Contrairement à la comptine pour enfants, les longs épisodes de pluies diluviennes que traverse le pays ne sont pas toujours de bon augure pour nos amies les grenouilles. Nous avons pris de leurs nouvelles auprès du service de l’Eurométropole de Strasbourg en charge des réserves naturelles.
Chante-t-elle la grenouille, sous les flots strasbourgeois ? Pas vraiment. Ce petit être, tout de vert vêtu dans l’imaginaire collectif, ne se porte pas si bien sous les pluies des derniers mois. Avec Anne Villaumé, chargée d’études faune et flore pour les réserves et parcs de l’Eurométropole de Strasbourg, nous avons plongé dans le monde fascinant des amphibiens. Et dressé un état des lieux de leur population.
Pourquoi cet intérêt pour les grenouilles et leurs amis tritons ? Les amphibiens jouent un rôle crucial dans l’écosystème rhénan, servant de base alimentaire pour de nombreux autres animaux. « Les pontes nourrissent insectes et poissons, tandis que les individus adultes alimentent les oiseaux des réserves », détaille la spécialiste.
Les compter pour les protéger
Pour savoir comment se porte la famille des amphibiens présente dans les réserves naturelles de Strasbourg, les services de la faune et de la flore effectuent un inventaire. Les résultats vont ensuite remplir une base de données nationale, celle de la Société herpétologique de France (SHF). Réalisé sur trois ans, il permet d’évaluer l’évolution du nombre d’individus.
Anne Villaumé ouvre ses dossiers et fait l’appel : « Dans notre zone, sont historiquement présents le crapaud commun, la grenouille rousse, la grenouille verte, la grenouille agile, la rainette verte, le triton ponctué, le triton alpestre et le triton crêté. »
Néanmoins, dans cette liste, certaines espèces sont qualifiées de « patrimoniales ». C’est-à-dire qu’elle sont protégées, menacées (liste rouge), rares, ou représentent un intérêt scientifique/symbolique.
Cette dénomination n’est pas un statut légal. Il s’agit d’espèces que les scientifiques et les conservateurs/rices estiment importantes d’un point de vue patrimonial, que ce soit pour des raisons écologiques, scientifiques ou culturelles. En l’occurrence, sur les réserves strasbourgeoises, il s’agit de « la grenouille rousse, la grenouille agile, la rainette verte et le triton crêté ».
La star des grenouilles : la rainette
Elle est la diva de son espèce. La rainette verte, à la couleur vive et au chant mélodieux, est menacée sur le secteur de l’Eurométropole. Discrète, elle préfère les eaux profondes et les roselières.
La situation est critique : « Dans les années 1980, une vingtaine de mâles avaient été recensées, dans la réserve du Neuhof. Mais aujourd’hui, leur présence est incertaine. Le dernier mâle chanteur a été entendu en 2013. Autrefois, ils vivaient dans la zone sud, aujourd’hui occupée par le pont Pflimlin et la rocade. »
La situation est également préoccupante dans la réserve naturelle du Rohrschollen : lors du dernier recensement en 2023, seulement neuf mâles chanteurs ont été repérés, contre 56 en 2013.
À la Robertsau, aucune surveillance spécifique n’a encore été mise en place, mais des chants ont été entendus en 2014, laissant espérer leur présence. Un plan de gestion est en préparation, et le parc présente de nombreux avantages pour cette espèce.
Si la fragilité de ces grenouilles est due à la canalisation du fleuve et aux activités humaines, les rainettes pourraient potentiellement être trouvées dans les gravières. Cette hypothèse reste à confirmer.
Le triton crêté : le beau gosse des réserves
Le triton crêté, avec ses couleurs et sa crête dorsale spectaculaire, est une espèce menacée au niveau national. Ces créatures préfèrent les mares prairiales et forestières, riches en végétation et sans poissons.
En 2024, 36 tritons crêtés ont été recensés dans la réserve naturelle du Neuhof, répartis en deux populations distinctes. Ces groupes sont séparés par une route traversant la réserve, fragmentant ainsi leur habitat.
La situation est préoccupante au Rohrschollen : en 2024, seulement quatre tritons crêtés ont été repérés, contre 59 en 2023. Les submersions répétées de l’île sont responsables de cette chute dramatique de la population.
À la Robertsau, la population de tritons crêtés montre des signes de reprise. En 2014, 14 individus ont été recensés, une augmentation significative par rapport aux trois dénombrés en 2021.
Cette amélioration est due à l’élévation du niveau de l’eau, causée par les fuites des barrages et dispositifs EDF, créant des conditions favorables pour l’espèce.
La grenouille agile, sa spécialité : s'adapter
La grenouille agile, bien que classée en préoccupation mineure dans le Grand Est et en augmentation en France, a perdu 50% de sa population sur la bande rhénane au fil des ans. Cependant, elle commence tout juste à se rétablir. Info bonus : c’est la championne du saut en longueur dans les réserves, jusqu’à deux mètres !
Pour elle aussi, les digues qui fuient dans la région créent de nouveaux habitats favorables pour cette espèce. Les grenouilles agiles préfèrent les eaux limpides du Rhin et des nappes phréatiques, riches en végétation.
« Sur cette population, nous pouvons compter sur le travail d’un naturaliste dévoué. Il recense les grenouilles agiles et rousses au Neuhof en se basant sur leurs pontes. Ses efforts contribuent à mieux comprendre et protéger ces grenouilles dans leur habitat naturel », explique Anne Villaumé.
Préserver la petite rousse
La grenouille rousse est classée comme quasi-menacée dans le Grand Est. Elle préfère les mares peu profondes, mais ces habitats sont fragiles et souvent asséchés, posant des défis lors de sa reproduction.
Les faibles hauteurs d’eau nécessaires à la grenouille rousse rendent sa survie difficile, surtout en période de sécheresse. Pour pérenniser cette espèce, une réadaptation de la gestion du Rhin Tortu et du Schwarzwasser (GEMAPI) est nécessaire. « Actuellement, cette gestion aide à retenir un peu d’eau, mais d’autres solutions sont indispensables », explique la chargée d’études faune et flore.
Contrairement à certaines autres espèces, la grenouille rousse ne craint pas la présence de poissons, donc les cours d’eau sont généralement adaptés pour elle, tant que le niveau d’eau reste bas.
La grenouille rousse est suivie uniquement dans la réserve du Neuhof, où environ 6 000 pontes ont été recensées. Chaque ponte contient environ 5 000 œufs, d’où environ 50 individus arrivent à éclosion. Les brèches et fuites des canalisations et équipements EDF de cette réserve créent des mares temporaires où elles peuvent s’installer.
La fête à la grenouille... nécessite quelques efforts
Les réserves naturelles ont une méthode simple pour surveiller les grenouilles et autres amphibiens. Chaque année, en mars, elles sélectionnent les sites à surveiller. Ils sont ensuite visités tous les deux ou trois ans.
- Mars : les équipes repèrent les pontes des grenouilles vertes et agiles.
- Mai : elles vérifient les espèces tardives comme les rainettes, les grenouilles vertes et les tritons crêtés.
- Trois fois par an : les tritons et autres amphibiens sont surveillés avec des nasses.
L’Eurométropole collabore avec l’association BUFO (Amphibiens Alsace) pour assurer ces suivis réguliers et essentiels.
Toute jeune réserve, le plan de gestion de la Robertsau est en préparation. Il sera présenté en septembre. Les plans des autres réserves sont actuellement en révision. La gestion est planifiée sur cinq ans pour les nouvelles réserves, comme la Robertsau, et sur 10 ans pour les autres.
Ils sont conçus pour minimiser les interventions humaines. Plusieurs partenaires y contribuent : UNF, ES, DDT, DREAL, la fédération de chasse, des associations d’agriculteurs/rices, des propriétaires fonciers, la Chambre d’agriculture, des naturalistes, etc.
En 2024, les pluies ont été suffisantes. Pourtant, la canalisation du Rhin complique la situation. La nappe phréatique n’est plus aussi accessible. EDF gère artificiellement les crues, réduisant le niveau d’eau et impactant les sites naturels. Il faut donc désormais trouver des solutions pour réguler l’eau en amont des réserves.
Contrairement à l’idée populaire, s’il pleut trop, vous l’aurez compris, la rainette n’est pas à la fête. Sensibles au changements climatiques et à conséquences des activités humaines, les amphibiens se révèlent être d’excellents témoins de la crise qui touche la biodiversité.