Mercredi 24 janvier, un peu plus de 450 tracteurs stationnaient sur la M35 dans une opération de blocage coordonnée par la FDSEA 67. Écho alsacien à la mobilisation nationale des agriculteurs/trices, ce blocage est prévu pour 24h.
« Nous sommes ceux qui vous nourrissent », clame une des pancartes en tête de file du convoi de tracteurs. Les raisons de la mobilisation nationale ? Revenus, loi EGAlim, prix des carburants, pacte vert européen, réduction des pesticides, pesanteur des normes environnementales et concurrence ukrainienne… La colère est présente et ses sources sont nombreuses.
Ce mercredi 24 janvier, le blocage de la M35 a débuté vers 16h sous l’orchestration de la FDSEA 67. Entre Porte-Blanche et le Marché-Gare, plus question de circuler. Les sorties sont d’ailleurs les dernières empruntables.
Attendus de pied ferme dès 14h par la coordination de la FDSEA 67, les premiers convois se sont élancés de chaque canton au goutte-à-goutte à partir de 12h16 (top départ pour Sarre-Union). Jusqu’à parvenir au niveau des locaux de la CRS autoroutière, près du cimetière militaire.
Lorsqu’ils arrivent, impossible de les manquer ! Du concert de klaxons, pour certains forts originaux, au roulement sourd des tracteurs, en passant par les pancartes et autres drapeaux de la FDSEA ou des Jeunes Agriculteurs, la lente évolution de ces colosses de fer ne passe pas inaperçue. Une fois stationnés – et les voies dégagées pour les véhicules de secours – , les premières installations du campement se mettent doucement en place pour passer la nuit.
24h pour asseoir leurs revendications
Musique, barbecues, denrées, sacs de couchage et barnum. Désormais installé(e)s, les agriculteurs/trices alsacien(ne)s sont paré(e)s à passer la nuit sur la M35. Selon Gérard Lorber, secrétaire général de la FDSEA du Bas-Rhin, « plus de 500 » sont mobilisé(e)s.
Afin de s’assurer du bon déroulement de l’action, l’homme déambule au gré des tracteurs. « C’est là où on fera les meetings, la restauration », pointe-t-il au fur et à mesure, à notre intention. « Il y a des sanitaires, de quoi manger, de quoi boire et avec tout ça on a de quoi tenir 24 heures. »
Les agriculteurs/trices en profiteront pour faire entendre leurs revendications. « La production agricole française recule dans tous les secteurs, concurrencés par les importations – hors Europe – qui ne respectent pas les mêmes normes [environnementales ou sanitaires par exemple, ndlr] », regrette la FDSEA du Bas-Rhin.
Le syndicat, majoritaire en Alsace, dénonce aussi les coûts de production qui « explosent dans les fermes », et milite pour un revenu décent.
À titre d’exemple, le chiffre d’affaires annuel d’une exploitation alsacienne de taille moyenne tourne autour des 250.000 euros. Or, en 2007, le même tracteur houblonnier acheté 45.000 euros, coûte aujourd’hui 110.000 euros. « À raison d’un besoin de renouvellement tous les 3 ans afin de travailler avec du matériel de qualité et en y ajoutant les charges du quotidien… le compte n’y est pas. »
C’est également l’avis de Denis et Nicolas, exploitants agricoles présents dans le cortège et installés depuis les années 80.
Denis se remémore le prix du lait vendu au litre (en francs), alors que les exploitant(e)s laitiers/ières doivent désormais utiliser l’hectolitre pour avoir des tarifs clairs. « Ce début d’année 2024 est catastrophique. Alors que nous avions bien travaillé sur la période précédente, nous bouffons désormais notre capital. Nous l’avons toujours un peu entamé, bien sûr, mais jamais dans ces proportions ! »
Originaires de Saverne, les deux amis refusent de voir leurs enfants reprendre les exploitations : « Nous ne voulons pas de cette vie pour eux ».
Les jeunes agriculteurs/trices au diapason de leurs aîné(e)s
Dans les rangs, les enfants d’agriculteurs et d’agricultrices sont pourtant nombreux. Et notamment ceux qui se forment ou se sont formés en lycée agricole afin de prendre la suite de leurs parents. Parmi eux, Éléna, 16 ans, souhaite voir à l’issue de cette mobilisation une « amélioration des conditions d’installation des jeunes agriculteurs ».
« Nous prenons la suite par passion et souhaitons recevoir autre chose que des critiques de la part du grand public, et surtout, un plus grand soutien de la part des instances. La passion ne paye pas. »
En formation dans le but de reprendre l’exploitation familiale, et venu depuis Bernolsheim, Thomas, 20 ans, dénonce « une hypocrisie » : « On ne peut pas nourrir tout le monde à un coût attractif et accessible, surtout par les temps qui courent, avec une agriculture bio. Plus le rendement est élevé, plus le prix est bas, forcément ».
Unanimes sur la nécessité de cette opération de blocage, les jeunes présents estiment que « pour se faire entendre, parfois, il faut faire des grandes manœuvres ». Toutes et tous s’interrogent sur l’avenir : « Est-ce qu’on arrivera à tenir sur la durée ? Est-ce que notre pays veut encore de nous ? »
Venue pour soutenir son père Albert, Prisca a fait une licence d’arts plastiques. À 21 ans, la jeune femme ne souhaitait pas reprendre l’exploitation. « Les charges augmentent et le reste ne suit pas. Nous avons une imposition foncière à 100 euros par hectare chaque année. En sus des autres charges, et dans les conditions actuelles, ce n’est plus envisageable de rester sans ne rien dire. »
La colère des agriculteurs/trices continue ce jeudi 25 janvier
« Nous devons tous rentrer chez nous demain pour s’occuper de nos exploitations », explique Denis lorsqu’on lui demande s’il serait envisageable de maintenir ce blocage. Néanmoins, la FDSEA 67 n’entend pas s’arrêter là.
« Aujourd’hui l’agriculture française recule en termes de production de fruits et légumes, de viandes, etc. Au profit d’importations. Et les injonctions actuelles à consommer bio et local ne sont plus en phase avec la réalité. Nous traversons une crise financière. »
Les consommateurs/trices hors CSP+ tendent de fait à consommer à bas coût. Et les collectivités peinent à respecter la loi EGAlim. « Si on veut rester compétitif, il va falloir que le gouvernement et l’Union européenne envisagent les besoins réels du secteur ».
Si le blocage doit continuer jusqu’à ce soir 18h au moins (au niveau du Marché-Gare), la Coordination rurale appelle également à un rassemblement ce jeudi 25 janvier, de 10h à 17h, à Strasbourg. Muni(e)s de leurs gilets verts, les agriculteurs/trices ont rendez-vous devant les locaux de la DDT (Direction départementale des territoires).
Opposant historique à la Politique agricole commune (PAC), le syndicat agricole se mobilise pour dénoncer « la fin de l’exonération sur le gazole non-routier (GNR), l’augmentation de la paperasse et des coûts de production pour les agriculteurs ».
Rédactrice : Marine Dumeny