Alors que tous les regards sont tournés vers l’Ukraine et les avancées de l’armée russe dans le pays, à Strasbourg comme ailleurs, l’émotion est vive. On est allé à la rencontre de Maria, une Russe qui vit à Strasbourg depuis maintenant cinq ans et qui suit la guerre déclenchée par le gouvernement de son pays, à plus de 2 000km de distance.
Les yeux humides et un bretzel à la main, Maria s’installe en terrasse ce lundi soir pour me retrouver. Elle est particulièrement touchée par les événements tragiques qui se produisent en ce moment en Ukraine. Installée à Strasbourg depuis cinq ans, elle est originaire d’une petite ville de Russie et travaille dans le domaine de l’agriculture.
La guerre en Ukraine, Maria ne s’y attendait pas. Avant que l’invasion ne débute, la jeune femme passait d’ailleurs sont temps à rassurer tout le monde autour d’elle sur le sujet. Mais lundi dernier, tout a changé. Au cours d’une allocution diffusée à la télévision, Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance des régions séparatistes pro-russes situées à l’est de l’Ukraine et ordonne à son armée d’y “maintenir la paix”.
“Jeudi, vendredi et samedi, j’ai passé la journée à pleurer et maintenant je suis complètement perdue.“
C’est dans le train direction son lieu de travail qu’elle visionne pour la première fois ces images. Elle finit par s’endormir et c’est en se réveillant qu’elle réalise ce qu’il est en train de se passer. “Je n’avais pas encore compris. À mon réveil, j’ai regardé à nouveau les infos et j’ai fondu en larmes. Je me suis dit qu’il [Vladimir Poutine] était complètement malade et qu’il racontait n’importe quoi. Ça m’a fait peur parce qu’on ne sait plus ce qu’il fait et dans quel sens il va.” raconte Maria.
Depuis, la jeune femme dit être passée par tous les états : “Jeudi, vendredi et samedi, j’ai passé la journée à pleurer et maintenant je suis complètement perdue. C’est un mélange de sentiments entre la colère, la honte, le fait d’être perdu et ils passent l’un après l’autre. Je me suis réveillée en me disant que j’avais perdu mon pays. Et comme en Russie, on est assez patriotes, c’est comme perdre une partie de soi-même.”
À tout cela s’ajoute maintenant la peur. Après avoir vu le consulat de Russie tagué vendredi dernier avec des croix gammées, la Strasbourgeoise d’origine russe craint aujourd’hui pour sa sécurité : “J’ai peur d’être visée, j’ai peur de parler russe quand je suis au téléphone dans la rue.” Pourtant, Maria est en profond désaccord avec les décisions prises par le Kremlin : “C’est important de dire que le peuple russe n’a rien à voir avec ce que fait notre président. On ne l’a pas choisi.”
“Pour nous, ce sont nos frères et nos sœurs là-bas.”
Pour Maria, la situation est d’autant plus difficile que le pays attaqué par la Russie est un pays cher à son cœur. Selon elle, beaucoup de Russes sont, comme elle, très attachés à l’Ukraine : “On est tous Slaves. Pour nous, ce sont nos frères et nos sœurs là-bas. Avant, on était même un seul pays. On ne peut pas justifier ce qui est en train de se passer, c’est injustifiable.” Les arguments utilisés par Vladimir Poutine ne passent pas auprès de la jeune femme : “Quand ils disent qu’ils vont sauver les nôtres là-bas, je ne comprends pas, ils sont tous les nôtres là-bas. Je n’arrive pas à concevoir comment on peut aller se battre avec ces gens-là. On peut être frères dans deux pays différents.”
Elle précise aussi que beaucoup de Russes ont d’ailleurs de la famille en Ukraine ou bien s’y sont déjà rendus : “ Ma mamie par exemple, elle a passé ses vacances à Odessa dans sa jeunesse.”
Quant à Volodymyr Zelensky, s’il s’est d’abord fait connaître par la population ukrainienne en tant que comédien à travers des séries télé, les Russes aussi ont suivi ses aventures et ri à ses sketchs. “C’est une personnalité qui est connue des deux côtés et que les Russes aiment aussi bien.” ajoute-t-elle.
En Russie, la propagande plonge les habitants dans le brouillard
Sur place d’après Maria, les Russes ne savent que partiellement ce qu’il se passe. “Il y a une campagne de propagande terrible. Soit ils ne regardent pas beaucoup les infos, soit ce sont les infos des chaînes contrôlées par l’État.” Pour elle, une partie de la population ne se rend pas compte de l’ampleur de ce qui est en train de se passer et notamment les personnes plus âgées.
Lorsqu’elle relaie des informations via ses réseaux sociaux, certaines de ses connaissances sur place réagissent : “Certains disent que c’est de la provocation. Pour eux, l’armée n’est pas entrée pour faire la guerre, mais parce que les dirigeants des républiques autoproclamées ont demandé de l’aide. Poutine joue le rôle de libérateur en leur disant qu’on serait venu pour aider et sauver alors qu’on n’a personne à sauver en Ukraine !”
Si sa sœur de 23 ans qui habite toujours en Russie a une vision relativement proche de la sienne sur les événements, les parents de Maria sont quant à eux, plus hésitants : “Ils sont un peu plus neutres, ils ne croient pas à 100% à ce que dit Poutine, mais c’est beaucoup moins important pour eux. Ils ne voient pas l’ampleur du problème. Ce qui m’a choqué la dernière fois, c’est que quand j’ai demandé comment on justifie ce qu’il se passe à Kiev, ma mère m’a répondu que c’était un missile ukrainien qui était mal tombé. Parce que si c’était le russe, il aurait tout détruit. Je ne sais pas si elle y croit, mais elle répète ce qu’elle a entendu.”
Pour le moment, la Strasbourgeoise a du mal à envisager une issue favorable : “J’espère que la guerre va finir, mais je crains qu’on ne soit détestés par le monde entier et qu’on n’arrive jamais à retrouver la relation qu’on avait avec les Ukrainiens. À cause d’un seul homme, ça fait une grosse tâche noire sur l’histoire du pays.” Hier encore elle expliquait s’être endormie en espérant se réveiller et s’apercevoir que tout ceci n’était qu’un cauchemar.
Maria devait rendre visite à sa famille le 4 mars prochain en Russie. Son vol a été annulé et elle ne sait pas quand elle pourra les retrouver.