À l’occasion du 3e anniversaire de la mort de Tomi Ungerer, Robert Walter, l’un de ses plus proches amis, a accepté de nous recevoir dans son appartement pour nous partager ses souvenirs les plus tendres de l’illustre dessinateur alsacien.
Quand on entre chez Robert Walter, impossible de poser son regard. Il s’égare irrémédiablement le long des murs, sur le sol et jusqu’au plafond, attiré par la multitude d’œuvres à disposition. Un élégant capharnaüm, dans lequel on trouve les productions d’artistes du monde entier, mais surtout d’Alsaciens, comme Tomi Ungerer. Un peu comme si le septuagénaire avait voulu monter une grande coloc, entouré des artistes qu’il admire le plus.
Ancien conseiller de Tomi Ungerer et président de l’association des amis de Tomi Ungerer, Robert Walter détient aujourd’hui pas moins de 500 sérigraphies de l’artiste et quelques originaux. Un précieux butin acquis tout au long de sa vie, au fil des marchés aux puces, des ventes aux enchères, des expositions et grâce à des amis artistes ou galeristes.
Robert rencontre Tomi en 1981. À l’époque, il travaille à l’ambassade de France à Hambourg sur les échanges franco-allemands. Le dessinateur alsacien travaille quant à lui pour les grands journaux allemands et explore la rue “hard” de la ville qui lui inspirera d’ailleurs son livre “S.M. – Les anges gardiens de l’enfer”. Les deux hommes se rencontrent dans une assemblée d’Alsaciens. “Il y avait des associations d’Alsaciens. On se retrouvait dans les bistrots, on faisait la fête.” se souvient Robert Walter.
Un bras droit, un collaborateur et un cher ami
Quelques années plus tard, en 1987, les deux amis se lancent un défi exceptionnel : organiser une semaine alsacienne à Hambourg. “On a organisé la plus grande semaine culturelle alsacienne et on a fait venir tout ce que l’Alsace comptait d’écrivains, d’artistes et d’économistes, de politiques, etc.” raconte l’ancien conseiller de Tomi Ungerer. Le fameux Germain Muller fait notamment partie des invités, ainsi que les membres de la Chambre de commerce, le patron des Arts Décoratifs de Strasbourg et d’autres noms célèbres. En tout, ce sont pas moins de 350 Alsaciens que les deux amis parviennent à faire venir.
Mais encore faut-il trouver les fonds pour organiser un tel événement. “Au mois de janvier, on n’avait pas un Deutsche Mark ! L’ambassade nous avait donné l’autorisation, mais on n’avait pas un rond.” se rappelle Robert Walter. Mais c’était sans compter l’audace de Tomi Ungerer, qui entraîne son acolyte à la recherche de mécènes : “Avec Tomi, en deux semaines, on a trouvé 1 million de Deutsche Mark. On est allé voir des milliardaires. Un jour, on a rencontré un homme dans le château qu’il possédait. Il envisageait de nous donner 5 000 Mark. Tomi l’a engueulé comme du poisson pourri ! (rires). Le lendemain, cette fois-ci devant les médias, l’homme a annoncé qu’il donnerait 200 000 Mark.” D’autres suivent et le budget finira par largement s’étoffer.
“À partir d’une telle aventure, on ne s’est plus jamais quittés. J’ai vu qu’en tandem, on fonctionnait à merveille.” sourit Robert Walter. Après avoir enchaîné les postes à hautes responsabilités, ce dernier abandonnera finalement sa carrière diplomatique pour être au côté de Tomi Ungerer : “Je gagnais peut-être le tiers de ce que je gagnais avant, mais je ne l’ai jamais regretté. Il a vu que j’abandonnais tout pour lui. J’ai pu l’accompagner dans ses voyages à New York, à Washington, à Madrid et à Karlsruhe, où il a réalisé son rêve de créer une école en forme de chat. J’étais son collaborateur, son bras droit, j’ai fait un travail pour lequel je n’ai jamais été rétribué, alors de temps en temps, il m’offrait une œuvre en cadeau.”
Ungerer selon Walter
Quand on demande au collectionneur strasbourgeois de décrire Tomi Ungerer, la tâche ne semble pas facile : “Sa grande force, c’est qu’un peu comme tous les grands génies, il était fort dans beaucoup de domaines.” Mais c’est finalement sa fidélité qu’il lui reconnaît en premier : “Il prenait toujours des nouvelles de ses amis d’enfance. Même des années après.” Le dessinateur était aussi un acharné du travail : “Il était debout à 5 heures du matin et couché à 20h. Il travaillait tous les jours. C’était un homme très direct et populaire, qui aimait les gens. Il exigeait l’honnêteté, toujours. Il n’a jamais appartenu à un parti ou à un autre. D’ailleurs, sa chanson préférée était “Die Gedanken sind frei”, en français “Elles sont libres, les pensées””
Tomi Ungerer était également un grand lecteur, avec une vraie passion pour les mots-croisés. “Pendant 35 ans, je lui ai faxé les mots-croisés de Laclos du Figaro tous les samedis matins !” assure Robert Walter. L’ami fidèle reconnaît toutefois : “Vivre à l’ombre d’un génie, c’est quelque chose de merveilleux. Mais ce n’est pas toujours facile. Tomi avait des colères homériques, mais j’ai tenu le coup pendant 37 ans, (rires).”
Tomi et l’Alsace : un amour d’abord à sens unique
Tout au long de sa vie, Tomi a montré un attachement profond à l’Alsace. Il dira lui-même : “Mes racines sont en Alsace, mais mon feuillage en Irlande.” Nombre de ses œuvres sont d’ailleurs sur la région et le dessinateur revenait souvent sur les terres qui l’ont vu grandir. En 1981, on lui décerne le Bretzel d’or et il prononce un discours de remerciement duquel on retiendra ces quelques mots : “L’absence et les distances sont amplificatrices. Ainsi, une cathédrale comme celle de Strasbourg mirageusement réverbérée dans un ciel de désert semblerait cent fois plus majestueuse que dans sa réalité. Il en est ainsi de mes sentiments pour mon pays natal, qui gagnent par la distance.”
Pour Robert Walter aucun doute, après une guerre qui a placé les habitants du côté de l’ennemi jusqu’à leur faire parler sa propre langue, l’artiste a réussi à redonner aux Alsaciens l’honneur d’être Alsaciens : “Il a donné ce côté un peu mondial à l’Alsace. Cette audace, qui manque beaucoup aux Alsaciens.”
Malgré son indubitable amour pour sa région natale, Tomi Ungerer a mis du temps à rentrer dans l’esprit des Strasbourgeois. D’abord célèbre aux États-Unis et en Allemagne, selon son ex-conseiller, c’est grâce à certaines personnalités comme l’artiste Claude Rossignol, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang ou encore le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, que l’artiste a aujourd’hui cette renommée en France. Le collectionneur regrette toutefois : “En France, Tomi n’est toujours pas assez reconnu.”
À destination de celles et ceux qui voudraient découvrir Tomi
Bien que les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois passent quotidiennement devant l’Aqueduc Janus, une sculpture de l’artiste datant de 1988 et située juste à côté de l’opéra, ou croisent régulièrement sur leur chemin le musée Tomi Ungerer dédié à son œuvre, beaucoup n’ont peut-être pas eu l’occasion de découvrir ses productions.
Pour initier un enfant à son œuvre, Robert Walter recommande ce qui est sans conteste le plus gros succès de l’auteur à savoir “Les trois brigands” : “Il a été traduit dans toutes les langues. Il date de 1961 et pourtant c’est encore l’un des livres préférés des enfants.” Mais pour le collectionneur strasbourgeois, le plus marquant reste “Otto”, publié en 1999 : “Il l’a fait sur plusieurs années. C’est la première fois qu’on parle de la guerre dans un livre pour enfants.” Et s’il fallait en conseiller un dernier, ce serait “À la guerre comme à la guerre”, publié en 1991 et au cours duquel l’auteur raconte son enfance à Colmar.
Quant aux adultes, ils peuvent découvrir ses livres sur l’Alsace, ou bien s’aventurer sur la facette plus osée et libertine de son œuvre. “L’érotisme est déterminant dans la carrière de Tomi. Il y a Erotoscope, la bible érotique de Tomi, mais on ne le trouve plus, il est épuisé. Ou sinon S.M. – Les anges gardiens de l’enfer.” Et pour ceux qui voudraient en découvrir davantage, des centaines d’œuvres attendent d’être découvertes, lues et partagées.
Merci pour l’article 🙂