Depuis le 10 janvier 2023, date à laquelle Elisabeth Borne a présenté au pays le projet gouvernemental de réforme du système de retraites, la mobilisation contre l’adoption du texte s’est organisée et a perduré. Tandis que le texte est examiné ce mercredi en commission mixte paritaire, après son adoption par le Sénat en fin de semaine dernière, des milliers de Strasbourgeois et Strasbourgeoises marcheront à nouveau pour crier leur rejet massif du projet, cet après-midi dès 14h. Dans la foule, des étudiant(e)s : aujourd’hui, pour cette nouvelle journée de mobilisation, on a décidé de s’intéresser à eux.
Qu’on le veuille ou non, la jeune génération a toujours eu une place de choix dans les mouvements importants : de la jeunesse révoltée de mai 68 à celle qui “emmerde le Front National” dans les années 80, elle a su démontrer qu’en se mobilisant efficacement, elle savait porter haut ses idées jusqu’à parfois constituer le point de bascule de certaines luttes.
À Strasbourg comme ailleurs, les étudiant(e)s n’ont pas passé leur tour lorsqu’il s’est agi de s’investir en défaveur du projet de réforme des retraites porté par le gouvernement. On est allé à la rencontre de plusieurs d’entre eux, engagé(e)s ou non, pour comprendre leur état d’esprit face à ce mouvement social historique.
Face à ces rencontres, un constat demeure : curieuse (parfois inquiète), intimement concernée, informée et engagée, la jeunesse strasbourgeoise est déterminée à faire entendre sa voix dans ce monde qui, demain, sera le sien.
"La politique est devenue théâtrale, caricaturale !"
Ces dernières semaines ont vu les revendications étudiantes se multiplier : outre le retrait de la réforme des retraites, on a pu les entendre protester contre le SNU ou la future loi immigration, défendre la gratuité des repas CROUS ou encore se mobiliser en nombre le 8 mars pour les droits des femmes.
Si une telle diversité des causes peut porter à confusion, les étudiant(e)s interrogés y voient pourtant une certaine logique.
Ninon a vingt-deux ans. Elle, qui vient de terminer sa licence de philo, y voit avant tout l’expression d’un grand ras-le-bol à l’encontre du gouvernement : “Ils se foutent de notre gueule plus ou moins ouvertement : un proche de Macron a même déclaré que s’il n’y a pas un mort en manif, la réforme passerait. Ce genre de propos n’est pas acceptable.”
Ugo a vingt-cinq ans. Cet étudiant en master à la fac d’archéologie, auparavant investi dans un syndicat, défend l’idée selon laquelle les multiples revendications relayées par ces mobilisations sont en réalité intimement liées.
Il soulève leur côté universel : “La retraite touche tout le monde, pareil pour les droits des femmes”. Mais aussi leur interdépendance : “Par exemple, l’écologie ne peut pas se faire sans lutte des classes : on ne peut pas imposer des mesures écologiques à des gens qui meurent de faim.”
Adam* voit davantage une réflexion sur le fonctionnement démocratique et la pratique de la politique. À vingt-trois ans, l’étudiant en philo dresse un sombre tableau : “la politique est devenue théâtrale, caricaturale ! Ça fout les nerfs de voir que ça s’apparente juste à un grand spectacle de cirque”.
"À part à la Pride, je n'ai jamais vu autant de monde !"
Les étudiants sont-ils pourtant à ce point habitués aux mobilisations ? Là encore, toutes et tous ont des expériences différentes. Ugo, Ninon et Adam ont marché à chaque manifestation.
Même chose pour Adèle, vingt ans, en licence Humanités. Elle nous parle de son expérience des blocages, avant les mobilisations actuelles : “Je n’ai pas participé aux blocages cette année. Je trouve ça hyper important comme action, mais je n’aime pas du tout les faire . Il y a l’animosité des gens qui ne sont pas d’accord, des défauts d’organisation, un manque de clarté.“
Élise est étudiante en licence à la faculté de droit. Elle n’a jamais participé à aucune mobilisation et pourtant, cette année, elle y a sérieusement songé : “Bien sûr que je me sens concernée : je n’ai même pas commencé à travailler et je sais pourtant que ça va aller de pire en pire.”
Pourtant, le rythme des examens de ce début d’année a eu raison de sa volonté de prendre part aux mobilisations : “Je suis focus sur les révisions, ce qui ne m’empêche pas de discuter de tout ça avec mon entourage à la fac. On débat beaucoup mais on n’a pas le temps de se mobiliser“.
Ugo, Adam, Ninon et Adèle partagent le constat d’une mobilisation plus importante que d’habitude. Ninon se réjouit : “À part à la Pride, je n’ai jamais vu autant de monde dans les rues strasbourgeoises, c’est des très grosses manifs !“.
Habituée des cortèges depuis des années, Adèle pointe aussi l’amélioration des conditions de manifestation : “C’est moins violent ! C’est vachement plus cool de se dire qu’on peut aller en manif sans rentrer éclopé. C’est plus diversifié, plus familial, on trouve toutes sortes de personnes.“
Concernant les étudiant(e)s qui n’ont pas le temps de s’engager, Ugo voit une solution : “le blocus permet de passer outre l’excuse des cours, ça permet de se mobiliser plus facilement. Les cours sont banalisés, donc qu’est-ce qui vous empêche de vous mobiliser ou au moins de vous informer ?” .
L’expérience d’Élise tempère : “Il y a eu un blocus à la fac de droit, c’était hyper compliqué : les cours n’ont pas été annulés, mais pour beaucoup passés en distanciels. Et les exams, ils ont simplement été déplacés dans des bâtiments accessibles“.
Loin de l’idée d’un blocage “bête et méchant”, Ugo défend le blocus comme une occasion de dialoguer, d’échanger et de faire preuve de pédagogie. Il voit aussi ce moyen d’action comme l’un des plus efficaces : “En tant qu’étudiants, on ne peut pas faire grève : on ne produit rien donc on n’a pas de poids. Le seul moyen reste de mobiliser beaucoup d’étudiants. Les blocus sont comme des piquets de grève.”
"Comprendre l'autre et faire du commun"
Face à une mobilisation que tous décrivent comme exceptionnelle, comment penser la suite ? Ninon a choisi de militer durablement en faveur de la cause féministe : “Avec des gens de ma licence on a monté un groupe féministe, on se voit toutes les semaines. On va sortir un zine qui portera sur les violences sexistes et sexuelles”.
Adam voit dans ces mobilisations l’occasion de se retrouver autour d’enjeux économiques qui font consensus “tandis que les enjeux moraux ne sont pas forcément un terrain d’entente“. En prenant à bras le corps ce qui nous unit, il entrevoit la possibilité de débattre sereinement de ce sur quoi nos opinions divergent.
Il rêve d’un dépassement des préjugés : “La dialectique reste ce qui marche le mieux. Il faut que chacun dépasse ses propres schémas de pensée habituels pour comprendre l’autre et faire du commun. Mais pour cela, il faut d’abord que les gens aient une stabilité économique. “
Ils sont plusieurs à pointer la convergence des mobilisations ; le dialogue qui est né, comme par exemple entre cheminots et étudiants : “On sent une forme d’inter-apprentissage qui se crée. Ça met la patate ! On a de quoi faire et on est beaucoup” se réjouit Adam.
De ces mobilisations, Adèle retient une sorte d’apaisement : “On trouve beaucoup de soutien même parmi les gens qui ne manifestent pas, alors qu’avant on pouvait se faire insulter pour avoir manifesté“.
*le prénom a été modifié