ne faut pas parler de latte ! Pour du café noir, vous pouvez le prendre à la turc et chez l’habitant(e).
Côté bases linguistiques : « Dobar dan », pour bonjour. « Hvala » pour merci. Et « Dovidenja », pour au revoir. Si le « h » te fait peur, sache qu’il est le même qu’en arabe ou en hébreu. Le « r » se roule comme le « j » espagnol.
En reprenant la route vers la cité de Game of Thrones, il faut grimper… pour redescendre. Comme beaucoup de cités côtières, cette station balnéaire en devenir est aussi vallonée que les Vosges. « C’est comme la marée », dixit les garde-côtes croates stationnés au port.
Étape 3 : Dubrovnik a la côte
Si quelques touristes se pressent sur l’avancée qui permet un point de vue sur la ville fortifiée et sur la tour, on vous conseille de descendre dans les douves pour des photos qui en jettent.
Une fois dans la ville, premier constat : ne pas avoir de politique culturelle joue inévitablement sur les prix. Les musées et l’accès aux remparts chiffrent à une quinzaine d’euros chacun. Il y a tout de même beaucoup à voir en dehors de ces offres, et les ruelles à elles seules valent le détour !
En quête d’un second point de vue ? Il se niche vers la seconde entrée de la ville fortifiée, du côté de la caserne des pompiers. Et parce qu’à Strasbourg, il manque tout de même la mer… se perdre dans les ruelles de Dubrovnik mène parfois à d’étonnants passages cachés dans ses murs. De quoi tomber face à face avec les vagues, l’odeur de l’iode et le grondement du ressac.
L’élément parfait pour déjeuner tranquillement ? Un börek « burek ». Puisqu’ici le feuilletage se fait une part belle dans l’alimentation.
Étape 4 : Punta Ostro, ou pourquoi ne pas sortir du sentier de randonnée
Après un petit déjeuner à base de café à la turc, de fruits et d’un strudel, direction la gare routière de Dubrovnik pour ce troisième jour. L’idée est d’y attraper un bus pour Vitaljina. Plein sud ! Les péripéties liées aux intempéries de l’avant-veille ne sont pas suffisantes pour écarter la randonnée du jour inscrite au programme.
Du point de départ de la randonnée, il faut 1h45 pour atteindre Punta Ostro et son ancien fort. Vous aimez les bastions de Strasbourg ? Vous allez adorer. On longe un moment la frontière avec le Monténégro, avant de suivre la côte une fois en face du poste-frontière. Depuis la presqu’île, ancienne zone de défense ouest de l’ex-Yougoslavie, la vue sur la ville de Herceg Novi au Monténégro est imprenable.
Des vestiges militaires sont visibles sur toute la zone. Attention cependant à ne pas trop s’écarter des sentiers principaux, des opérations de déminage ont toujours lieu dans le pays. En ruines, d’anciens logements de vacances renforcent cette ambiance post-apocalyptique.
Si l’eau fraîche des premiers jours printaniers est de l’ordre du supportable, deux plages (non surveillées) se trouvent sur les côtes. L’eau turquoise invite à s’attarder. Pour les moins courageux/ses, le retour vers Dubrovnik consiste à reprendre un bus du réseau local : soit à 2h de marche (Vitaljina), soit à 3h45 (Molunat). Cette balade, tour de la presqu’île compris, prend au minimum 5h.
En Croatie, comme à Strasbourg, l’heure c’est l’heure ! Les bus sont d’une ponctualité chirurgicale.
Le passeport, un document à ne surtout pas oublier
La situation géopolitique de la Croatie en fait une route migratoire prisée vers l’Europe de l’Ouest et du Nord. Aussi, avoir son passeport sur soi est une obligation en toutes circonstances. Au sortir d’une randonnée le long des frontières, tout particulièrement.
Ces deux dernières années, la police croate s’est vue renforcée de nombreux nouveaux éléments pour s’acquitter de sa tâche de frontière européenne des Balkans. Des jeunes, souvent attiré(e)s par une entrée de salaire régulière. Pour cause, le salaire médian peine à atteindre le millier d’euros dans le pays.
Il est bon parfois de se rappeler des limites de l’espace Schengen. Ici, traverser un pont peut s’avérer autrement plus complexe.
C’est également l’occasion d’expérimenter une différence culturelle insoupçonnée. Le sourire. En Croatie « on ne sourit qu’à la famille ou à ses amis proches », explique un confrère journaliste. Ce qui n’est plus le cas sur les nouvelles générations mais est perpétué dans les institutions. Sourire quand la personne est inconnue, c’est faire preuve d’hypocrisie (à l’instar de la culture russe en la matière).
Étape 5 : sous le signe des musées, Split la méditerranéenne
Notre séjour se poursuit avec un nouvel arrêt : Split ! Tout aussi touristique que Dubrovnik, elle est reliée à Zagreb par le réseau ferré et regorge de musées. Pour les randonneurs/ses, en rayonnant depuis la ville, des réserves naturelles sont accessibles dans les terres. Et la réserve de Split, sur sa pointe nord, offre des points de vue sur les côtes, la mer et la ville.
En ce qui concerne la virée culturelle, faire le tour de la ville à pied est un basique. Avec des airs du Carré d’Or, il ne faut pas s’y laisser prendre : c’est un véritable labyrinthe ! Parmi les immanquables, le Palais de Dioclétien, et le musée ethnographique au centre-ville historique sauront retenir l’attention des fans d’histoire.
Excentré, le musée d’archéologie ramène à la période ancienne, et plus particulièrement aux influences romaines qui ont longtemps dominées la côte. Plus discret mais digne d’intérêt, le musée maritime oscille entre navigation militaire et commerciale, avec des collections qui traversent les âges.
Split ne brille pas que de sa pierre… En grimpant parmi les anciennes habitations des pêcheurs/ses, ou même en centre-historique, de nombreuses fresques de street-art invitent à découvrir la ville autrement.
En parlant de pêche, Split pratique bien plus le régime méditerranéen que Dubrovnik. Pour profiter d’un bon poisson accompagné de légumes grillés, c’est ici qu’il faut le faire.
Petite astuce pour savoir où chercher, si tu n’es pas un(e) habitué(e) du bord de mer : jette un oeil à la halle marchande le matin pour savoir quels poissons sont susceptibles de se trouver dans les assiettes le midi (et voir les prix).
Étape 6 : retour à Zagreb
De Split à Zagreb le train et le bus sont équivalents, à une heure près. Le retour dans la capitale croate – sur la fin d’après-midi – est l’occasion de découvrir la bière locale. En-dehors de certaines références, le vin, ou la bière tchèque, sont de meilleures options pour les palais délicats. Par contre, niveau prix, comptez grand maximum 5 euros pour la pinte (0,5L) d’une production de micro-brasserie ou d’une bière étrangère.
La dernière journée du séjour est dédiée aux musées. Ou plutôt devait l’être. Active et militante, Zagreb se voit en ce moment secouée par des manifestations devant le Parlement contre la corruption. De quoi boucler régulièrement le quartier. Qu’à cela ne tienne, il reste tout de même de quoi se cultiver de part et d’autres du cordon de police.
Après ces tours et détours, il s’agit de trouver où déjeuner !
La place du marché – avec ses trois strates – est cernée de sources de contentement gustatif. Pour être sûr de bien aiguiller son choix, la présence des salades de chou rouge (oui, oui, comme en Alsace) et de poulpe est importante. Pour les non-végétariens, un čevapi « tchèvapi » (saucisses ou boulettes) sera parfait en accompagnement de ces plats typiques et assemblés avec les denrées du marché.
Étape 7 : train de nuit, mon amour
Les rues de la capitale et son effervescence, le soir venu, valent un dernier regard en arrière. Un dernier café également. Et un clin d’oeil aux magnolias de la gare, qui ne sont pas sans rappeler certains bouquets strasbourgeois.
Pour accéder au Zagreb-Stuttgart du retour, il est nécessaire d’à nouveau montrer patte blanche. C’est parti pour le clap de fin du séjour.
Dans ce sens-ci, vous serez réveillé(e)s à chaque frontière par la police locale. Passeport. Billet.
Et parfois 1h d’attente en gare pour vérifier les documents des voyageurs/ses. Pas de panique. Il est toujours possible de se lancer dans une partie de cartes à 5h du matin dans un wagon endormi, entre locutions croates, et généralités en anglais. Le train de nuit, c’est avant tout une belle dose d’humanité !
Petit conseil pratique : on le répète mais il faut toujours avoir son passeport. Il faut aussi verrouiller en manuel l’itinérance de données sur ton téléphone (ça évitera les dépassements faramineux). Entre Serbie, Bosnie-Herzégovine et Monténégro, la Croatie compte un potentiel de contrôles de police qui laisse pantois nos pauvres checkpoints du marché de Noël.
On peut aussi passer par Zurich qui n’est qu’à deux heures de Strasbourg. Il y a un train de nuit pour Zagreb.