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Gilets GPS portés par des enfants : anatomie d’une polémique strasbourgeoise

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L’initiative strasbourgeoise, qui a pour objectif de mieux partager l’espace public dans la cour de récréation entre les filles et les garçons, a connu son lot de polémiques nationales, passant sur tous les principaux médias. Alors que le sujet est revenu en conseil municipal le 9 décembre dernier, on a tenté d’analyser la mécanique de cette polémique, qui a complètement sauté la barrière du local.

Le 9 décembre dernier, Elsa Schalk (LR) interpellait le conseil municipal, avec une question orale nommée : Expérimentation de la géolocalisation dans les cours d’école : laissez nos enfants tranquilles !. La conseillère municipale d’opposition revenait sur l’expérimentation de la Ville, menée dans cinq cours d’école strasbourgeoises, dont l’objectif était de mesurer les inégalités d’utilisation de l’espace public.

Pour tenter de remédier à cette problématique, la municipalité a en effet lancé une expérimentation : entre avril et fin novembre, près de 600 élèves ont porté des gilets connectés, qui permettaient de mieux comprendre comment ils utilisaient la cour de récréation. De façon à « objectiver une réalité observée », comme l’a souligné l’adjointe à l’éducation Hulliya Türan.

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Car ces analyses sont loin d’être nouvelles : elles même sont largement documentées, comme ici ou . Toujours avec une conclusion importante : le foot occupe 90 % des espaces disponibles des cours de récréation et 70 % de l’espace collectif, tandis que 80% de l’espace est occupé par 20% des élèves. Pour le dire autrement : une minorité d’enfants occupe une grande partie de la cour, laissant des miettes d’espace pour les autres. Des inégalités intériorisées, et qui se poursuivent ensuite à l’âge adulte. L’expérimentation avait donc pour but de mesurer pour comprendre, pour ensuite tenter de résoudre ces inégalités.

Information importante également : les gilets connectés utilisés lors de cette expérimentation n’émettent pas d’ondes, et les capteurs ne communiquent pas en temps réel le déplacement et la position d’un enfant. Ils enregistrent simplement la localisation de l’enfant à l’instant T ; c’est a posteriori, après récupération des données, que les cartes sont réalisées. Un processus de captage de données plutôt classique et validé par la cellule RGPD de la Ville. Mais qui s’est néanmoins noyé dans des polémiques qui remplaçaient les faits par des opinions et des peurs, reprises ensuite par de nombreux médias, attirés par la course au clic.

Gilets localisés enfants – école Langevin © Jérôme Dorkel Strasbourg Eurométropole
© Jérôme Dorkel Strasbourg Eurométropole / Document remis

Le commencement : timides reprise locales, avant un premier article national

Au tout de début de l’histoire se trouve une conférence de presse organisée par la Ville le 18 octobre, intitulée Lutter contre les violences et favoriser l’égalité dans les cours d’école : un jeu d’enfant !. Selon notre recensement, aucun média local n’a alors repris le sujet, excepté le récent site d’actu locale StrasInfo le 21 octobre. S’il évoque le fait que 80 % de l’espace de la cour soit généralement occupé par 20 % des élèves, pas de mention des gilets connectés ; il se focalise davantage sur les différentes façons que Strasbourg a de lutter pour un espace scolaire plus égalitaire.

Pour voir les premières mentions des gilets connectés, il faut attendre deux semaines plus tard, et un article de France Bleu Alsace le 4 novembre. Le lendemain matin, Christelle Wieder, adjointe au droit des femmes et de l’égalité de genre, donne une interview à la section radio de France Bleu Alsace sur le sujet du sexisme à l’école. Autrement, le sujet a peu de reprises dans les médias locaux et nationaux, avec seulement Ouest-France qui réalise un sujet le 5 novembre sur Comment Strasbourg lutte contre les inégalités de genre dans les cours de récréation.

C’est une semaine plus tard que les choses commencent vraiment : le 12 novembre, Le Parisien décide de s’intéresser au sujet, avec un article titré À Strasbourg, des gilets connectés pour plus de mixité filles-garçons à la récré. Il interroge Christel Wieder, reprend les chiffres de 80 % de l’espace d’une cour de récréation occupé par seulement 20 % des enfants, majoritairement des garçons. Un article factuel, loin de toutes polémique. Mais cette couverture d’un grand titre de presse nationale place le sujet dans la sphère médiatique, et certains vont en faire leurs choux gras.

L’emballement : les faits passent au second plan lorsqu'on demande à Strasbourg « d’arrêter d’emmerder les enfants »

Comme très souvent dans ce genre de fabrication de polémiques, on peut compter sur les titres d’extrême droite ou de la presse « réactionnaire » pour faire exploser le sujet. C’est le JDD qui titre le premier, avec Traceurs GPS sur les vêtements des écoliers : une expérimentation de la ville de Strasbourg fait polémique. Le média racheté par Vincent Bolloré reprend sans vérification la fake news d’un journaliste du Figaro sur Twitter, qui affirme qu’on implanterait des puces GPS sur les enfants.

Comme cette affirmation, le titre est erroné, puisqu’aucun enfant n’a été tracé lors de ces expérimentations [mais peut-on en attendre autant d’un média qui ne distingue pas l’église Saint-Paul de la cathédrale ?, ndlr]. En revanche, c’est le JDD qui place l’expression « traceurs GPS » dans le débat médiatique, sous-entendant que l’on traque et piste nos enfants, jouant sur les peurs des parents. Un message émotionnel très fort car touchant à l’intégrité de nos chères têtes blondes, qui a été bien compris, et relayé, par les médias qui se sont emparés du sujet.

Car le lendemain, 15 novembre, ça s’accélère. RTL en fait un édito dans sa matinale, qui exploite allègrement la fake news des traceurs GPS, reprend néanmoins les chiffres donnés par Christel Wieder, mais ironise sur « les petits garçons sont des monstres et ce depuis leur plus jeune âge, ces horribles petits mâles toxiques, tout en jeux de ballon et en virilisme » [la nuance n’a elle pas été localisée par le GPS, ndlr].

Un discours identique à « l’analyse » proposée par le très droitier Figaro Vox dans la matinée, qui parlera en outre de cours d’écoles « dégenrées » [un terme qui fonctionne très bien dans le lectorat du Figaro Vox, ndlr]. Marianne y consacre également un billet d’humeur, tandis que sur CNews, la télé, on parlera d’une « idéologie égalitaire [qui] entraîne des fadaises qui vont jusqu’à pister des enfants dans leur bac à sable ». De manière intéressante, le site internet de CNews propose le même jour un article factuel sur le pourquoi du comment de cette expérimentation. Ce jour-là, il est bien le seul.

Car désormais, le sujet n’est plus l’expérimentation, c’est devenu la polémique. Sans les faits mais avec les opinions. Avec en toile de fond, toujours le même argument : « Arrêtez d’emmerder les enfants ! ». Un argument efficace médiatiquement. Et à peu de frais, ou de réflexion.

Dans la journée, l’extrême droite continue de faire son miel de ce sujet, avec Boulevard Voltaire qui y consacre d’abord un article, reprenant le JDD (et non le Parisien), avant d’en faire un second, servant à relayer une vidéo de leur chaîne YouTube. Pas de doute, l’opinion, l’émotion et la réaction, ça fonctionne.

cours d’école ombre été
© Nicolas Kaspar / Pokaa

Quand la polémique devient mainstream : les médias nationaux à la recherche de clics faciles

Dans un mécanisme de polémique bien huilé, après que les médias plus réactionnaires aient fait apparaître des paniques morales et fait disparaître les faits en les remplaçant par des opinions, c’est la presse plus mainstream qui s’empare du sujet, appâtée quelques jours après par des vues faciles.

Entre le 17 et le 19 novembre, on peut notamment recenser des sujets sur le Huffington Post, RMC, BFM TV, TF1, Libération, Brut et Hugo Décrypte. En premier lieu, et même si leur traitement explique factuellement l’expérimentation, Brut et Hugo Décrypte reprennent le terme fallacieux de « traceur GPS » dans leur titre, utilisé par l’extrême droite. Il semble que ce choix éditorial ait bien rempli son but : faire des vues, au détriment de l’exactitude. La vidéo de Brut a en effet été vue 1,7 millions de fois sur Instagram, tandis que celle d’Hugo Décrypte l’a été 640 000 de fois sur YouTube.

Dans les autres médias, on a oscillé entre « gilets GPS » ou « gilets connectés » pour titrer les articles. Tous ont d’ailleurs privilégié une approche plus informationnelle que sensationnaliste, avec le seul RMC prenant un angle différent, retranscrivant à l’écrit le débat d’opinions radiophonique des Grandes Gueules.

C’est d’ailleurs sur cette même période que la municipalité décide de déployer une fiche contenant des éléments de langage à la suite des polémiques qui ont émergé, et a par la suite été diffusée lorsqu’il y a eu de nouvelles sollicitations presse sur le sujet [ce qui a été le cas pour Pokaa, ndlr].

Gilets localisés – école Langevin © Jérôme Dorkel Strasbourg Eurométropole
© Jérôme Dorkel Strasbourg Eurométropole / Document remis

La fin : le cycle médiatique est passé à autre chose

Une semaine après le premier article du Parisien, le cycle médiatique passe à autre chose, et le potentiel de vues sur le sujet se tarit. Quelques médias traitent tout de même le sujet, notamment en local Actu Strasbourg le 22 novembre, avec un article complet sous une titraille plutôt sensationnaliste avec un titre Strasbourg. Des enfants équipés de gilets GPS dans les écoles : « On en fait des rats de laboratoire ! ».

La Dépêche suit le mouvement le même jour, avant que Ouest-France refasse un article le 6 décembre sur le sujet, un mois après le premier. Finalement, le 9 décembre, en plein conseil municipal, les DNA traitent pour la première fois le sujet, avant d’y revenir après l’interpellation d’Elsa Schalck le 11 décembre. Fin du cycle médiatique, rideau, circulez, il n’y a plus rien à en tirer.

Quand les faits passent derrière les opinions : la mécanique d’une polémique

Pour conclure, ce qui est assez frappant avec cette polémique de gilets connectés, c’est que contrairement à d’autres (le financement de la mosquée Eyyub Sultan, les produits interdits au marché de Noël, l’extinction des lumières de la cathédrale… la liste est longue), les médias locaux n’ont pas été au départ du sujet. Ce sont les médias nationaux, et particulièrement ceux d’extrême droite qui ont monté la polémique en épingle.

Un manque d’intérêt local qui se remarque également par la récupération politique du phénomène. Alors que les élu(e)s de l’opposition ne sont généralement pas les derniers à exploiter les polémiques pour marquer leur désapprobation de la politique municipale, ici, seuls Jean-Philippe Vetter, et Elsa Schalck, tout deux LR, ont réagi. Le premier a relayé l’article du Figaro Vox, ainsi que son argumentaire, accusant la municipalité « d’une croisade idéologique en s’immisçant dans les activités des enfants à l’école ».

Dans sa réponse à Elsa Schalck en conseil municipal, Jeanne Barseghian a réitéré qu’il n’y a ni traçage ni puces GPS, en dénonçant des fake news et des « polémiques stériles alimentées par certains médias ». Effaçant la volonté de la municipalité de lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge, en faisant passer les faits derrière les opinions, les réactions et les émotions. La mécanique la plus classique qui soit.

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