À Strasbourg et en Alsace, de nombreux groupes Facebook et conversations privées permettent à des passionné(e)s de plantes d’intérieur d’échanger essences rares et conseils pour en prendre soin. Mais qui sont ces aficionados du terreau qui trouvent toujours de la place pour un nouveau « bébé » ? Latinistes émérites quand il s’agit d’énumérer tous les noms de leur collection. On est parti à leur rencontre.
Dans le salon de Joachim Angster, une belle Strelitzia Nicolaï déploie ses larges feuilles entre deux bureaux. Leur vert tendre contraste avec les motifs dorés du rideau qui sépare la pièce de la salle de bain : des feuilles de ginkgo stylisées.
Dans ce coquet appartement du quartier Contades, la végétation est partout. Dans les éléments de déco comme sur les étagères, en sève et en pot. Mais c’est derrière le canapé, dans un petit recoin aménagé exprès, que se niche la jungle privée du collectionneur.
C’est ici que le jeune homme entrepose et entretient la majeure partie de ses quelques 300 plants, représentant environ 190 espèces. « Des aracées essentiellement », détaille-t-il. Pour les non-initié(e)s, il s’agit de la famille des anthuriums, monsteras, alocasias et philodendrons. Des plantes d’origine tropicale.
« Avant, je les avais toutes mises devant les grandes fenêtres du salon, mais nous n’avions plus du tout de lumière, sourit-il. Alors, je les ai déplacées ici. » Un espace à part doté de son microclimat, sensiblement plus frais que le reste des lieux, en cette mi-août caniculaire.
« L’art de la nature »
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, le Strasbourgeois a « toujours eu des plantes ». « Ma mère avait des essences assez communes, mais elle aimait s’en occuper et me faire participer », retrace celui qui a ensuite tenu à avoir un peu de verdure dans ses intérieurs, malgré ses nombreux déménagements au cours de ses études.
C’est après le premier confinement de 2021 que ce loisir a pris de plus en plus de place. « Je suis revenu m’installer à Strasbourg où j’ai trouvé un job stable, un appartement assez grand pour en avoir et quelqu’un qui supporte ma passion », glisse-t-il dans un sourire à sa compagne Arianna.
Le déclic a eu lieu à Tchungle, boutique installée dans le centre de Strasbourg. « Quand j’ai découvert cet endroit je me suis dit : « Mais moi aussi je veux un espace comme ça ! Avec des plantes partout, qui tombent du plafond et qui grimpent sur les murs ! » Presque trois ans plus tard, le pari semble réussi lorsque l’on regarde en détail la jungle installée près du salon.
De petites étagères fermées servent de serre aux boutures réalisées par le passionné. Quelques lampes LED à spectre complet supplémentent les pousses en lumière et un appareil permet de mesurer l’humidité dans la pièce.
Joachim Angster le reconnaît volontiers : le plant addict s’est rapidement pris au jeu de la collection. Choisir une famille de plantes à laquelle se consacrer, regarder les différentes espèces et sous-espèces, acquérir essences et particularismes rares… Sans forcément casser sa tirelire.
Si le Strasbourgeois consacre environ 100 euros par mois à sa passion, c’est plus pour se réapprovisionner en terreau qu’en plants. « Je dirais qu’environ 90% de mes plantes proviennent de pousses ou de boutures échangées », estime celui qui aime particulièrement « les voir grandir ».
« J’ai un peu réfléchi à ce qui me poussait à en avoir autant, sourit le Strasbourgeois. Et je pense qu’il y a une raison philosophique. En tant que musicien professionnel, je travaille sur quelque chose d’éphémère. La musique est un art de l’instant qui disparaît dès qu’on a fini de jouer. Prendre soin d’une collection de plantes, c’est un hobby qui me permet de voir ce que je fais sur la durée. De mesurer le résultat des soins apportés, de voir les plants grandir ou s’épanouir. Je dirais que c’est de l’art aussi. L’art de la nature. On cultive une plante pour la beauté de ses feuilles, pour son esthétique », détaille celui qui ne tarit pas d’éloges sur les différents motifs et les textures variées des anthuriums.
En tout, Joachim Angster consacre entre trois et quatre heures par semaine à l’arrosage de ses plantes – organisé par groupes de plants – et une heure aux bouturages. Avec le temps, le rapport à la collection a changé.
« Il y a toujours de la place pour de nouvelles acquisitions, mais je réfléchis un peu plus avant d’investir », détaille celui qui a quitté une large partie des groupes de plant addicts pour ne pas « être poussé vers l’hyperconsommation » et les achats compulsifs. Il est en revanche membre d’une conversation privée entre quelques passionné(e)s, qui s’échangent des conseils et se gardent les plantes l’été.
« M’occuper de mes plantes, ça me fait du bien »
Autre décor, du côté de la Meinau cette fois. Dans l’appartement de Chloé Schotté, 26 ans, quelque 200 plantes d’une centaine d’espèces différentes ont trouvé leur place dans de petites serres, des bacs à boutures, ou sur les étagères du plus grand mur du salon, derrière le canapé – vert lui aussi – et près des baies vitrées.
Comme Joachim Angster, la jeune femme a elle-aussi grandi entourée de verdure. « J’ai toujours eu des cactus ou des plantes grasses dans ma chambre, d’aussi loin que je me souvienne, retrace-t-elle. Mes parents habitaient à la campagne, près de Gambsheim. Quand j’ai eu mon premier appartement, je me suis entourée de plantes parce que j’aimais cette esthétique. »
L’acquisition d’un caméléon a toutefois changé le rapport de l’Alsacienne au végétal. « J’ai commencé à m’intéresser aux besoins des plantes parce qu’il lui en fallait dans son terrarium et rapidement, j’ai voulu toutes les avoir », sourit celle qui s’est également spécialisée dans les aracées. Cela fait maintenant près de huit ans qu’elle collectionne les plants.
« Je suis tombée dedans en même temps que ma mère. Elle garde une partie de mes plantes chez elle, détaille la collectionneuse, limitée par l’espace de son appartement. Je fais aussi pas mal de boutures : ça empêche certains plants de grandir et prendre trop de place. Ça me permet également de rendre le coût de ce loisir plus acceptable. »
Chloé Schotté dépense entre 100 et 150 euros par mois pour ses plantes. Mais elle vend aussi bien des boutures de peu de valeur à des étudiant(e)s qui souhaitent faire pousser leurs plantes vertes eux-mêmes que des raretés à d’autres connaisseur(euse)s éclairé(e)s.
« Je fais pas mal d’hybridations maison », explique-t-elle. Passionnée, la plant addict s’y connaît en variégations d’aracées, ces particularités génétiques qui permettent d’obtenir des feuilles presque blanches ou vert clair en jouant avec une mutation qui équivaut à celle de l’albinisme chez l’homme.
Plus la couleur de la feuille ou son fenêtrage sont rares, plus le plant vaut cher. La jeune femme conserve des pollens dans son frigo et féconde ses fleurs au pinceau pour réaliser ses croisements. Avec plus ou moins de succès. « Ça ne marche pas toujours », reconnaît-elle. Certaines mutations étant difficiles à reproduire.
Reste l’enthousiasme. « Je trouve les plantes absolument magnifiques ! Leurs feuillages, leurs motifs, leurs textures. » Son engouement est communicatif et l’on se prend à regarder autrement monsteras et anthuriums, dont certains semblent être faits d’un velours vert émeraude. « Est-ce qu’on peut toucher ? » « Oui oui bien sûr. ».
Autre sujet de joie : les soins apportés. L’équivalent d’une journée par semaine. Mais « s’occuper de mes plantes, ça me fait du bien, poursuit la collectionneuse. C’est gratifiant de les voir pousser, passer de bébé plant à grande plante. J’ai ma petite jungle à moi et tous les matins, quand je regarde le mur de mon salon, je me dis : « quand même, c’est pas mal d’en être arrivée là. ».
Dans le gang des plant addicts depuis maintenant huit ans, l’Alsacienne juge que ce loisir s’est « énormément démocratisé ces dernières années grâce aux réseaux sociaux et aux différents groupes. Avant, quand on voulait acheter des plantes, on devait s’excentrer, sortir de la ville pour aller en pépinière. Maintenant, on trouve des boutiques dans l’hypercentre. »
Sur internet, les passionné(e)s échangent des conseils et des boutures, mais évoquent aussi leurs expériences plus ou moins réussies. S’envoient parfois du matériel difficile à trouver d’un pays à l’autre, comme certains types de terreaux. Des amitiés s’y nouent parfois. « Personnellement, ça m’a permis de rencontrer quelques personnes », reconnaît la jeune femme. Dont celui qui garde ses plantes l’été. Pas question de laisser « ses bébés » à n’importe qui.
« Il y a des gens qui ne comprennent pas qu’on puisse dépenser autant en plantes »
Situé sous les toits d’un immeuble de la Neustadt, l’appartement de Maélie Gerold est lumineux. Mais il y fait très chaud, par temps de canicule. Ce qui éprouve les êtres humains fait cependant le bonheur des plantes tropicales. Et cela tombe bien puisque des aracées, il y en a quelques unes ici. Dans la cuisine un peu. Dans le salon, beaucoup. En matière de jungle privative, la collection de la jeune femme est tout à fait impressionnante.
« Je ne sais pas si le qualificatif de plant addict est le plus adapté. Il faudrait peut-être dire plantes zinzin », plaisante cette heureuse gardienne de quelque 500 plantes représentant plus de 300 espèces. Dans les armoires, des boites renferment des plants mis sous cloche pour bénéficier d’une atmosphère saturée d’humidité. Rangées sur les étagères en fonction de leurs besoins en lumière. L’œil se perd rapidement dans la profusion de motifs et de textures.
« C’est un bégonia ça ? » « Oui ! On ne dirait pas hein ? Quand on leur donne un environnement qu’ils aiment bien, ils ne ressemblent plus du tout à cette plante de grand-mère que l’on a en tête », détaille la collectionneuse, souriant devant nos mines ébahies.
Aux origines de cette forêt vierge d’intérieur, un intérêt persistant pour les plantes et une petite collection d’orchidées. « Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser à d’autres espèces, retrace la jeune femme. Et je me suis inscrite dans divers groupes Facebook dédiés aux trocs. Cela fait six ans que j’ai des plantes, mais c’est devenu une véritable passion il y a deux ans environ“, détaille cette Strasbourgeoise âgée de 19 ans.
« Je suivais des études à domicile et j’avais besoin de m’occuper », poursuit celle qui consacre entre 10 et 35 heures à sa collection par semaine, qu’il s’agisse d’arrosage, de bouturages, de rempotages, d’échanges ou de nouvelles acquisitions.
« Il y a plusieurs choses que j’aime bien dans ce loisir : on peut partager son expérience et ses boutures avec d’autres. Et on peut s’émerveiller. J’étais très surprise lorsque j’ai découvert que certaines feuilles pouvaient avoir des reflets moirés ou des paillettes. Elle peut vraiment faire ça la nature ? »
Comme d’autres plantes addicts, Maélie Gerold se montre disserte lorsqu’il s’agit d’évoquer le plaisir que l’on a à voir pousser des plantes que l’on a plantées, entretenues, rempotées. La jeune femme reconnaît être toujours à la recherche de nouvelles espèces et particularités. Quitte à les commander à l’autre bout du monde. Ou à aller les chercher. « En mai, je suis allée en voiture jusqu’à Paris pour récupérer des plants, détaille-t-elle. Et la semaine dernière, j’ai fait un saut à Colmar. »
Arrivé à un certain niveau d’exigence en matière de collection, les nouvelles pousses se font particulièrement rares. Et chères. La jeune femme échange plants, conseils et matériel avec des collectionneur(euse)s en Belgique ou en Pologne. « J’ai mis deux ans à investir dans des plantes un peu plus couteuses, à plus de 150 euros. » Le temps d’apprendre à limiter les pertes. Et de réfléchir à la place de cette passion dans sa vie.
« Il y a plusieurs sous-catégories de plantes addicts pour moi. Des gens qui ont juste envie d’avoir quelques pots et d’en prendre soin. Et d’autres qui vont acquérir des plantes pour leurs caractéristiques ou leur rareté, détaille la collectionneuse. Certains ne comprennent pas qu’on puisse mettre ce prix dans une plante. »
Ce rapport différencié à la collection de plantes à une incidence sur les échanges. « Sur les groupes certains se vexent quand je ne veux pas échanger une bouture d’anthurium rare contre un pothos – extrêmement commun NDLR. Mais on essaie toujours d’échanger des plants contre d’autres de même valeur. Il faut bien comprendre que j’ai parfois investi une certaine somme dans le plant d’origine. Que j’en ai pris soin et utilisé du matériel spécifique. »
Mais qu’est-ce qui fait qu’une plante puisse se monnayer plusieurs centaines d’euros ? « Ce qui est rare est cher, déjà, répond Maélie. Si on ne la trouve pas en magasin, cela en augmente le prix. Si elle est difficile à reproduire aussi. » Mais la collectionneuse reconnaît qu’il existe aussi un phénomène de spéculation.
« Quand tout le monde veut la même plante en même temps, son prix augmente automatiquement, même si elle n’est pas forcément rare ou difficile à bouturer. On l’a vu avec les monsteras quand c’est devenu la mode sur les réseaux sociaux et que tout le monde en a voulu une chez soi. »
Au moment de choisir une plante pour son portrait, ce n’est pourtant pas vers les raretés que la plant addict se tourne. Mais vers le pothos golden – très commun donc – suspendu près de la fenêtre. « J’ai déjà réfléchi à quelle plante j’emmènerais s’il y avait un incendie. Ce sera celle-là car c’est la première plante dont je me suis occupée en emménageant seule et elle a une grande valeur sentimentale. »
L’arche de la jungle
Loin des groupes d’échange et des réseaux sociaux, d’autres passionnés accumulent aussi les plantes, l’air de rien. Dans leur colocation située près du boulevard de la Victoire, Louise Metayer et Laurie Squiban veillent sur 60 plants d’espèces et familles extrêmement variées. « Ce sont beaucoup d’essences assez communes, détaille la première. Des pothos, des ficus et des plantes mystères apparues d’elles-mêmes. »
À l’origine de cette collection hétéroclite : une série de déménagements. « J’ai récupéré les plantes d’anciens colocs et d’amis qui partaient, retrace Laurie. Et quand Louise est arrivée, c’est elle qui a pris le relai pour s’en occuper. » « Ça me fait suer de laisser crever des plantes, poursuit cette dernière. Je ne cherche pas à en accumuler mais elles se multiplient par la force des choses. »
Si le rapport aux plantes n’est pas tout à fait le même, les soins n’en restent pas moins attentionnés. Arrosages réguliers, recherche des meilleurs emplacements pour les voir s’épanouir – même quand les anthuriums « font leurs divas » et laissent tomber leurs feuilles parce qu’elles ont un tout petit peu moins d’eau que d’habitude.
« On essaie de les maintenir en bonne santé et qu’elles soient jolies », explique les deux amies pour qui « le mieux est l’ennemi du bien. Il faut aussi savoir les laisser tranquilles de temps en temps.”
Pas de lampes horticoles ou de serre donc. Mais le même plaisir de voir les plantes s’épanouir et grandir. Quelques boutures pour partager, de temps en temps. Et pas d’opposition stricte à de nouvelles arrivées. « On peut dire qu’on a ici une sorte de syndrome de l’arche de Noé. Mais pour les plantes. »