Vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a finalement validé l’essentiel de la réforme des retraites voulue par le gouvernement. Dont le report de l’âge légal de départ à 64 ans. À Strasbourg, un millier de personnes se sont rassemblées le soir même place Kléber. Beaucoup sont décidées à poursuivre la lutte. Petit point d’étape pour récapituler plusieurs semaines de mobilisations et y voir plus clair sur la suite.
“Quelqu’un a des nouvelles ?” Coincée entre les stands encore en place et la statue du général Kléber, la foule grossissait rapidement au cœur de la ville, ce vendredi soir. Il était 18h et les notifications venaient à peine de tomber sur les téléphones. Ni cri de colère, ni soupir, cette fois. Mais le silence des lectures individuelles. À peine troublé par les conversations à mi-voix des quelque 300 personnes déjà présentes.
Les neuf membres du Conseil constitutionnel ont finalement jugé que la majeure partie de la réforme des retraites était conforme à la Constitution. Ils ont validé le report de l’âge légal de départ à 64 ans et bloqué une demande de référendum d’initiative partagée (RIP) déposée par la gauche pour tenter de revenir sur la réforme. C’est la fin d’un long parcours législatif pour ce texte tant contesté. Mais pour certains(e)s, c’est aussi le début d’un autre combat à mener.
Quand l’exécutif passe en force
Pour y voir un peu plus clair sur cette réforme qui n’a pas fini de faire parler d’elle, prenons le temps de récapituler. Fin janvier, la Première ministre Élisabeth Borne présentait un projet de réforme des retraites. Il prévoit un report de l’âge légal de départ à 64 ans, un allongement plus rapide de la durée de cotisation et la fin des régimes spéciaux.
Fermement opposés au texte, les syndicats appelaient à la mobilisation. Cette dernière est l’une des plus suivies de ces cinquante dernières années, avec de 2 à 3,5 millions de personnes dans les rues à chaque manifestation intersyndicale organisée en février et en mars.
À Strasbourg, les cortèges ont passé le cap symbolique des 30 000 participants. Du jamais vu sur les bords de l’Ill ces dernières décennies. Malgré la contestation, le gouvernement a cependant fait le choix de recourir à l’article 49,3 de la Constitution pour faire adopter son texte, le jeudi 16 mars, privant ainsi l’Assemblée nationale d’un débat sur le projet.
Des manifestations spontanées ont alors éclaté un peu partout et deux motions de censures déposées à l’encontre du gouvernement Borne par le Rassemblement National et une coalition de la gauche et du centre.
Examinées le lundi 20 mars, les motions ont toutes les deux été rejetées. Et la mobilisation, elle, s’est poursuivie, plus déterminée encore. Aux grèves reconductibles se sont ajoutées des actions de blocage et des manifestations spontanées. L’intersyndicale a appelé à descendre dans la rue une semaine après l’autre.
Le Conseil constitutionnel, saisi sur la conformité du texte à la Constitution, représentait le dernier obstacle législatif avant la promulgation de la réforme. La validation partielle du texte, vendredi soir, marque donc la fin d’un parcours jonché d’obstacles pour cette réforme particulièrement impopulaire. Mais pas celle de la mobilisation, réanimée par l’utilisation du 49.3 et le rejet des motions de censure.
“Je pense que le gros combat, il commence maintenant”
À 18h15, ce vendredi, ce sont plus d’un millier de personnes qui se pressaient donc sur la place Kléber. Beaucoup affirmaient ne rien vouloir lâcher. Comme Marie-Thérèse, 65 ans. “Je m’y attendais”, reconnaît cette Gilet jaune, membre du collectif On crèvera pas au boulot.
“On savait bien que la décision du Conseil n’allait pas changer grand-chose. Le gouvernement parlait d’apaiser les tensions, mais là ils nous mettent encore plus en colère. Moi, je ne vais pas m’arrêter, poursuit la retraitée. J’ai des petits-enfants : il s’agit aussi de leur avenir à eux. Et autour de moi, je n’ai pas l’impression que les gens soient découragés, bien au contraire. Ils veulent continuer. Je pense que le gros combat, il commence maintenant.”
Colorée, la place compte un certain nombre de chasubles syndicales ce vendredi soir. Dont celle d’Arnaud, 33 ans. Membre de Force ouvrière, ce salarié de l’Enseignement supérieur et de la recherche a largement participé à la mobilisation contre la réforme. La décision du Conseil constitutionnel ? Ce n’est pas vraiment une surprise pour lui non plus.
“Quand on sait que c’est l’exécutif qui nomme les membres de cette institution, il ne fallait pas s’attendre à grand-chose.” Pour autant, le militant estime qu’il ne faut “pas baisser les bras”. “Il n’est jamais trop tard. Rappelez-vous le CPE : la loi était passée, mais elle n’avait finalement pas été appliquée” sous la pression de la rue. “La vraie légitimité, c’est nous, c’est le peuple”, conclut le trentenaire. “Toujours prêt à descendre dans la rue. Peut-être même, à d’autres actions de blocage ou sur des ronds-points.”
Un peu en marge de la foule, Léon, Suzanne et Lilou discutent entre deux prises de parole. Les trois étudiants s’attendaient à cette décision. “C’est indécent, juge Suzanne. Il n’y a pas de démocratie, on se fout des gens.”
“De toute façon, au moment du 49.3, on a bien compris que le ‘cheminement démocratique’ était cassé”, réagit Léon. “Et là, on le voit encore. Ils suppriment des pétitions, ils bloquent le recours au RIP… On voit que leur action n’a pas vocation à être démocratique”, reprend Suzanne.
“On a bien compris, aussi, que ce n’est pas le fait de voter qui changera quoi que ce soit. Mais quand la démocratie légale est en panne, il reste la démocratie sociale, juge Léon. Grève, blocage, manif sauvage, sabotage. On va continuer à se mobiliser. Notamment en cortège spontané. Puisque apparemment, il n’y a que la violence qui marche…”
“Maintenant, la parole va être à la rue”
Du côté des responsables syndicaux présents, c’est également la détermination qui domine, ce vendredi soir. “On va continuer à se mobiliser, il n’y a aucune raison de s’arrêter. Maintenant, la parole va être à la rue”, annonce Laurent Feisthauer, secrétaire général de la CGT 67. “Pas surpris”, lui non plus.
Tout comme Géraldine Delaye, co-secrétaire de la FSU 67. “C’est la décision contraire qui aurait été surprenante. C’est une des institutions de la Ve République : il n’est pas étonnant qu’elle défende les autres institutions.” Malgré tout, “le mot d’ordre de l’intersyndicale reste d’obtenir le retrait de ce texte.”
“On sait qu’ils vont tout faire pour que le texte passe, mais on ne va pas se résigner, insiste-t-elle. C’est important, on se bat pour nos droits. À titre d’exemple, nous, enseignants, on a vu notre âge de départ reculer de 9 ans depuis 1981.”
18h30. Au pied du général, les prises de parole s’enchaînent et trahissent la colère des opposants à la réforme. Celle de ne pas avoir été écoutés, notamment. “On ne veut plus du sang des manifestants dans la rue. On veut du repos. On veut le retrait de la réforme ! On attend rien de leur part, qu’ils s’attendent à tout de notre côté !” conclut Maxime Kiffer de la CGT cheminot 67 au terme d’un discours passionné. Avant d’appeler à la grève générale.
“Ce soir est un soir triste pour la démocratie”, poursuit le député Nupes de la 2e circonscription du Bas-Rhin, Emmanuel Fernandez, qui le remplace au micro et parle “d’une décision unique” du Conseil constitutionnel. “Elle acte la mort de la Ve République qui ne fonctionne plus. Il nous faut modifier nos institutions”, juge l’élu.
Avant de citer la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1793 : “Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.”
Pour la suite, une deuxième saisie de référendum d’initiative partagée a été déposée, affirmant que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans. L’espoir pour les opposant(e)s à la réforme est donc encore permis.
Ce soir, Emmanuel Macron prendra la parole lors d’une allocution télévisée prévue à 20h. De son côté, l’intersyndicale ne s’avoue pas vaincue. Elle appelle à une nouvelle journée de mobilisation le 1er mai.
Où l’on note encore le côté “révolutionnaire” de la Nupes avec des références à des textes dépourvues de toute valeur juridique. Juste la pour renverser la démocratie et soutenir les auteurs des dégradations. Quant aux autres, les profiteurs des régimes spéciaux , les éternels GJ, les syndicalistes dans leurs prés carrés, les anti-tout …quelle légitimité dans la représentation de la société ? Aucune !