Ce mercredi 12 juillet, deux visions de l’environnement et de l’agriculture européenne vont s’affronter au Parlement européen, à Strasbourg. Hier, déjà, différents mouvements ont montré les dents, lors de deux manifestations opposées. L’enjeu ? L’adoption, ou non, du projet de loi de restauration de la nature, un ensemble de mesures sur la gestion des espaces naturels, qui trace une ligne politique nette entre ses défenseurs et ses opposants. On fait le point.
Un face à face total, ou presque. Hier, mardi 11 juillet, d’un côté et de l’autre du pont Joseph Beck, devant le Parlement européen, deux camps étaient séparés par des camions de police et organisaient chacun leur prise de parole, sous un soleil déjà brûlant à 8h du matin.
Côté Wacken, une bonne centaine de personnes, plutôt jeunes, répondaient à l’appel de Greta Thunberg et du mouvement Youth for climate. Ils venaient de France, d’Allemagne ou encore de République tchèque, comme cette classe d’adolescents en voyage scolaire. De l’autre, une foule un peu plus nombreuse, avec davantage aussi de cheveux gris, faisant front commun avec la COPA-COGECA. Ce lobby agricole distribuait autocollants, drapeaux et bretzels à ses troupes, et occupait le terrain grâce à une vingtaine de tracteurs bloquant la circulation.
Les premiers militent pour l’adoption d’un projet de loi décisif autour de la préservation de la planète, et les seconds pour son rejet, en reprenant parfois les mêmes arguments. Mais quel est-il de ce texte qui a déjà fait l’objet d’un premier vote très serré, et qui doit à nouveau être débattu aujourd’hui ?
Une part du Pacte vert
Lancé après l’épidémie de Covid-19, le Pacte vert pour l’Europe — en anglais, European Green Deal — vise à faire de l’Europe le premier continent au monde à être neutre pour le climat. Et cela en prenant des décisions fortes et dans un horizon proche, comme la fin des moteurs thermiques à l’horizon 2035, adoptée par les parlementaires en 2023.
Ce pacte vert, qui touche autant le transport et le bâtiment que l’industrie, constitue donc un ensemble de mesures très large, dont certaines ont déjà été adoptées, et d’autres sont encore en discussion. Mais son volet touchant à l’agriculture et à la préservation des espaces naturels a reçu une opposition formelle de l’aile droite du Parlement, qui demande son rejet pur et simple.
Ce texte, appelé projet de loi sur la restauration de la nature, vise à protéger les écosystèmes abîmés entre autres par la pollution et le changement climatique. Il s’inscrit dans l’accord sur la biodiversité de Montréal, résultat de la COP15 en décembre 2022. Il y est par exemple question des abeilles et des papillons, pollinisateurs incontournables dont 10% des espèces sont pourtant en danger d’extinction.
Le projet se penche également sur la santé des sols agricoles, dont il estime que 73% sont dégradés en Europe, ce qui a une conséquence directe sur leur biodiversité et leur capacité à produire de la nourriture. Mais il ne s’arrête pas là, et souhaite aussi renforcer les espaces verts dans les villes, ainsi qu’améliorer l’état des rivières et des forêts.
Pour ce faire, le Green Deal européen obligerait donc les États à mettre en place des mesures drastiques, telles que l’arrêt ou la réduction de l’utilisation des pesticides et engrais chimiques, la suppression des plantes non autochtones dans les prairies, les zones humides et les forêts, ou encore la remise en eau des tourbières drainées. Le tout avec des objectifs chiffrés et dans des délais très courts, puisque 20% des écosystèmes abîmés devraient être restaurés d’ici à 2030, puis 100% en 2050.
Deux salles, deux ambiances
« Un projet qui se fait sans l’avis des paysans, et contre eux », selon Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la FNSEA, le syndicat majoritaire dans l’agriculture française. Son organisation milite régulièrement pour un abaissement des normes sanitaires, afin de garder une agriculture très productive qui puisse rivaliser avec d’autres régions du monde.
Récemment, Emmanuel Macron s’est fait le porte-voix de cet argument, en demandant une « pause réglementaire européenne » en matière d’environnement. Et ce mardi, c’est perché sur une remorque devant le parlement qu’Hervé Lapie fustige « un texte qui réduirait de 10% notre production. » Au contraire selon lui, « il faut continuer à produire, il faut que ça redevienne un mot noble d’ailleurs, car on peut aussi produire de la nature. Et pour cela, les agriculteurs sont les mieux placés. »
Dans la foule, plusieurs agriculteurs ont fait le déplacement, parfois avec leur tracteur. Si certains ne souhaitent pas s’exprimer sur leur présence, d’autres sont plus loquaces, à l’exemple d’Antoine Clavel. Président des Jeunes Agricultures [syndicat très proche de la FNSEA] de Meurthe-et-Moselle, il fait de l’élevage bovin et cultive des céréales vers Nancy. Pour lui, ce texte ne s’adapte pas à la réalité particulière de chaque exploitant, ni à son rythme de travail : « Une rotation sur ma ferme c’est sept ans, et il faut entre cinq et dix ans pour en voir les résultats. Là on nous demande de tout bousculer en quelques années. »
Retour de l’autre côté du pont. De son côté, Greta Thunberg insiste sur le caractère impératif de cette loi : « Plus de 3 000 scientifiques y ont apporté leur soutien. On ne peut pas continuer à jeter de l’huile sur le feu qui brûle notre planète », martèle la militante suédoise. Elle continue : « Le fait que les grosses entreprises et les lobbyistes d’industries destructives semblent être pris plus au sérieux que les personnes touchées par ces crises nous indique clairement de quel côté se rangent les personnes au pouvoir ». Elle appelle également à un vote le plus rigide possible. L’inverse indiquerait « une trahison à la fois des personnes souffrant le plus des crises climatiques, des générations futures et de l’humanité en général ».
D’autres jeunes activistes prennent le relais, comme Matisse de Rivières, Campagn manager pour Regroop, une organisation qui se présente comme un ‘‘lobby citoyen’’ : « La science a déjà fourni tous les rapports nécessaires, on n’est plus au moment où on se demande quand ça sera trop tard. C’est déjà trop tard, pour les Bengladeshi, pour toute une partie de la population mondiale. »
Un affrontement très serré
Aujourd’hui, à l’intérieur du Parlement européen, comme à l’extérieur hier, la bataille s’annonce donc serrée. Le projet de loi est défendu par les groupes de gauche et les écologistes, mais aussi par une partie de Renew, le parti européen dans lequel est inscrit Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. C’est d’ailleurs un membre de Renew, Pascal Canfin, qui préside la commission environnement et qui porte donc ce texte. En face se trouve Manfred Weber, le président du groupe PPE (groupe de droite, majoritaire à l’assemblée), allié à l’extrême droite, qui demandent un rejet total de ce projet.
Un rejet qui a d’ailleurs bien failli avoir lieu le 27 juin dernier, où 44 membres de la commission environnement ont voté pour et 44 autres ont voté contre. Devant cette égalité, le texte doit donc être voté en séance plénière, c’est-à-dire devant tous les eurodéputés, ce mercredi. Si personne ne peut encore prédire le résultat, il semble certain que l’issue de cette bataille parlementaire jouera un grand rôle dans la santé des écosystèmes européens ces prochaines décennies.
Géraud Bouvrot