Il y a deux ans, nous vous présentions le projet fou de Jean-Yves Bart, aka @basrhinaleatoire sur Instagram, un Strasbourgeois qui s’est donné pour mission de visiter les 526 communes du Bas-Rhin, nous rappelant que le dépaysement se trouve parfois à portée de main. Chaque semaine, il tire au sort le nom d’une ou plusieurs patelins à explorer et partage le résultat de ses excursions avec ses abonné(e)s. On y apprend toutes sortes d’anecdotes, dressant un portrait touchant de nos villages.
Jean-Yves Bart, c’est un drôle de personnage. Nous avions rencontré ce Strasbourgeois d’adoption début 2021, pour son projet 16xStrasbourg, qui avait pour ambition de visiter toutes les Strasbourg du monde, ni plus ni moins. Un projet qu’il a d’ailleurs (presque) mené à bout l’été dernier, après avoir visité 13 des Strasbourg du globe : au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, et en Autriche. Les trois restantes sont pour l’instant impossibles à explorer pour des raisons de sécurité.
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C’est pendant la crise du Covid, que Jean-Yves, freiné dans ce tour du monde, a eu l’idée de se lancer dans une exploration départementale. Il nous confiait alors : « Faute de pouvoir voyager ailleurs, je me suis d’ores et déjà attelé, pour mon divertissement personnel, à l’exploration aléatoire des 526 communes du Bas-Rhin. J’en ai visité 59 pour le moment, j’aurai peut-être fini avant de mourir ». Et la bonne nouvelle, c’est que le projet avance à une vitesse folle (et bien heureusement, Jean-Yves est encore en vie !)
Un mercredi matin glacé de novembre, rêvant d’aventure et de casser la routine, nous nous sommes glissé(e)s dans le bolide pétaradant de notre Indiana Jones local, pour le suivre dans l’une de ses escapades, et prendre des nouvelles de son odyssée.
Deux années se sont écoulées depuis notre première rencontre. Combien de communes as-tu visité à ce jour, sur les 526 que comprend ton périple ?
J’en ai visité 466 pendant mes aventures.
Tu avances vite ! Est-ce que c'est devenu une sorte d'addiction pour toi d'aller explorer ?
Il y a en effet quelque chose de l’ordre de l’addiction dans mon rapport au Bas-Rhin aléatoire, qui me pousse régulièrement à aller marcher 12 heures dans le week-end sous des températures déplaisantes.
D’abord, il y a une réelle curiosité qui fait que j’ai toujours envie de mettre des images sur des lieux, et ensuite, le protocole de tirage au sort aléatoire entretient ma curiosité, et maintien du suspens sur ce qui sera une partie non-négligeable de ma semaine, pour casser la routine liée au travail et à d’autres activités.
Pourquoi as-tu envie d'immortaliser les petites choses du quotidien dans les patelins, comme les panneaux anti-crottes de chien ou les plaintes en tout genre des habitant(e)s ? Est-ce que pour toi ces petites notes en disent beaucoup sur celles et ceux qui peuplent les lieux ?
J’ai un problème avec les détails. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais ça fait longtemps que je suis fasciné par tout ce qui est intervention écrite dans la rue. Je trouve ça émouvant et drôle, et souvent lorsque les gens écrivent sur les murs, c’est pour se plaindre. Et les raisons de se plaindre ne manquent pas, mais dans le Bas-Rhin, on se plaint principalement des crottes de chien, et souvent avec une grande créativité ! Je pense que c’est une manière socialement acceptable pour les gens de dire qu’ils sont dans la merde.
Sur le plan sociologique, depuis tout ce temps, qu'est-ce qui t'as le plus marqué dans le comportement des habitant(e)s de l'Alsace rural ?
Je constate, en lien évidemment avec la problématique des crottes, une obsession pour la propreté particulièrement aiguë : il n’y a qu’ici que je vois régulièrement des gens passer le balai, faire la poussière jusque dans la rue. Rien ne doit dépasser, et toute forme de chaos est à proscrire, car c’est une source de grande angoisse.
D'ailleurs, dans les comptes-rendus de tes explorations, on constate que tu fais souvent l’objet de suspicion de la part des habitant(e)s, car tu ne fais pas partie de leur paysage quotidien. Est-ce que tu as déjà eu des problèmes à cause de ça ?
La présence de quelqu’un de non identifié qui se promène sans but professionnel évident, et prend des photos est quelque chose de très inquiétant pour de nombreuses personnes dans le Bas-Rhin. Je suis souvent navré de me rendre compte que les gens pensent très vite que la seule raison possible de ma présence est la préparation d’un cambriolage, comme si on ne pouvait pas s’intéresser aux lieux et aux choses autrement que sous l’angle de la convoitise […] La réaction à ma simple présence est régulièrement hostile : on refuse de me dire bonjour, ou on traque mes faits et gestes derrière ses rideaux.
Évidemment, les Alsaciens ont historiquement des raisons légitimes de se méfier des visiteurs […] J’ai déjà subi des menaces assez violentes, notamment à Mothern, et il est probable que les gendarmes aient eu des appels à mon sujet.
L’autre jour, quand je suis descendu de voiture à Eywiller, j’ai photographié une laiterie abandonnée, et je suis allé saluer deux voisins qui discutaient à quelques dizaines de mètres de là. J’ai alors appris qu’une de ces deux personnes était déjà très angoissée par ma présence, alors que je venais juste d’arriver. Heureusement, l’autre monsieur a simplement engagé la conversation en me souriant, et une fois renseigné a dit à sa voisine : “Bein tu vois, il suffit juste de demander”. Après, il m’a raconté sa vie, c’était bien. On croise aussi des gens adorables.
Autre spécimen que tu as pu bien observer au cours de tes explorations, ce sont les chats alsaciens, qu'on retrouve dans chacune de tes publications, mais aussi dans tes stories où tu narres la vie de Joseph, ton petit félin. C'est quoi cette obsession pour les chats ?
Les chats, c’est de l’ordre de l’évidence pour moi. Je ne vois même pas trop comment expliquer mon obsession pour eux, c’est peut-être aux gens qui ne sont pas obsédés par les chats qu’il faut demander de s’expliquer, non ? En tout cas, l’observation des animaux est un des plus grands plaisirs de ma pratique. J’ai été particulièrement consterné, en voyant le film “La panthère des neiges”, que Sylvain Tesson déclare qu’il ne s’était jamais rendu compte auparavant, que partout où nous allons, nous sommes observés par des animaux […]
Pour ma part, je garde toujours en tête le fait que le nombre d’animaux dépasse celui des humains partout, même dans les coins les plus urbanisés, et qu’ils sont au moins aussi importants que ces derniers. C’est toujours une grande joie de les apercevoir ou de les rencontrer.
La fin de ton projet se rapproche puisqu’il ne te reste plus que 60 communes à visiter sur les 526. Tu penses que tu finiras en 2024 ?
Selon mes vagues calculs, oui, je devrais avoir fait le tour entier du Bas-Rhin fin 2024. Cela se terminera par une dernière étape à Strasbourg, qui évidemment sera de loin la plus longue.
C’est quelque chose que tu redoutes, la fin de tes explorations ? Tu n'as pas peur que ça laisse un grand vide dans ta vie ?
C’est une remarque que des proches m’ont faite à plusieurs reprises, mais la perspective semblait assez lointaine. Maintenant que ça se précise, c’est effectivement assez angoissant. La suite logique serait de s’atteler au Haut-Rhin, mais certaines communes, là-bas, sont à deux heures de route de Strasbourg, et ma voiture est très âgée, ce serait logistiquement bien plus compliqué.
Et d'ailleurs, est-ce que tu as des projets avec toute cette masse d'informations et de photos accumulées ?
Pas mal de gens m’ont signalé leur intérêt pour un éventuel livre Bas-Rhin aléatoire, et c’est quelque chose que je voudrais faire, mais la priorité est donnée au projet éditorial relatant mon tour des Strasbourg du monde, pour lequel la collecte d’images est terminée depuis un séjour autrichien en septembre.
Pour suivre la suite et fin des explorations de Jean-Yves, et tous ses projets, rendez-vous sur sa page Instagram @basrhinaleatoire. Peut-être que vous y apprendrez de nouvelles anecdotes sur le village de votre enfance, ou celui de votre crush, pour fanfaronner un peu !
Bravo au local-trotter !