Factures, fiches de paie, lettres… Que se passe-t-il lorsqu’un pli tombe dans l’une des 136 boîtes aux lettres jaunes de Strasbourg ? Pour le savoir, nous avons suivi le trajet d’une carte postale.
Le grincement du rabat métallique poussé du bout des doigts. Et le froissement de papier signalant une chute dans le ventre de la grande boite jaune. A-t-on pensé à l’adresse ? Au timbre ? Il sera toujours temps de s’en préoccuper si le courrier n’arrive pas. Mais qui ne s’est jamais demandé ce qui arrivait à une lettre, une carte postale ou même une facture après qu’elle ait été postée et relevée par le facteur aux horaires indiquées ? Faute de pouvoir entrer dans une enveloppe, nous nous sommes armés d’une carte postale pour nous glisser dans les coulisses de La Poste strasbourgeoise.
Direction Holtzheim, dans l’ouest de l’Eurométropole. Coiffé d’un bandeau jaune orné de la célèbre flèche bleue de La Poste, un entrepôt de près de 14 000 m2 s’élève au milieu d’une enceinte sécurisée. Bienvenue à la Plateforme industrielle courrier Strasbourg Europe. La pic, pour les intimes. C’est ici que transite l’intégralité du courrier en provenance et à destination du Territoire de Belfort et d’Alsace. En moyenne : 950 000 plis y sont traités chaque jour. Du dimanche, 22h, au samedi, 20h. Non-stop.
Il est 17h et les véhicules – jaunes pour la plupart – commencent à arriver aux quais de chargement. Dans leurs coffres, le courrier relevé aujourd’hui. Celui des boîtes aux lettres jaunes est récupéré dans une double sacoche qui amorce le tri. D’un côté, les plis à destination de l’Alsace et du 90 qui resteront à la Pic de Strasbourg. De l’autre, ceux qui prendront bientôt la route en direction d’autres Pics. Notre carte postale fait partie des premiers.
25 000 plis à l’heure
17h30. Les agents s’activent autour des différentes machines de la Pic, et des convois commencent à parcourir les allées de l’entrepôt. C’est le début du coup de feu pour réussir à traiter tout le courrier relevé en Alsace et sur le Territoire de Belfort avant 21h. Près de l’entrée, une équipe trie le courrier petit format contenu dans les caissettes. Tout ce qui est trop grand ou trop épais pour passer dans une machine est mis de côté. “Il est important de choisir le bon format“, rappelle Franck Fechter, responsable excellence opérationnelle à La Poste, qui ne compte plus le nombre de clés, dés, jetons ou autres petits objets ayant été retrouvé dans les machines de la Pic après avoir été glissés dans des enveloppes inadaptées, trop fragiles.
Le courrier conforme, lui, continue sa route sur le tapis roulant de la MTP, ou machine de tri préparatoire. “Elle fonctionne comme une sorte de machine à laver“, sourit Franck Fechter. Mais une à qui l’on ne permettrait pas de perdre des chaussettes. En quelques secondes, le tas de courrier empilé sur le tapis roulant est étalé et les plis redressés. La MTP flashe les timbres à une vitesse moyenne de 25 000 plis par heure et définit le degré de priorité de chaque courrier. “Elle également capable d’identifier les faux timbres“, poursuit le responsable.
À l’autre bout de l’automate, les enveloppes sont réparties dans une vingtaine de tasseurs. Oblitérées, pour la plupart. Celles que la machine a oubliées sont examinées par Patrick Kegel, et tamponnées à la main. L’œil partout, l’agent passe d’une rangée à l’autre en permanence. Et arrête parfois le tapis roulant si nécessaire. Il est aussi celui qui vide chaque tasseur lorsque s’allume la veilleuse indiquant qu’il est plein. 400 plis sont alors “décasés” : mis en caissette.
© Adrien Labit / Pokaa
À ce poste depuis un an et demi, l’agent connaît le code de chaque tasseur sur le bout des doigts. “200, ce sont les écoplis. 1 les prioritaires. 190, l’étranger. Et 400, les lettres vertes.” Plus quelques subtilités selon la provenance et la destination des courriers. L’arrivée de notre carte postale devrait se faire rangée 494 en raison de son timbre vert et de son adresse strasbourgeoise.
Le tamis des machines
Après la MTP, c’est au tour de la MTI de prendre le relai. Cette Machine de tri industrielle classe le courrier en fonction des destinations. Mais les agents qui la nourrissent ont un plan à respecter. À partir de 21h, le courrier à destination de l’Alsace et du Territoire de Belfort qui devient prioritaire. Et particulièrement les timbres rouges. La machine flashe les adresses et répartit les enveloppes dans de nouveaux casiers. À condition qu’elles soient lisibles par le logiciel. Si ce n’est pas le cas, la photo de l’enveloppe est envoyée dans un centre de vidéocodage et déchiffrée par un être humain. “Le plus souvent, c’est un problème de couleur de fond d’enveloppe“, détaille Franck Fechter. Si l’adresse n’est pas reconnue, ou que le format coince, le pli revient au début de la chaîne. Sinon, il continue sa route.
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Pour la grande majorité des plis petit format, la dernière étape se situe tout au fond de l’entrepôt. Près des autres quais de chargement. C’est là que se situe la machine de TTF, ou tri tournée facteur. En trois passages, les courriers sont rangés dans l’ordre dans lequel ils seront distribués par le postier. Ils n’auront plus qu’à être mis en caissettes, eux aussi, et transportés tels quels dans les unités de distribution d’Alsace et du Territoire de Belfort.
Des caissettes aux sacoches
8h. Dans une petite rue située près de la Place de Haguenau, un camion est arrêté devant une façade anonyme. Pas de bandeau jaune sur la vitrine. Hormis l’uniforme des agents en train de décharger, rien ne permet de deviner l’unité de distribution de La Poste située entre ces murs. Normal : contrairement à un bureau de poste, une “UD” n’est pas un établissement recevant du public, mais une plateforme purement logistique.
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Leurs caissettes rentrées, les facteurs peuvent enfin commencer à préparer leurs tournées. Malgré l’automatisation croissante du tri, il leur reste en effet des plis à ranger dans l’ordre de leur passage. Des grands formats et des revues essentiellement. Concentrés, treize agents font face à un ensemble de casiers au bas desquels sont inscrits les noms des rues de leur circuit. Parmi eux, Fanny Schlesser.
© Adrien Labit / Pokaa
À 33 ans – dont quatre à La Poste – cette “factrice service expert” possède sa tournée attitrée. “Elle est un peu plus courte que les autres pour me permettre de former les nouveaux collègues“, explique la jeune femme. C’est aussi une “tournée camembert“. “Lorsqu’il y a une absence, la tournée de Fanny est découpées en parts et distribuées à tous les facteurs pour qu’elle puisse faire le remplacement“, détaille Jean-Charles Brouard, responsable d’exploitation service client. Avec le jeu des congés d’été, cela fait maintenant plusieurs mois que la factrice n’a pas effectué son circuit. Aujourd’hui, elle est encore de remplacement dans l’hypercentre : direction la cathédrale et ses alentours.
1300 courriers par tournée
La préparation d’une tournée dure environ une heure. “Là peut-être un peu plus parce que je connais moins bien celle-ci“, explique la factrice. Le tri manuel terminé, c’est l’heure de la fusion. Fanny Schlesser déplie son sabot pour incorporer les plis triés à la main dans les rangées de ceux classés en machine. “Sans cette opération, elle devrait lever le bras pour tout mettre en casier environ 1300 fois“, précise Jean-Charles Brouard. Sur le long terme, ce geste aurait tendance à user l’articulation et provoquer des troubles musculo-squelettiques.
9h30. Le rythme s’accélère au sein de l’UD et les allers-retours se font de plus en plus nombreux du côté des vélos électriques. Les facteurs chargent le badge leur permettant d’ouvrir un certain nombre d’entrées d’immeuble. “Il possède une durée de fonctionnement limitée : si un facteur perd le sien, ou qu’on le lui vole, il n’est de toute façon plus utilisable après une certaine heure“, détaille Jean-Charles Brouard. Quelques cliquetis de trousseaux se font entendre également. Fanny Schlesser en glisse une demi-douzaine dans ses poches. Chargement des sacoches de vélo au pas de course et premiers départs. À 10h, les treize facteurs de l’UD ont pris le départ de leur tournée avec environ 45 kilos de courrier à distribuer.
“Je voulais faire un métier dans lequel je servirai à quelque chose”
10h15. À pied, à côté de son vélo, Fanny Schlesser parcourt la place de la cathédrale pour distribuer ses premiers plis. La factrice bloque les roues de son vélo, verrouille le coffre arrière dans lequel se trouve les recommandés, et slalome entre les groupes de touristes en direction d’une entrée d’immeuble ou d’un commerce lorsqu’une vacancière l’arrête pour lui demander son chemin. La factrice la renseigne en quelques mots. “Cela arrive souvent que les touristes viennent nous voir, reconnaît-elle. Ils se disent qu’on connaît bien toutes les rues, ce qui n’est pas forcément toujours le cas. Mais je ne dis rien : je fais la même chose quand je suis en vacances à l’étranger“.
La tournée se poursuit rue des juifs, majoritairement à pied, à côté du vélo chargé. “Quand on distribue de cette manière, on dit qu’on tricote une rue“, sourit la factrice. Et cela arrive fréquemment dans l’hypercentre de Strasbourg, à l’heure où les camions de Strasbourg bloquent une large part des rues de la Grande île. Fanny Schlesser s’arrête contrariée devant les boites aux lettres d’un hall d’immeuble. L’une d’elles est si remplie qu’elle parvient difficilement à y glisser une nouvelle enveloppe. “Je n’aime pas ça“, marmonne-t-elle pour elle-même. “En général, quand ça arrive, on essaie de joindre le propriétaire“, explique-t-elle. Mais il arrive que ce dernier ne réponde pas.
© Adrien Labit / Pokaa
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“Sur ma tournée, il y a un vieux monsieur que je vois quotidiennement. On se salue à chaque fois. Il y a eu un moment où je ne l’ai pas vu pendant plusieurs jours. J’ai regardé et vu qu’il n’y avait pas de contrat de réexpédition à son adresse. J’ai fini par poser la question à la commerçante d’à côté qui n’en savait pas plus. On a averti les pompiers qui ont forcé la porte. Et au final… il était simplement parti en vacances…” Mais parfois, l’absence de relevée de la boîte aux lettres à des causes plus tragiques.
Ce lien social fait partie des choses que Fanny Schlessel apprécie dans son métier. Après avoir travaillé plusieurs années comme vendeuse et tentée de passer le concours de la police, la jeune femme cherchait un métier “dans lequel [elle] servirait à quelque chose“. C’est au détour d’une mission d’intérim qu’elle a commencé comme facteur, pour ne plus avoir envie de faire autre chose. “Il y a une dimension sociale que j’apprécie. On nous demande également de plus en plus de faire de la vente, mais je suis tout à fait à l’aise avec ça.“
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Quelques adresses plus loin, d’ailleurs, la factrice précise à l’habitant d’un immeuble qu’il peut tout à fait lui acheter un carnet de timbres s’il le souhaite. “Vous laissez un post it sur votre boite aux lettres et me disant de monter et je vous en ramène.” Une autre personne qui lui demande pourquoi elle reçoit des avis de passage pour des recommandés alors qu’elle était chez elle toute la journée, Fanny Schlesser rappelle que “vous avez le droit de faire une réclamation au 36 55”. Mais ce ne sont pas les seuls échanges qui émaillent sa tournée ce matin-là. “On ne peut pas prendre 20 minutes pour s’installer et discuter avec les gens, comme c’était peut-être le cas avant, Mais on a toujours une minute ou deux pour quelques mots.“
Quelques rues plus loin, notre carte postale trouve enfin sa boite aux lettres de destination. Si les facteurs sont tenus au secret de la correspondance et ont interdiction formelle d’ouvrir les enveloppes, cela ne les empêche pas de jeter un œil au verso coloré des cartes postales. “Ça fait un peu rêver des fois”, sourit Fanny Schlesser. Dans sa main, une enveloppe décorée de nounours. “Les lettres manuscrites, c’est ce que je préfère distribuer.” Il en reste encore quelques-unes à glisser dans les boîtes aux lettres avant 15h, fin de sa journée.
Cours facteur cours, l’amour n’attend pas ! Bravo pour ce petit reportage hyperactif et c’est vrai que parfois les facteurs acceptent de perdre quelques minutes pour prendre un café ! C’est un beau récit l’histoire de la carte postale à la cigogne, merci… Ambroise Perrin