Tableau favori des touristes en balade à Strasbourg, l’écluse de la Petite France est aussi l’un des ouvrages des Voies navigables de France les plus empruntés de la région. Passage des embarcations, maintenance, manipulation du pont tournant… Des éclusiers veillent chaque jour sur cette infrastructure et ses à-côtés. Reportage.
Dans son petit bureau inondé de lumière matinale, Régis Froehlicher observe les badauds flâner sur la jetée. Il est 8h30, ce matin de semaine glacial et quelques Strasbourgeois courent ou promènent leurs chiens au milieu des touristes qui s’émerveillent de la vue sur l’Ill.
Lui guette le premier bateau de sa journée : une barge de plaisance qui ne devrait plus tarder à se présenter aux portes de l’écluse de la Petite France.
Agent d’exploitation des Voies navigables de France (VNF), Régis Froehlicher est l’un des sept éclusiers qui veillent sur le passage des bateaux dans le quartier le plus touristique de la capitale européenne.
« Quand j’arrive le matin, je commence par relever le niveau de l’eau en amont et en aval de chaque ouvrage », détaille le responsable d’équipe. Car oui, il n’y a pas une mais bien deux écluses à la Petite France. La A, à côté de l’hôtel Régent et la B, du côté du canal du Faux rempart, en face de l’Abattoir.
Gardien de la navigation
Le niveau moyen de l’eau sur l’Ill canalisée est d’environ 2,10 mètres et 2,60 mètres en aval. « On peut ouvrir une partie des vannes de l’hôtel Régent si nécessaire, ainsi que celles du barrage Vauban, mais nous avons une capacité d’action limitée », poursuit l’agent des VNF. Le débit moyen de l’Ill canalisée strasbourgeoise est d’environ 60 m³ par seconde.
Environ 50 m³ viennent de l’Ill plus en amont, largement canalisée dans son parcours, et 10 m³ viennent de la Bruche qui se jette dans son lit au niveau de la Montagne verte. Mais le débit de la plus petite des deux rivières est celui qui varie le plus, en raison notamment de la fonte des neiges et des précipitations dans la vallée de Schirmeck. « Il faut entre 10 et 14 h pour voir l’onde de crue arriver depuis là-bas », explique l’éclusier.
Le débit de l’Ill au niveau des écluses est environ de 60 m³ par seconde. « À partir de 100 m³ par seconde, la navigation devient compliquée : il n’y a plus assez d’espace sous les ponts », poursuit l’éclusier, qui se souvient d’année avec plus de 100 jours d’affilée sans navigation pour cause de hautes eaux. La crue passée, il faut environ trois à quatre jours pour retrouver un niveau de navigation normale.
Ce matin d’automne, les niveaux sont normaux. L’agent contrôle également les bouées de secours installées près des écluses – dont certaines disparaissent parfois mystérieusement la nuit, jette un coup d’œil aux vannes et file du côté du canal du Faux rempart pour inspecter l’écluse B.
Cette dernière est automatique et peut-être mise en marche par les bateaux grâce à un système de télécommande. Mais elle possède également son petit poste de contrôle.
Des agents sur le pont
Un coup d’œil au ponton et Régis Froehlicher sort une longue gâche de son rangement pour enlever quelques algues et végétaux accroché aux pilotis. Des embâcles transportés par le courant. Susceptibles de gêner la fermeture des portes de l’écluse s’ils s’accumulent trop rapidement. Il faut aller faire venir des plongeurs pour identifier l’obstacle et interrompre la navigation.
En haute saison, près d’une cinquantaine de bateaux franchissent l’écluse située près des anciennes glacières, en plein cœur de la Petite France. Des barges de tourisme, mais aussi des canoés ou d’autres embarcations de plaisance. L’ouvrage fonctionne sur des journaliers élargis, de 9h à 22h30.
Il voit passer près de 8000 embarcations chaque année, ce qui fait de lui l’écluse la plus empruntée par des plaisanciers dans le Grand Est.
De retour à l’écluse A justement, l’agent des VNF s’apprête à faire passer la première barge touristique de la journée. Après avoir salué le capitaine et vérifié l’amarrage de l’embarcation, Régis Froehlicher lance un cycle de remplissage de l’écluse. Les volets s’ouvrent sous l’eau en plusieurs étapes et le sas se met à niveau en quelques minutes. Mais les portes ne se sont pas encore ouvertes que l’éclusier file déjà vers sa prochaine mission.
En quelques enjambées, le voici rendu au pont du Faisan, le fameux pont tournant situé dans l’une des rues les plus passantes de la Petite France. Sous les yeux étonnés des touristes matinaux, l’éclusier installe des chaines de part et d’autre et glisse à côté de l’ouvrage allumer le système hydraulique permettant à l’édifice de tourner sur lui-même.
Soigneusement graissé et entretenu depuis son installation en 1888, le pont tourne sans abri grâce à des roues crantées avant de se remettre dans son axe. Régis Froehlicher peut enfin enlever les chaines et saluer quelques riverains qui le reconnaissent.
En haute saison touristique, il n’est pas toujours facile d’interrompre le flux des visiteurs/euses, enthousiastes à l’idée à l’idée de pouvoir se prendre en photo dans l’un des plus beaux décors de la ville. « Il faut savoir expliquer pourquoi l’on coupe la circulation d’un ton calme », détaille l’éclusier, qui apprécie son cadre de travail et connait les habitudes du quartier.
Les riverains/aines qui sortent se promener plutôt tôt le matin, avant l’affluence touristique. La faune qui profite des ouvrages. L’agent se souvient notamment d’une canne qui apprenait à ses canetons à voler grâce au courant de la petite chute d’eau située le long de l’écluse A. Il lui arrive également d’être sollicité pour un renseignement par quelques visiteurs/euses égaré(e)s dans la ville. À la Petite France, les éclusiers sont au contact du public. « Cela fait partie des choses que j’apprécie dans le fait de travailler ici. »