Après une quatrième défaite consécutive subie à Brest le 30 novembre dernier (3-1), le Racing continue son inexorable glissement vers les bas fonds de la Ligue 1. En sortant d’une des plus mauvaises performances de la saison, avec un coach semblant dépassé et des joueurs épuisés, on se retrouve à nouveau un an et demi après l’arrivée de BlueCo à se demander : mais c’est vraiment ça le projet ?
Le week-end dernier, le Racing clôturait à Brest un mois de novembre simplement catastrophique : 4 défaites de suite, 3 buts marqués, 9 encaissés, pire équipe de Ligue 1 sur la période. Bref : 0 pointé.
Dans ces périodes de très mauvaises performances, le football peut être farceur : la dernière fois que le racing avait enchaîné 4 défaites de suite, c’était en février dernier. Et leur dernière défaite était contre… Brest. Comme l’impression que rien, ou presque n’a changé.
Double ironie : le club fait même moins bien que l’an dernier, sous la houlette décriée de Patrick Vieira : 13 points à l’issue de 13 journées, contre 14 l’an dernier. Si le jeu proposé n’est pas le même, les positions sont figées : le Racing est 13e de Ligue 1, à 2 points de la 16e place. Là encore, très désagréable impression de revenir pile un an en arrière et de ne pas avoir progressé, malgré plus de 60 millions investis par BlueCo pour sa deuxième année aux manettes.
Alors que se profile un match importantissime à la Meinau face à Reims ce 8 décembre, il semblait important de revenir sur les raisons de la chute d’un Racing désormais inquiétant, prévisible et à bout de souffle. En trois mots comme en cent : pas au niveau.
Le terrain : une équipe mal construite, défensivement trop faible et offensivement trop prévisible
Offensivement, la fin de l'insouciance
Les premières journées, le Racing a su séduire la Ligue 1 grâce à un jeu léché, un pressing tout terrain et des buts en pagaille. 3e attaque de Ligue 1 à la 9e journée, le club strasbourgeois est encore 5e meilleure attaque aujourd’hui, mais la machine s’est sérieusement grippée, avec seulement 3 buts inscrits en 4 matchs.
Comment expliquer qu’une équipe aussi séduisante puisse à ce point devenir aussi inoffensive et apathique en l’espace d’un mois ? Il y a d’abord les statistiques, qui montrent que finalement, le Racing n’est pas si flamboyant que cela offensivement. Le club est 5e en dribbles manqués, mais seulement 10e en dribbles réussis ; 4e en précision des passes, mais 9e dans le camp adverse et moins d’une passe longue réussie sur 2 ; 8e en termes de précision des centres.
Le club est également 8e en possession de balle, avec « seulement » 50 %, alors qu’on nous a vanté en début de saison un jeu basé sur cet aspect-là. Encore plus intéressant, le Racing n’est que 16e de Ligue 1 en « passes clés » [la dernière passe précédant une occasion, ndlr]. Ce qui explique sans doute que le club n’est que 13e en tirs tentés par match, avec 106. Alors pourquoi le club est tout de même encore 5e attaque de Ligue 1 ?
Les statistiques n’étant parlantes que si remises dans un contexte, il faut comprendre que offensivement, le Racing a davantage été efficace que flamboyant. C’est la 1e équipe de Ligue 1 en termes de tirs cadrés, avec 63 % de réussite. Sauf que, sur les 4 derniers matchs, Strasbourg n’a cadré qu’un tir sur trois, soit presque deux fois moins de précision que d’habitude. Facile de comprendre alors pourquoi la source de l’attaque s’est tarie ces derniers temps.
Les raisons de cette inefficacité sont également multiples : 3 matchs joués à l’extérieur, où le Racing est mauvais, avec 2 points pris en 7 matchs. Il y a ensuite la blessure d’Emanuel Emegha, pierre angulaire du système exigeant, et rigide, de Liam Rosenior, et le manque de solutions offert par Mara.
Il y a ensuite l’essoufflement de ses pièces maîtresses, notamment Nanasi qui joue depuis janvier et Bakwa à un poste pas fait pour lui. Il y a enfin le fait que les équipes adverses se soient adaptées au style proposé par le Racing, qui ne sait pas se renouveler et manque cruellement d’inspiration et de spontanéité.
Une défense beaucoup trop friable
Le problème, c’est que cette inefficacité offensive rend encore plus béante la faiblesse n°1 du Racing version Rosenior : la défense. 3e pire défense de Ligue 1 avec 27 buts encaissés [soit plus de 2 par match, ndlr], seulement 1 clean sheet [match sans encaisser, ndlr] mais déjà 4 pénaltys concédés et 4e pire équipe en termes de buts encaissés attendus… L’impression devant les matchs se confirme sur le terrain : rien ne respire la sérénité dans l’arrière-garde du Racing.
Des stats accablantes, mais pas très étonnantes au vu de l’équilibre de l’équipe : le club évolue dans un système à seulement 3 défenseurs, complètement déséquilibré par le poste d’électron libre de Diego Moreira qui laisse des trous béants derrière lui. Chacun leur tour, les défenseurs strasbourgeois craquent et commettent des erreurs : Doukouré à Saint-Étienne, Sow face à Monaco puis Brest, Senaya à Lille, Moreira face à Lens… il faudrait une dizaine de doigts pour lister les erreurs de concentration de la défense. Même Doué, irréprochable jusqu’alors a lui aussi craqué face à Brest.
Livrée complètement à elle-même en cas de mauvaise performance du milieu de terrain, la défense est trop souvent dépassée et inexpérimentée pour colmater les immenses brèches.
Et si Petrovic, prêté par Chelsea, donne relativement satisfaction depuis son arrivée, il donne également l’impression de ne pas avoir une vraie relation avec sa défense. Les manques de communication sont criants, comme l’a trop bien montré le contre-son-camp en mode vidéo-gag de Sylla à Nice. Il y a besoin de recruter sur ce poste… même si ça ne semble pas à l’ordre du jour du côté de l’Angleterre on y revient par après.
(Jeune) génération désenchantée
Et justement, on y revient toujours, d’autant plus lorsque ça va mal : le mercato du Racing cet été est globalement raté. Malgré plus de 60 millions investis, l’effectif est toujours construit de manière aussi bancale. Nanasi est une belle trouvaille, tout comme Guéla Doué et Mamadou Sarr, tandis que Moreira est une agréable surprise, malgré les énormes déséquilibres qu’il crée dans sa propre défense.
Autrement, c’est la débandade : Mara (12 millions) n’est toujours pas rentré dans le bon rythme et souffre de la comparaison avec Emegha, Lemaréchal (8 millions) a encore du mal à trouver son poste malgré un bon match à Nice, Wiley est trop fragile. Perea (5,5 millions) a lui seulement joué ses 1e minutes face à Brest, tandis que Lukovic (4,5 millions) est désormais absent du groupe après avoir effectué son retour. Sans parler de Pape Diong ou Yoni Gomis, le premier ayant fait quelques bouts de match (mais un but) et le second n’ayant jamais foulé une pelouse de Ligue 1.
Alors que l’an dernier le banc était peuplé de jeunes de la réserve formées au Racing, il est aujourd’hui rempli de jeunes, cette fois-ci recrutés (très) chers ailleurs. Avec cependant un même résultat : aucune réelle différence n’est apportée de la part du banc. Avec un jeu aussi demandeur en énergie, le Racing a besoin de vraies solutions, et ce n’est pour l’instant pas le cas. Résultat ? Le club plonge trop souvent en 2e mi-temps, encaissant plus de 2/3 de ses buts (!) sur la période.
Il faudrait donc beaucoup mieux penser le mercato que ce qui a été fait depuis l’arrivée de BlueCo, et particulièrement par rapport à ce que demande le jeu exigeant de Liam Rosenior. Pour une défense aussi régulièrement exposée, il y aurait besoin d’un défenseur de métier. Pour un milieu qui ne tient qu’avec Diarra, Doukouré et Santos, un profil de 6 capable de protéger sa défense serait approprié. Un vrai piston droit libèrerait Bakwa d’un poste qui n’est pas le sien et dans lequel il se perd peu à peu. Enfin, une autre solution offensive doit être envisagée, en cas de nouvelle blessure d’Emegha. Beaucoup trop de colmatage pour une équipe bâtie à plus d’une centaine de millions d’euros sur 2 ans.
Un coach dans le dur
On l’avait déjà écrit lors du bilan d’automne : la hype Rosenior est désormais très loin derrière. Deux semaines plus tard, rien n’a changé, les mêmes problèmes demeurent et le Racing n’a pas pris un point. Une partie des problèmes doit être imputée au recrutement hasardeux de BlueCo, mais les failles dans le système du coach anglais apparaissent de plus en plus profondes à chaque nouvelle défaite.
Le pire, c’est qu’elles restent les mêmes de match en match, laissant apparaître une question : a-t-il les moyens d’inverser la tendance ? Plus important : le fera-t-il en modifiant ses principes, pour le moment poussé dans un jusqu’au-boutisme virant à la caricature ?
Plus crispé et tendu ces derniers temps au bord du terrain, et refusant désormais de communiquer son groupe à la veille des matchs, l’entraîneur anglais semble agir constamment à contretemps. Face à Nice, son expérimentation sans attaquant de métier a fonctionné [comme par hasard, c’est Bakwa enfin à son poste qui marque, ndlr] jusqu’à la blessure de Doukouré ; mais surtout, son choix d’attendre les Niçois dans sa partie de terrain a exposé la défense, qui a inévitablement fini par craquer.
Il ne repose toujours pas non plus un Nanasi qui a cruellement besoin de repos, malgré sa passe décisive tardive à Brest et ne semble n’avoir qu’un plan A avec un système qui a depuis longtemps épuisé les joueurs strasbourgeois. Si les joueurs apprécient sa vision du jeu et s’il ne semble pour le moment pas menacé, Liam Rosenior va devoir trouver des solutions dès ce 8 décembre face à Reims. La composition d’équipe sera plus qu’intéressante à décortiquer et une 5e défaite consécutive donnerait des sueurs froides au board alsaco-anglais.
Néanmoins, malgré la période de dur qu’il traverse, il serait totalement illogique de se séparer de Rosenior. Le Racing a su tenir une année sous Patrick Vieira, avec des résultats aussi amorphes que le jeu proposé, il faut que l’entraîneur anglais puisse avoir sa chance sur le long terme. À voir si cela colle avec le projet.
Le retour de la question : est-ce que le projet Racing sous BlueCo sera chaque année la même chose ?
Un projet qui n'avance pas
Dans les mêmes eaux troubles que l’an dernier, malgré 60 millions supplémentaires, le Racing semble une nouvelle fois parti pour jouer raisonnablement le maintien, malgré les promesses d’Europe de l’été. Et on peut très sérieusement se demander si viser les places européennes est vraiment compatible avec le fameux « projet Racing », si souvent mis en avant. On le rappelle, Marc Keller avait donné 3 ans pour juger le projet : on est désormais à mi-parcours, le temps d’un premier bilan.
Et pour le moment, le projet Racing c’est factuellement : l’équipe la plus jeune de Ligue 1 depuis 75 ans, plus d’une centaine de millions dépensés de manière presque caricaturale, un maintien décroché après une saison éprouvante, deux entraîneurs différents, deux styles de jeu différents, pour finalement se retrouver exactement à la même place que l’an dernier avec beaucoup de reproches similaires. On a vu des projets mieux bâtis.
Même économiquement, un projet qui manque de logique
Les optimistes se diront que le meilleur reste à venir, que BlueCo va gentiment nous recruter des joueurs pour des dizaines de millions et que cela nous permettra sans doute de nous sauver. Que Strasbourg va suivre le même chemin que Chelsea, qui a été racheté en mai 2022 et qui commence 2 ans et demi plus tard à avoir des résultats. Qu’il faut laisser du temps au temps et faire confiance à Marc Keller.
Les moins optimistes (plus réalistes ?) argumenteront que ce n’est pas à coup de millions que l’on bâtit une équipe capable de viser plus haut sur le terrain. Et que si l’on s’entête à faire les mêmes choix, il ne faudra pas être surpris d’avoir encore et toujours les mêmes résultats.
Que Chelsea a de la marge et que ne pas jouer une Coupe d’Europe une année, ça passe. Mais même sans parler d’Europe, ce Strasbourg pourrait ne pas se relever de descendre en Ligue 2, un championnat duquel il est toujours très difficile de remonter. Sportivement, le projet a donc beaucoup de mal à convaincre, et maintenant que les regards sont à nouveau tournés sur le terrain et plus en tribune, la réalité est crue.
Mais même si l’on suit la logique économique de BlueCo, cherchant à valoriser ses joueurs pour les vendre plus chers, à l’heure actuelle, le projet Racing tangue sévèrement. Comment faire prendre de la valeur à tes pépites si tu t’englues dans le ventre mou de la Ligue 1, sans briller, en accumulant les mauvais résultats ? En cas de revente, Sylla vaut-il 20 millions aujourd’hui ? Mwanga en vaut-il encore 10, Mara 12 ? Bien sûr que non. Seuls Bakwa, Nanasi et Emegha peuvent aujourd’hui partir pour plus chers qu’ils ont été achetés. La logique économique ne fonctionne que si le Racing joue l’Europe ; mais aujourd’hui, rien n’est fait sérieusement pour qu’on n’y arrive. Le paradoxe BlueCo.
Car alors que la perte d’identité du Racing est chaque jour plus claire et que les entraînements ouverts au public s’amenuisent, la seule pilule capable de faire passer tout cela reste justement les résultats. Un Racing jouant l’Europe grâce ou malgré la multipropriété [cela dépend du positionnement sur la question, ndlr] séduira toujours plus de monde même si le sentiment d’appartenance s’étiole. En revanche, si c’est pour vivre chaque année des dizaines de millions d’investissement pour rejouer la même saison autour de la 13e place, il y a fort à parier que le désintérêt sera exponentiel. Et que les tribunes du nouveau stade résonnent plus vides que prévues.
Le prochain match face à Reims sera crucial pour Strasbourg. Dans la froideur du mois de décembre, et dans une Meinau à l’ambiance qui sera forcément particulière au vu des résultats et des tensions en tribune, le Racing a tout intérêt à relancer la machine pour ne pas sombrer. Parce que 2025 peut rapidement devenir plus éprouvant encore que 2024, et nul doute qu’aucun supporter du club ne souhaite cela.