Lundi 20 mars, environ 3 000 Strasbourgeois(es), selon les organisateurs, se sont rassemblé(e)s place Kléber pour une nouvelle soirée de protestation contre la réforme des retraites. Une manifestation sauvage s’est ensuite déroulée dans les rues du centre-ville pendant qu’un bâtiment de l’université était occupé, avant d’être évacué dans la soirée. Avec des tags et des départs de feu, les manifestant(e)s ont laissé(e)s des traces de leur mécontentement en ville. La police, de son côté, a fait usage de la force pour disperser le rassemblement.
Rarement un vote au parlement n’aura rassemblé autant de personnes dans le centre de Strasbourg. En fin de journée, alors que la motion de censure du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) était débattue au parlement, 3 000 personnes se sont retrouvées place Kléber. Dans la foule, des syndicalistes, des militant(e)s politiques et beaucoup de simples opposant(e)s à la réforme des retraites.
“Ils ont passé la semaine à mettre de l’huile sur le feu”
Hier soir s’est achevée une séquence commencée jeudi, par l’annonce du recours à l’article 49.3 par la première ministre Élisabeth Borne. “Le 49.3 je l’ai vu comme la violence de trop” témoigne Geoffrey, militant de La France insoumise. Loin d’éteindre la contestation, l’action gouvernementale semble, au contraire, avoir renforcé le mouvement social. “Ce matin, à l’AG, on a vu des cheminots qui ne s’étaient pas mobilisés jusque-là. Ils sont écœurés par le passage en force du gouvernement”, déclare Louise Fève, déléguée du personnel CGT à la gare de Strasbourg, en grève depuis 14 jours.
Depuis jeudi, plusieurs rassemblements spontanés se sont déroulés à Strasbourg, donnant lieux à des affrontements avec les forces de l’ordre. “On avait averti que si on ne nous écoutait pas, il y aurait des débordements”, déclare Willy Roblin, co-secrétaire de Solidaire Alsace avant de reprendre : “la responsabilité est du côté du gouvernement.” “Ils ont passé une semaine à mettre de l’huile sur le feu, jusque-là c’était calme” ajoute Geoffrey, le militant LFI. Vers 19h, l’info tombe : la motion de censure contre le gouvernement est rejetée à l’assemblée nationale. La foule réagit par des huées.
“Nous aussi, on va passer en force”
19h20. Sur la place, la foule scande des slogans, certains chantent des chansons de leur cru, des percussions résonnent dans la nuit. Soudain, la statue du général Kléber s’illumine de rouge. Feux de détresse dressés vers le ciel, un groupe de manifestant(e)s part d’un pas déterminé vers la rue des Grandes arcades, entrainant à leur suite le gros du rassemblement.
Malgré un important dispositif policier, près de 3 000 personnes viennent de commencer une manifestation sauvage au cri de “nous aussi, on va passer en force”. Sur le trajet du cortège, les commerçant(e)s rangent précipitamment leurs terrasses, les rideaux qui n’étaient pas encore tirés se baissent.
La manifestation se poursuit quai des Bateliers, où des manifestant(e)s taguent les panneaux publicitaires : “coup d’État”, “on aura ta peau”. Quelques poubelles sont incendiées et la lueur d’un incendie plus important illumine le pont du corbeau en arrière du cortège.
Débouchant de la rue de Zurich un groupe de CRS coupe le rassemblement en deux. À l’avant, environ 200 manifestant(e)s jettent de la peinture sur les forces de l’ordre qui ripostent par des tirs de grenades lacrymogènes en direction des deux morceaux de la manifestation.
Barricades improvisées et feux de poubelles
À partir de 20h30 le déroulé de la manifestation devient plus difficile à suivre. De nombreux manifestants quittent le cortège quand d’autres souhaitent continuer sans savoir quoi faire. “Ça charge sur le campus !” crie quelqu’un, entrainant avec lui une partie de ceux qui sont toujours quai des bateliers. Un bâtiment de l’université est alors occupé par des étudiant(e)s : il sera évacué plus tard dans la soirée, sans violence.
Les affrontements se poursuivent rue de Lausanne après qu’un cortège se soit reformé sur le campus central. Les manifestant(e)s dressent des barricades improvisées avec du mobilier urbain pour ralentir la progression de la police qui tire des grenades lacrymogènes et charge la foule qui recule dans les rues avoisinantes. Peu à peu, les manifestant(e)s sont repoussés vers la place d’Austerlitz et l’avenue de la première armée. La vitrine d’une banque est taguée, des feux de poubelles sont allumés, et des barricades sont dressées en divers endroits.
Des manifestant(e)s nassé(e)s dans la petite rue des dentelles
Il est 21h, l’intervention des forces de l’ordre a divisé le cortège en plusieurs petits groupes. L’un d’eux réussi à pénétrer sur l’île et remonte Grand’rue avant de se diriger vers la Petite France. Une charge des forces de l’ordre les repousse place Benjamin Zix. Des grenades lacrymogènes volent vers les manifestant(e)s regroupé(e)s au fond de la place.
Rapidement l’air est saturé de gaz, les manifestant(e)s s’enfuient dans la petite rue des dentelles sans savoir qu’à l’autre extrémité la police les attend. Place Zix, c’est la panique, une femme cherche sa fille qui s’est enfuie avec la foule dans le nuage de gaz. Des manifestant(e)s ressortent de la rue en état de choc et sont secourus par les passants encore présents sur la place.
À 21h30, la petite rue des dentelles est bloquée à ses deux extrémités, le gros des manifestant(e)s nassé dedans. Une équipe de sapeur-pompiers est sur place, trois personnes ont dû être prises en charge suite à des malaises. Les manifestants seront ensuite relâchés par petit groupe non sans subir une fouille et un contrôle d’identité.
Selon la préfecture du Bas-Rhin, six personnes ont été interpelées lors de la manifestation. De leur côté, les manifestant(e)s font état de plusieurs intoxications au gaz et de deux blessés à la tête dû aux tirs de grenades lacrymogènes. Dont un ayant nécessité une hospitalisation.
Avec le rejet de la motion de censure du gouvernement, la réforme des retraites est donc adoptée depuis hier soir. À l’assemblée, des députés ont saisi le Conseil constitutionnel pour tenter de faire censurer la loi et d’engager un référendum d’initiative partagée sur le texte. De leur côté, les syndicats espèrent que la poursuite de manifestations et des grèves poussera l’exécutif à ne pas appliquer la loi, comme lors du mouvement du Contrat première embauche en 2006. L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de mobilisation jeudi prochain.
Bravo a tous ceux qui ont le courage de manifester pour notre liberté
Pour les personnes qui ont été victimes ou témoins du gazage de la petite rue des dentelles, vous pouvez écrire votre témoignage à l’adresse violences.policieres.strasbourg(at)gmail.com Merci