Quelques hectares de verdure au milieu de la ville. Des joggeurs dans les allées. Des lecteurs sur les bancs. Et des visiteurs, venus entretenir la tombe d’un proche. À Strasbourg, les cimetières sont des parcs (presque) comme les autres. Mais derrière la tranquillité et la beauté des lieux se cachent une multitude de petites mains. Reportage entre les tombes, dans le quotidien de ceux qui prennent soin de nos défunts.
De l’autre côté de l’enceinte, la rumeur des voitures laisse la place au chant des oiseaux. Il est 7h, un mercredi matin de début octobre et le cimetière nord de Strasbourg vient tout juste d’ouvrir ses grilles, en plein cœur de la Robertsau. L’aube dore à peine la cime des ifs et des platanes le long des allées encore désertes. Près de l’entrée principale, cependant, les agents de la Ville s’activent déjà.
Dans le bâtiment d’accueil, Loïc Schneider salue ses adjoints, Frédéric Chalençon et Denis Both, et jette un œil au planning. Huit inhumations sont prévues à Strasbourg ce jour-là, dont cinq au cimetière nord. “Une journée normale”, sourit le directeur de la plus grande nécropole de la ville. Agencé en jardin à la française, ce parc de 18 hectares est la dernière demeure de plus de 60 000 défunts. Neuf agents de l’Eurométropole veillent à son entretien, au calme des lieux, mais aussi et surtout au respect des règles d’inhumation.
Un quotidien entre morts et vivants
“Tout le monde ne peut pas être enterré à Strasbourg, expose Loïc Schneider. Il faut y résider, y être décédé, ou y avoir une concession”. C’est-à-dire une place réservée. Cette dernière se transmet en cas de succession, ce qui explique que des proches de Strasbourgeois puissent reposer non loin des berges de l’Ill, sans remplir l’une des deux premières conditions. Le concessionnaire étant “le seul à pouvoir décider qui inhumer sur son emplacement.”
Ces règles, Loïc Schneider doit parfois les expliquer à des familles en deuil. “Il n’est pas rare que des personnes se présentent ou nous appellent parce qu’elles viennent de perdre quelqu’un et ne savent pas du tout comment procéder pour l’inhumation, détaille-t-il. On leur explique la marche à suivre et on leur donne ensuite plusieurs adresses de pompes funèbres auxquelles s’adresser.” Avec tact et délicatesse. “Nous sommes tous formés à l’accueil des personnes en situation de deuil”, poursuit le directeur.
L’heure a beau être matinale, le téléphone sonne déjà dans le bureau des deux adjoints. Denis Both attrape sa veste et sort à la rencontre d’une équipe de marbriers pour surveiller la pose d’une pierre tombale. Cette dernière est installée six mois environ après l’enterrement, le temps que la terre se tasse.
L’adjoint vérifie que la taille du marbre n’excède pas celle de la concession – 2m x 1m ou 2m x 0,80m – et son alignement avec les autres sépultures. “On fait un état des lieux avant et après pour vérifier l’état des tombes voisines”, détaille de son côté Loïc Schneider, attentif au parcours emprunté par la camionnette de l’entreprise entre les stèles. L’une d’entre elles vacille un peu, dessoudée par le temps, probablement. Il faudra avertir les propriétaires de la concession afin qu’ils la réparent.
"Entretenir les abords d’une tombe, c’est prendre soin de la mémoire d’une famille.”
Il est 10h et le cimetière s’anime doucement. Quelques visiteurs serpentent entre les tombes, un arrosoir ou une composition florale à la main. Un groupe d’agents taille les haies du cimetière. Ramasse les branches et les feuilles mortes. Loïc Schneider poursuit sa ronde. Passe par le jardin du souvenir, espace vert anonyme où il est possible de disperser des cendres. Remonte le parterre de rosiers funéraires.
Chaque plan s’accompagne ici d’un petit panneau indiquant le nom du défunt et marque l’emplacement d’une urne enterrée. Le directeur longe ensuite le carré israélite, puis le carré musulman, où l’alignement des tombes en direction de la Mecque tranche avec les autres sépultures.
Deux joggeurs traversent une allée secondaire tandis qu’un convoi vêtu de sombre remonte l’allée centrale en direction du centre funéraire. Pendant que la cérémonie débute, un fossoyeur prépare la tombe et la sécurise.
Frédéric Chalançon passe vérifier qu’elle a bien été creusée à la profondeur réglementaire. “On peut inhumer deux personnes au sein d’une même concession, explique Loïc Schneider. Mais si le premier défunt a été enterré en simple profondeur, il faut attendre dix ans pour une seconde inhumation, le temps que la terre s’affaisse.”
Ancien gendarme, Guillaume Burgard travaille au cimetière nord depuis cinq ans. “Nous sommes tous les jours en contact avec des personnes qui viennent rendre hommage à leurs proches. On essaie de les accompagner, explique-t-il. Nous nous inscrivons en quelque sorte dans la suite de l’enterrement : entretenir les abords d’une tombe, c’est prendre soin de la mémoire d’une famille.”
Le cimetière, un lieu de règles mais aussi de rencontres
À quelques rangées de tombes de la, Guillaume Burgard et Florian Schwoob, eux, procèdent à une exhumation administrative. “Lorsqu’une concession arrive à échéance, on attend deux ans, puis on commence des recherches pour savoir à qui elle appartenait, à qui elle aurait pu être transmise, ou si des parents voudraient la reprendre”, détaille Loïc Schneider.
Une cérémonie se termine au centre funéraire. Un employé de pompe funèbre vient vérifier que tout est en place. Les deux agents font une pause pour ne pas déranger l’inhumation sur le point de débuter.
Une affichette est installée sur le marbre pour informer d’éventuels visiteurs de la situation. Si personne ne se manifeste, les services de la Ville vide la tombe de tous les restants mortels. Ils sont ensuite incinérés puis déposés dans la vasque du souvenir. “La procédure est longue : entre la fin de la concession et l’exhumation, il s’écoule souvent 6 à 8 ans”, poursuit le directeur.
Deux cortèges se croisent dans l’allée centrale sous le regard de Nicolas Bannier. Installé dans le bâtiment d’accueil, près de l’entrée, l’homme s’occupe de la police des cimetières de Strasbourg. Pas d’uniforme, mais beaucoup de veille juridique pour gérer les litiges, et mettre en place des procédures visant à éviter toute erreur d’inhumation.
Mais “il ne s’agit pas d’appliquer un règlement pour appliquer un règlement”, détaille-t-il. “ll y a un sens derrière toutes ces règles. On essaye de proposer un lieu de recueillement qui soit le plus serein possible. C’est important pour les gens et je crois qu’on y arrive à peu près”, sourit-il.
Il n’est pas rare que des visiteurs se tournent vers les agents pour demander leur chemin, l’emplacement d’une tombe ou pour échanger un peu, tout simplement. Et même si les neufs fonctionnaires ne chôment pas pour entretenir les 18 hectares du cimetière, tous prennent le temps si nécessaire. “Beaucoup critiquent la fonction publique, mais c’est une chance de pouvoir s’arrêter cinq minutes dans son travail pour discuter avec les usagers”, juge Guillaume Burgard, pour qui cela fait partie du service public.
Le cimetière nord accueille environ 2 500 visiteurs chaque jour et un peu plus de 2000 convois chaque année. “C’est aussi un lieu de rencontres, poursuit l’agent de police. On voit des gens qui se sont isolés après un décès se resocialiser en venant au cimetière. En discutant avec des agents, avec d’autres visiteurs… En veillant à ce que ce lieu reste calme et apaisant, on participe à cela quelque part.”