À l’été 1940, l’Allemagne Nazi annexe l’Alsace-Moselle. Le troisième Reich met alors en place un système éducatif destiné à embrigader la jeunesse des territoires nouvellement conquis. Le Mémorial Alsace-Moselle revient, au travers d’une exposition, sur l’histoire de cette jeunesse alsacienne qui s’est retrouvée prise dans la machine à broyer du nazisme.
La rentrée des classes d’octobre 1940 se fait sous le regard dur du Führer. Pendant l’été, les écoles alsaciennes se sont mises à l’heure de Berlin. Premier signe de ce changement, impossible de l’ignorer, un portrait d’Adolphe Hitler trône sur les murs des salles de classe. Les écoliers constatent également que certains professeurs ont disparu et que d’autres, parlant allemand, sont arrivés. Durant l’été, les enseignants nés de parents français ou connus pour leur sentiment anti-allemand ont été bannis des écoles. Les autres ont été rééduqués en Allemagne pour leur apprendre leur nouvelle mission : fabriquer de parfaits petits nazis.
Jusqu’au 12 novembre, l’exposition Intoxiquée ! La jeunesse sous la botte nazie revient sur cette page sombre de l’histoire de notre région. Pour le Mémorial Alsace-Moselle, il s’agit de mettre en lumière le sujet rarement abordé de l’endoctrinement de la jeunesse des territoires annexés. Au travers la présentation de nombreux documents d’époque inédits, l’équipe met à nu l’appareil totalitaire. Un enjeu de mémoire, mais aussi un avertissement pour le temps présent.
“Qui tient la jeunesse, tient l’avenir”
Le régime Hitlérien œuvre à la création d’un Homme nouveau : germanique, de “race pure” et national-socialiste. Dans ce système totalitaire où l’individu doit se soumettre ou être éliminé, les jeunes occupent une place particulière. “Qui tient la jeunesse, tient l’avenir” déclare sans détours le Führer. Ils sont l’avenir du Reich et devront être formatés pour conditionner tous leurs comportements.
En Alsace et en Moselle s’ajoute un nouvel enjeu pour les Allemands : “Il faut leur faire retrouver leurs souvenirs et leurs sentiments germaniques et ensuite les faire devenir nazis pour pouvoir les intégrer au Reich.”, déclare Mélanie Alves-Rolo chargée du centre de documentation des expositions temporaires au mémorial Alsace-Moselle.
Pour remplir cet objectif, les programmes changent. “Pour les nazis, l’Alsace-Moselle a toujours été une terre allemande. Tout l’enjeu est de faire comprendre aux habitants qu’ils ne sont pas Français.” Ainsi le programme d’histoire met l’accent sur les grandes figures allemande(s) propres à exalter le sentiment national. La discipline est également réinterprétée à l’aune du national-socialisme : de tout temps, l’Allemagne a dû se défendre d’ennemis voulant la destruction de sa “race”, la guerre est donc nécessaire à la survie du pays.
L’homme national-socialiste est un guerrier. Dès le plus jeune âge, il se prépare au combat et l’école est là pour l’y former. Les cours de physique sont centrés sur la balistique, l’aéronautique, ceux de chimie : sur les gaz et les armements. Le sport occupe également une place prépondérante dans le programme scolaire, jusqu’à cinq heures par semaine. Pour les filles, ce sont les activités domestiques et physiques qui constituent le gros de l’enseignement.
Les jeunes Alsaciens découvrent les nouveaux programmes avec probablement un peu de stupeur. L’imagerie et les concepts nazis s’insinuant jusque dans les aspects les plus anodins des livres scolaires. “H comme Heil Hitler” pour apprendre l’alphabet, des images des jeunesses hitlériennes pour illustrer les manuels des petits ou encore “comment faire plaisir au Führer” comme thème de rédaction pour les plus grands.
« Un aliéné coûte quotidiennement 4 marks, un invalide 5,5 marks, un criminel 3 marks. Dans beaucoup de cas, un fonctionnaire ne touche que 4 marks, un employé 3,65 marks, un apprenti 2 marks. Faites un graphique avec ces chiffres. D’après des estimations prudentes, il y a en Allemagne environ 300.000 aliénés et épileptiques dans les asiles. Calculez combien coûtent annuellement ces 300.000 aliénés et épileptiques. Combien de prêts aux jeunes ménages à 1000 marks pourrait-on faire si cet argent pouvait être économisé ? »
Racisme et antisémitisme sur les bancs de l’école
Au cœur de l’appareil idéologique du régime : le racisme. Les “Rassenkunden” (études raciales) sont obligatoires pour tous les niveaux. La jeunesse y apprend que la force d’une nation est conditionnée par la “pureté de son sang” et qu’il faut se préserver de tout métissage. Les stéréotypes des aryens et des juifs sont présentés côte à côte, les enfants apprennent alors à s’identifier aux premiers et à rejeter les seconds. Les enfants des “races inférieures” sont, eux, exclus des écoles.
Cette transformation du système scolaire ne s’est pas faite sans heurts, “il y a eu des actes de résistance, mais ils sont difficilement quantifiables, indique Mélanie Alves-Rolo. On sait qu’à Colmar certains lycéens refusaient de faire le salut hitlérien. On sait aussi que certains enfants continuaient à parler français ou alsacien dans les cours d’écoles alors que c’était interdit.” Reste que pour une partie de la jeunesse, il était difficile de saisir le sens de tous ces changements. “Pour les plus jeunes, c’était compliqué de se rendre compte qu’ils étaient endoctrinés”, poursuit la chargée de documentation.
"Tu n’es rien, ton peuple est tout"
L’endoctrinement se poursuit hors de l’école au travers des Jeunesses Hitlériennes (Hitler-Jungend), une organisation dont l’objectif est de préparer les jeunes Allemands “à leurs futures fonctions”. À partir de dix ans, les enfants peuvent y adhérer s’ils remplissent des critères de “pureté raciale” et d’aptitudes physiques. Ils participent à des activités sportives à la manière des scouts et reçoivent une “éducation” politique nazie. Les garçons sont préparés à la guerre au travers d’activités paramilitaires et les filles aux travaux du foyer.
Cette organisation de jeunesse développe chez ses membres la conviction d’appartenir à la “race supérieure”, le culte du corps, l’esprit de sacrifice de l’individu pour son peuple et l’obéissance totale au Führer. “Tu n’es rien, ton peuple est tout.” est un de leurs slogans.
Même en Alsace-Moselle, cette organisation pouvait avoir un certain attrait pour les jeunes de l’époque. “Ils faisaient du sport, des randonnées, ils pouvaient apprendre à piloter un planeur… Pour un gamin de dix ans, c’est attrayant”, indique Mélanie Alves-Rolo. “On les valorisait, évidemment que cela marchait”, complète sa collègue Marie Peck, guide au Mémorial Alsace-Moselle.
Que ce soit à l’école, dans la Hitlerjungend ou au travers des publications à destination de la jeunesse, le parti Nazi renforce son contrôle sur les corps et les esprits. Il s’assure le monopole de l’éducation au détriment des parents, des Églises ou de toute autre institution. “C’était vraiment un embrigadement de chaque instant. Rien n’était anodin, tout était calculé pour arriver à leurs fins.” Cinq années de ce régime furent terribles pour les jeunes Alsaciens. À la joie de la libération succèdent la honte et le sentiment d’avoir perdu une partie de leur enfance. “Cela donnera une génération qui saura mal parler le français et l’allemand et mettre du temps à dépasser cet endoctrinement”, conclut Mélanie Alves-Rolo.
L’exposition Intoxiquée, la jeunesse sous la botte nazie est à découvrir au Mémorial Alsace-Moselle à Schirmeck jusqu’au 12 novembre 2023.