Avec des fresques présentes dans toute l’Eurométropole de Strasbourg ou presque, dont certaines gigantesques, Ossiann Roux est un artiste strasbourgeois qui monte, qui monte (littéralement). Et s’il est un « designer aux multiples casquettes », nous on lui tire surtout notre chapeau. Présentation d’un muraliste qui n’a pas peur de prendre de la hauteur pour peindre Strasbourg en couleurs.
Sur le papier, Ossiann Roux est Breton, car né en 1997 à Brest. Mais dans le cœur : il est désormais Strasbourgeois. Arrivé pour ses études en 2016, après un crochet en Bourgogne pour une prépa’, et une enfance « dans les îles », il n’en est jamais reparti.
S’il a rêvé un temps d’être cuisinier et que son CV dit de lui qu’il est « un voyageur invétéré, un cuisinier miam-miam certifié, un amoureux de la nature, un passionné de la mode », depuis 2019, il est bien « designer au quotidien ».
Après un diplôme obtenu au Corbusier (Illkirch) où il aussi bien étudié le « graphisme, [l’]espace et [le] produit », et qui le prépare à travailler sur des missions à « différentes échelles », il ressort avec des outils plein les mains, prêt à jongler entre les projets.
Jusqu’à doucement se resserrer entre deux activités : celle de designer événementiel (à concevoir des décors et de la scéno’ éphémère, comme pour le Marché de Noël de Strasbourg en 2022), et celle de muraliste, l’art de peindre sur les murs. La « casquette » qui nous intéresse aujourd’hui. Car difficile de passer à côté des nombreuses fresques qu’il a imaginées et qui habitent aujourd’hui nos quartiers.
Muraliste un peu par hasard
Attiré depuis toujours par le monde de l’art, s’il arrive dans des études de design et de graphisme, ce n’est pas par hasard… Mais rien ne le prédisposait à dessiner sur des murs, pour sûr. À ses débuts post-études, il avait même un temps « perdu [son] attache à l’illustration ».
C’est le Covid, d’abord, qui lui remet le pied à l’étrier, et le pinceau à la main. En parallèle du graphisme et de la communication, il se remet doucement à l’illustration. Et c’est un projet en partenariat avec l’APE (l’Association Parlementaire Européenne) pour laquelle il est graphiste depuis plusieurs années qui le fait tomber dans la marmite du muralisme, en 2021.
Alors qu’un espace là-bas nécessite un réaménagement, il propose de peindre directement sur les murs : naît alors la série « Fenêtre sur l’Europe », avec une dizaine de panneaux, représentant chacun des paysages graphiques du continent européen. « Ma première expérience de peinture grand format. »
Pourtant, si Ossiann a « beaucoup recours à la peinture » dans son activité de scénographie (pour créer des panneaux, par exemple), il explique n’avoir presque jamais peint de toile. « J’ai dû en peindre deux dans ma vie », confie-t-il. « C’était vraiment pas un médium auquel je me prédestinais. » La raison ? Trop limitante, puisque présentée sous des formats généralement petits.
Les murs, quant à eux, offrent davantage de surface. Ossiann raconte être intéressé par la « notion de très grand ». « Peindre avec tout mon corps des [sujets] de plus en plus grands, c’est ce qui me plaisait dans ce challenge-là. »
Des projets à (très) grande échelle
Et au « très grand », il s’y est rapidement mis. Dans ses nombreuses collab’, citons par exemple les Ateliers Éclairés (à la Coop) – où il a posé son atelier – pour lesquels il a créé des WC des plus stylés.
Ou très régulièrement, avec COLORS Urban Art qui l’envoie colorer les compteurs électriques de nos rues, comme à la Robertsau. (Ou plus anecdotique : pour qui il a aussi créé une affiche pour le Racing Club de Strasbourg).
Et puis, un projet en entraînant un autre, les commandes affluent, avec de nombreuses créations in situ.
Dans le cadre de cartes blanches, avant d’esquisser une nouvelle fresque, Ossiann aime partir à la rencontre du lieu et de celles et ceux qui l’habitent. Se renseignant sur son histoire, discuter avec les voisin(e)s, les passant(e)s : « C’est primordial. […] Je tiens à cet échange avec toutes les personnes qui vont être spectatrices de l’œuvre. »
Et parmi celles-ci, la plus monumentale reste encore celle du quartier du Marais, à Schiltigheim, en septembre 2023. « Une opportunité folle » et une œuvre titanesque pour laquelle il dit oui, avant d’en réaliser l’ampleur.
Un défi de taille – et c’est peu dire – : une surface de 180 m², sur un immeuble d’une hauteur de cinq étages, et inscrite dans un quartier qui lui tient à cœur. Pour lequel il a réalisé également le réaménagement d’une aire de jeux avec des enfants et des classes de l’école primaire.
C’est d’ailleurs parce qu’il avait déjà un pied dans le Marais que le bailleur Foyer Moderne fait appel à lui pour cette fresque anniversaire (pour leur 70 ans).
En tout, il lui aura fallu neuf jours, avec une découverte toute nouvelle de la peinture sur nacelle. « À 16 mètres de haut, pour le point le plus haut. »
Et puis, contrairement à d’autres street-artistes/muralistes, Ossiann ne travaille pas avec un système de projection numérique du modèle à peindre.
Ne l’ayant jamais fait, il garde sa technique habituelle : dessiner au plus précis l’illustration sur l’ordinateur, puis la découper en grille et se reporter sur le mur avec des mesures, des règles et des repères, feuille à la main. En peignant petit à petit, et en se reportant sur le trait précédent, « old school ».
Si le projet a d’abord généré quelques angoisses, il en est aujourd’hui fier. D’autant plus qu’il a donné lieu à une première collab’ avec… son père, alors en pleine reconversion professionnelle. Un duo père-fils « très complémentaire » et qui fonctionne, un apprentissage à deux et « un amour de la fresque conforté par cette expérience ».
En somme : un « accomplissement » et un « épanouissement dans le boulot » pour les deux.
Et ça lui réussit ! Depuis sa première en 2021, et surtout depuis 2022-23, Ossiann compte à ce jour une douzaine de réalisations et il n’est pas près de s’arrêter en si bon chemin. D’ici la fin de l’été, Schiltigheim et Bischheim auront chacune de nouvelles fresques.
Et si les œuvres d’Ossiann Roux parsèment petit à petit l’Eurométropole, on n’est pas à l’abri qu’elles débarquent dans d’autres régions… Un « effet boule de neige » avec des contacts de l’extérieur (du Grand Paris, par exemple), dû peut-être à ses réseaux, ou des touristes de passage. Affaire à suivre.
Un style reconnaissable
Mais c’est quoi, la patte Ossiann Roux ? Décliné déjà dans ses créations design, on retrouve dans son style graphique un goût prononcé pour « des couleurs assez franches », « des aplats » et « des formes dynamiques ». Un équilibre entre simplicité et complexité, et surtout beaucoup de liberté.
Et si jusque-là, Ossiann utilisait davantage les « pinceaux, rouleaux », et la peinture « classique », il n’hésite d’ailleurs pas à s’essayer à de nouveaux médiums, comme la bombe aérosol.
Au-delà des outils, on y voit aussi des éléments récurrents. Comme la découpe de ses images en cadre : un héritage qui lui vient de son amour pour la BD, enfant, mais pas seulement. Il explique y trouver de la « sûreté ». « Même si j’ai un mur très grand, si je le découpe en plusieurs cadres plus petits, je me sens moins seul face à une grande page blanche. Un moyen à la fois graphique et technique. »
Et puis, des thèmes surgissent. Comme la nature, qu’elle soit végétale ou animale et qui le fascine. Il explique être actuellement dans « une phase » autour des oiseaux et « leurs couleurs »… Il n’est donc pas impossible que de nouveaux spécimens pointent le bout de leur bec sur de prochaines fresques.
Outre les oiseaux, quand on lui demande ses inspirations, il parle d’une poignée de contemporains qui les « synthétise [bien] ».
Il cite ainsi – pour le plus ancien – Paul Cox pour son travail de la 2D et son univers enfantin, ainsi que l’illustrateur Jean Mallard et ses « paysages très complexes avec beaucoup de couleurs », Giacomo Bagnara ou encore les duos ZEBU (de Berlin) et Atelier Bingo (de France).
Les piliers de l'égalité
Outre la forme, parlons du fond : s’il ne se définit pas comme un « artiste engagé », Ossiann reconnaît l’être « d’une certaine manière » puisque ce qu’« [il] fai[t] est à la vue de tous ». À l’instar de son dernier projet, « Les piliers de l’égalité » avec COLORS Urban Art sur des valeurs qui lui sont chères.
Sur une structure visible sur la place de la mairie de Schiltigheim, il dessine les piliers de l’égalité, dans le cadre d’un parcours thématique déployé dans la ville. Inauguré durant le mois des fiertés et à quelques jours des élections législatives, il prend tout son sens à la lumière de ce qu’il se passe en ce moment en France, comme en Europe.
On y découvre « l’Unité, le Partage, la Liberté et l’Action », soit « quatre piliers qui selon nous sont essentiels pour un futur plus humain et égalitaire, enrobé de beaucoup de couleurs et surtout de beaucoup d’amour ! » écrivaient-ils le 2 juin à quatre mains, de concert avec son père. « Il y a des choses qui font partie des bases de l’humanité, et qu’il ne faut pas oublier », conclue-t-il aujourd’hui.
Pour suivre le travail d’Ossiann Roux :
Sa page Instagram
Son site internet