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Nature en ville : ils veillent sur les 1 964 hectares de réserves naturelles de Strasbourg

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Article soutenu mais non relu par la Ville de Strasbourg.

Depuis 2021, la Ville de Strasbourg gère les quelque 1.964 hectares de trois réserves naturelles nationales, en grande partie situées sur son territoire. De précieux écrins de biodiversité sur lesquels veille une équipe de gardes passionné(e)s.

À l’orée de la forêt de la Robertsau et de La Wantzenau, deux hommes immobiles scrutent les berges de l’étang du Karpfenloch. Ici et là, quelques canards troublent la surface de ce miroir tendu à l’automne. Non loin, le chant d’un pic retentit tandis qu’une poule d’eau prend son envol. Mais c’est un visiteur autrement plus furtif que les gardes de la réserve naturelle tentent d’observer, en cet après-midi de novembre.

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Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Soudain, un éclair bleu vient récompenser leur attente. De l’autre côté du plan d’eau, un martin-pêcheur vient de se poser sur une branche. « Vous le voyez ? », demande Lucas Retz dans un large sourire. « Là-bas », précise du doigt son collègue Martin Marchand, tout aussi radieux. Le temps de fouiller le feuillage du regard, l’animal a disparu. Mais les deux gardes l’assurent : ce n’est que partie remise.

Un morceau d’histoire naturelle

Jumelles à la ceinture et chaussures de marche aux pieds, les deux hommes sont sur le point d’entamer leur ronde. Auparavant, cependant, une introduction s’impose. Classé réserve naturelle nationale en 2020, le massif forestier de la Robertsau et de La Wantzenau s’étend sur environ 710 hectares. Avec les bois de Neuhof-Illkirch et l’île du Rohrschollen, protégés, eux aussi, il est l’un des derniers vestiges des forêts ayant longtemps bordé le Rhin.

« Au fil du temps et de l’aménagement de l’espace par l’Homme, 90% des forêts alluviales rhénanes ont disparu, retrace Lucas Retz. Il en reste quelques poches tout au long du Rhin. Mais sur les 10% qui subsistent, seule une petite partie est aujourd’hui préservée. » Le fruit d’une volonté née dans les années 60, en parallèle de la canalisation du Rhin alsacien.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Une question d’équilibre

« Notre boulot à nous, c’est de veiller sur cet écosystème », poursuit Lucas Retz, enthousiaste. Ce qui implique notamment de faire respecter quelques règles. Au sein des réserves naturelles, il est demandé aux visiteurs/euses de rester sur les sentiers balisés et préserver la tranquillité des lieux. Bivouac et feux y sont interdits. Et lorsqu’ils sont autorisés, les chiens doivent être tenus en laisse. Une demi-douzaine de gardien(ne)s sillonnent chaque jour les trois réserves strasbourgeoises et veillent au grain.

La plupart du temps, les rappels à l’ordre se veulent pédagogues et se passent plutôt bien. Mais les gardes doivent aussi faire face à des incivilités. « Il y en a pour nous répondre que leur chien a le droit d’être en liberté. Mais ce n’est pas vraiment la question…», soupire l’agent. Il s’agit surtout de protéger un équilibre des plus fragiles. « Ce sont des espaces sauvages qui attirent beaucoup de visiteurs. Pour que cela n’entraîne pas une pression trop forte sur ces milieux, il faut un cadre réglementaire. »

Lancés dans leur ronde, les deux gardes se montrent intarissables lorsqu’il s’agit de parler des réserves et de leur biodiversité. Le binôme connaît le dédale de sentiers comme sa poche et attire notre attention sur mille et un détails. Ici, un hêtre remarquable qui étend son immense ramure au bord d’un vieux sentier. Là, une branche cassée à la forme particulière.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
À gauche, Lucas Retz, à droite, Martin Marchand. © Adrien Labit / Pokaa

Sur la piste du martin-pêcheur

« Venez », sourit Martin Marchand, soudain silencieux, avant de quitter le sentier un bref instant. Au milieu des broussailles, quelques souches taillées en biseau ou en forme de crayon. « Lorsque je suis passé hier, ce n’était pas encore complètement sectionné », explique le garde en s’approchant de la berge dans l’espoir d’apercevoir le responsable de ces travaux.

Longtemps tués et chassés pour leur fourrure ou leur glande odorante, les castors ont manqué de s’éteindre en Alsace dans les années 60. Ils se multiplient de nouveau aujourd’hui. « Ils font partie de ce qu’on appelle les espèces ingénieures, détaille Lucas Retz. Ce sont des animaux qui modifient leur environnement. » Au sein de la réserve, ils participent au processus de renaturalisation en aidant au renouvellement de la forêt.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

La promenade se poursuit le long de la Brunnenwasser, petite rivière aux eaux particulièrement limpides prenant sa source dans la nappe phréatique toute proche. Les gardes s’arrêtent au pied du pont, sous les branches nimbées d’or d’un arbre majestueux. « On vous propose de rester un moment en silence, pour avoir une nouvelle chance de voir un martin-pêcheur », suggère Lucas Retz. Si l’on en croit son chant, l’animal n’est pas très loin !

Le temps suspend son vol. En cet après-midi de semaine, les promeneurs/euses se font rares dans la forêt. Une légère brise fait pleuvoir des feuilles sèches par brassées dans un doux crépitement. Le vent porte aussi le bruit des activités du port du Rhin, tout proche. Et le chant de quelques oiseaux.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Un battement d’ailes se fait entendre dans un buisson avant de s’évanouir. Probablement le martin-pêcheur tant espéré. Tant pis. Les gardes notent la présence de mille et un oiseaux qu’ils désignent patiemment du doigt aux néophytes que nous sommes.

Réapprendre à faire partie d’un tout

« Pour veiller sur un endroit comme celui-ci, il faut en être amoureux, sourit Lucas Retz. On se nourrit de toutes ces observations. C’est aussi une large part de notre travail. Il faut être curieux et avoir une fibre naturaliste. » S’ils peuvent sanctionner les infractions au règlement de la réserve, les gardes ont cependant de plus larges missions. Au nombre desquels figure la sensibilisation du grand public.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Les bois de la Robertsau-Wantzenau comptent, en effet, de nombreux espaces bucoliques attirant les visiteurs/euses. Certain(e)s viennent pique-niquer au bord de la “cascade” – un tout petit saut de rivière situé non loin de la digue. D’autres viennent se baigner sur le site naturiste du Blauelsand. Ou tout simplement se promener sur les sentiers. Le statut de réserve naturelle nationale protège particulièrement les lieux, mais ne vise pas à interdire toutes les activités.

« Ce serait contreproductif, juge Lucas Retz. En tant qu’humains, nous faisons partie de la nature. Nous n’avons pas à nous en exclure. Il s’agit simplement de réapprendre à faire partie d’un tout. » Les gardes jouent donc parfois les médiateurs, afin que les visiteurs/euses s’approprient la forêt tout en la respectant.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Laisser faire la nature

Cette mission implique parfois de lutter contre des idées reçues. Depuis quelques années, les réserves strasbourgeoises sont en libre gestion. Lorsqu’un arbre tombe hors du sentier, il n’est pas débardé, mais laissé à pourrir sur le sol. Loin d’être une négligence, cette décision fait partie d’une démarche écologique.

« En forêt, on sait aujourd’hui que 30% des espèces animales sont liées au bois mort, de près ou de loin », détaille Lucas Retz. Cette matière aide par ailleurs à garder l’humidité au sol et diminue les risques de survenue d’un incendie.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Au bord du sentier apparaît soudain un chêne couvert de lierre. Un autre sujet ayant nécessité toute la pédagogie des gardes. « Certaines personnes pensent encore que la plante tue l’arbre, explique Martin Marchand. Cela peut arriver s’il est déjà très vieux ou en mauvaise santé. Mais il s’agit surtout d’un écosystème à part entière, abritant des espèces d’insectes, d’oiseaux ou même de chauves-souris. Il aide aussi l’arbre à se protéger de la chaleur l’été. »

Ayant déjà croisé des promeneurs/euses une serpe à la main, persuadé(e)s que les gardes ne faisaient pas correctement leur travail, ces derniers ont supervisé l’installation de panneaux éducatifs à l’entrée des sentiers pour réhabiliter cette plante grimpante aux yeux du grand public. Et amener les visiteurs/euses à la regarder autrement.

Le soleil s’approche de l’horizon et la balade de sa fin. Le binôme approche du Rhin canalisé et la forêt change de visage. Hêtres et chênes cèdent la place aux peupliers, saules et bouleaux. Une forêt plus clairsemée et plus humide. Plus proche de la forêt alluviale originelle aussi.

L’artificialisation du fleuve a coupé une partie de la réserve de ses affluents, favorisant l’apparition d’essences à bois dur. Sans nouvelles irrigations, la futaie dans laquelle nous marchons à présents, ressemblera à celle que nous avons laissée derrière nous.

Réserve naturelles Robertsau La Wantzenau Nature en ville
© Adrien Labit / Pokaa

Le plus beau et le pire

Alors que la nuit tombe, le binôme prend le chemin de la digue. Et tombe sur un panneau annonçant la réserve naturelle, couché au sol. « Nous l’avions réinstallé la semaine dernière », soupire Martin Marchand en observant le lest en ciment sorti du sol. Une incivilité comme une autre. « Il y en a à qui ça ne plait pas que ce soit une réserve naturelle », explique Lucas Retz.

Quelques mètres plus loin, les gardes sortent officiellement de la réserve pour arriver dans son périmètre de protection. Une zone tampon.

Les deux hommes s’arrêtent au bord du fossé pour ramasser des détritus jetés là et découvrent une souche fraichement taillée en crayon. L’insouciance du castor fait sourire les agents. « Dans notre métier, on voit à la fois le plus beau et le pire », regrette Lucas Retz. Tout ce que la nature a à offrir et tout ce que l’humain peut lui infliger.

Mais les gardiens s’arrêtent surtout sur le meilleur. Sur le chemin du retour, dernier arrêt le long d’un bras d’eau immobile pour expliquer comment il va se combler, lentement, mais sûrement. Énième fragment de savoir naturel que ces agents ne se lassent pas de partager. Aussi veilleurs que conteurs ! 

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