Son visage est loin d’être inconnu pour de nombreuses Strasbourgeoises et Strasbourgeois, tantôt photographe tantôt promeneur de la place de la République ou bien des Halles, Karim Tatai est aujourd’hui à l’affiche d’un documentaire qui lui est consacré. L’occasion de le découvrir lui et sa mère Rita, à travers le regard de la réalisatrice Françoise Schöller.
C’est une connaissance en commun qui propose à Françoise Schöller de rencontrer Karim et sa maman Rita Tatai fin 2019. À l’époque, Rita vient tout juste de sortir un livre sur Karim et sa passion pour la photographie. “J’ai lu le livre et j’ai été très touchée par le combat que Rita menait depuis pas mal d’années toute seule.” se souvient la réalisatrice. Ce combat, c’est pour son fils que Rita le mène. Diagnostiqué autiste à 23 ans, les professionnels conseillent de le placer en centre, mais Rita s’y refuse et décide d’offrir à Karim une vie pleine de rencontres et d’expériences : “Je me suis dit : je vais lui créer un monde où il aura sa place”. Un saut dans le vide sans retour possible, que la mère de famille ne regrettera pas.
Suite à leur rencontre, Françoise propose au duo de partager leur histoire, en réalisant un documentaire. “Le projet a mûri doucement, je ne savais pas où cette expérience allait nous mener.” reconnaît-elle. La réalisatrice s’impose une limite à ne pas franchir : ne pas créer des situations, mais filmer ce qui arrive naturellement. Un pari plutôt risqué, qui demande du temps pour ne pas forcer les choses. Françoise prévoit donc de filmer en 2021, soit plus d’un an après avoir fait la connaissance de Karim et Rita.
“Quand elle est venue me proposer ça, je n’ai pas réfléchi longtemps” se souvient Rita. “Elle m’a dit que c’était une expérience, alors évidemment, j’ai dit oui ! C’était presque dans mes rêves les plus fous. Quand vous avez un enfant autiste, vous rêvez qu’il ait une vraie place dans la société. On avait déjà commencé avec la photographie dans le quartier, ça avait déjà changé le regard des habitants, mais là, c’était une nouvelle occasion.”
Un lieu, deux tournages
Puis Françoise suggère un jour à son fils de présenter Karim à sa bande de copains qui se retrouvent souvent pour des sessions bricolage. “Je leur ai présenté Karim et ils ont commencé à se fréquenter. Le copain d’enfance de mon fils, Arnaud, a vraiment mordu à l’hameçon si on peut dire.” sourit l’autrice. Des liens se créent et Karim passe alors du temps avec des personnes de son âge, qui ont la trentaine. En retrait, Françoise observe la situation évoluer et garde en tête son projet de documentaire.
Mais tout se bouscule à la fin du confinement lorsque le fameux Arnaud et ses amis anciens comédiens de l’école du TNS prévoient de se rendre en Normandie pour tourner un long-métrage pendant six semaines. Une période durant laquelle Karim ne pourra donc pas les côtoyer. Mais c’était sans compter la détermination d’Arnaud, qui convainc le réalisateur du film d’embarquer Karim dans l’aventure et lui décroche même un rôle. Pour la réalisatrice, l’occasion est immanquable. Pas de doute, il faut partir avec : “Les choses se sont précipitées dans ma tête. J’ai dit à Arnaud : tu fais comme tu veux, mais je viens avec Karim.”
Une fois sur place, Karim joue le rôle d’un inspecteur de police et Françoise se montre discrète pour ne pas déranger l’équipe, mais en profite pour filmer des scènes de vie quotidienne. “Ça a été une aventure formidable. La bande est géniale et d’une générosité incroyable. Tous les autres l’ont traité d’égal à égal. Il se faisait engueuler comme les autres (rires). Ils ont compris comment il fonctionne donc on voit que quand il y a la volonté, ce n’est pas si compliqué.” raconte la réalisatrice. Quant à Rita, si elle avoue ne pas avoir l’habitude d’être séparée de son fils aussi longtemps, elle explique avoir été soulagée que Karim soit bien entouré : “J’étais assez sereine sur le fait qu’il soit avec les autres. C’est un peu eux qui ont pris mon rôle là-bas. Et on le sait, quand ce sont les amis qui demandent quelque chose, ça marche toujours mieux que quand c’est maman !”
Changer le regard sur le handicap
Après avoir filmé les coulisses du tout premier rôle de Karim, Françoise clôture son tournage avec la projection du long-métrage en juillet 2021. Et aujourd’hui, c’est enfin à son tour de dévoiler son projet. “Je suis contente du résultat et de toute l’aventure. Je ne voulais pas faire un film militant ou démonstratif, mais juste filmer ce qui se présenterait à moi. J’ai l’impression de faire quelque chose qui a du sens. Il faut absolument normaliser et changer le regard.” explique-t-elle.
Changer le regard sur le handicap et sur son fils, c’est aussi ce qu’espère Rita. À Strasbourg, nombreux sont ceux et celles qui ont déjà croisé Karim avec son appareil photo dans les mains. Ce documentaire est donc aussi l’occasion pour certains de mieux le connaître en le voyant sous un autre jour et puis qui sait, peut-être donner la possibilité à certains de le saluer la prochaine fois qu’ils le verront.
Même si Rita précise toutefois qu’ils sont déjà quelques-uns à le reconnaître dans la rue : “J’aimerais d’ailleurs dire merci à tous les inconnus qui ont déjà dit bonjour à Karim et passé une minute à lui parler, parce qu’ils sont tous importants. Tous ces bonjours, ça donne un sens à sa journée. L’important, c’est qu’il y ait juste un échange, un lien qui se crée. L’inclusion, c’est ça, ça commence d’abord au sein de la famille, dans son quartier, etc. Karim a envie d’être avec les gens et ça fait douze ans que j’essaie de lui créer des souvenirs avec eux.”
Et des souvenirs, Karim devrait continuer d’en créer puisque le Strasbourgeois est toujours en contact avec toute l’équipe du tournage, qu’il considère aujourd’hui comme sa famille. Dernier en date ? Le mariage d’Arnaud en août dernier au cours duquel Karim était invité en qualité de témoin. Une belle histoire qui ne semble donc pas prête de s’arrêter.
Karim, à notre insu
Avant première le 31 janvier
à l’Odyssée, 3 Rue des Francs-Bourgeois
à 18h30
Diffusion sur France 3 Grand Est
le 17 février