Ces dernières semaines, les témoignages de Strasbourgeoises qui pensent avoir été droguées en boîte de nuit se multiplient sur les réseaux sociaux. Une libération de la parole qui interrogent sur un regain de ce type de délits. Des associations réagissent et certains patrons d’établissements prennent des dispositions.
“J’étais à la Salamandre avec un groupe d’amis. On avait réservé une table et on était une dizaine. J’ai bu un premier verre et un deuxième que j’ai posé sur la table vraiment pas longtemps. D’un coup énormément de monde est arrivé et les gens ont commencé à circuler autour de la table, je suppose que c’est à ce moment-là qu’on m’a mis quelque chose dedans.” Après ça, Floriane* n’a plus aucun souvenir. Selon son amie, elle aurait énormément vomi aux toilettes pendant près d’une demi-heure. “Je n’arrivais pas à marcher toute seule et j’étais vraiment pas bien. Ils m’ont tous dit que je faisais vraiment peur à voir. À des moments je perdais connaissance, j’avais les yeux blancs qui partaient en arrière, etc.”
Quant à Clara, c’est lors d’une soirée au Mille Club avec son copain et des amis qu’elle pense avoir été droguée : “Quand j’ai bu mon deuxième verre, tout a dégringolé. À partir de là, je ne me souviens plus de rien. Mon copain a vu que ça n’allait pas du tout, il m’a sortie de la boîte, je me suis écroulée et j’ai vomi plusieurs fois.” Le lendemain, la Strasbourgeoise ne sait pas à qui s’adresser pour faire une prise de sang, puis hésite à porter plainte, mais se résigne finalement : “Je me suis dit que ça n’allait mener à rien.”
Pour Gabrielle, c’est seulement après un seul verre d’alcool au R club que les effets se sont manifestés : “J’ai pris un cosmo et il a mis bien trente minutes à venir et il avait un goût horrible.” Assez rapidement, Gabrielle sent que ça ne va pas et convainc alors son amie de quitter la boîte. Une fois arrivée chez elle, la jeune femme finira par appeler son copain pour qu’il l’aide à se coucher. Après avoir laissé son verre sans surveillance pendant quelques minutes à l’espace VIP de la Salamandre lors d’une soirée fin septembre, Marianne commence à avoir des fourmillements et de ne plus sentir ses mains et une partie de son visage : “J’ai commencé à respirer très vite. J’étais dans un état où je me disais ok, là ça ne va pas c’est le seul moment de conscience que j’ai et je me rends compte que je suis droguée. Et c’est ça qui m’a sauvée en fait.”
“On est restés une quarantaine de minutes.” raconte Amy, qui était au Fat avec des amis. “On sort et je commençais à tanguer, je ne tenais plus debout sur mes jambes. Je suis rentrée chez moi, j’ai partiellement des souvenirs. J’avais faim, j’ai voulu me faire à manger et je me suis écroulée au sol, je commençais un peu à ne plus pouvoir bouger mes bras.” La Strasbourgeoise a donc le réflexe de prendre une douche froide. “Du coup, j’ai tout vomi et ça allait mieux.” Si Amy est persuadée d’avoir ingéré du GHB, c’est parce que ce n’est pas la première fois qu’elle ressent ces symptômes. La jeune femme a déjà été droguée il y a des années. À l’époque, sa mère l’emmène faire des analyses et la prise de sang se révèle positive à la substance.
18 septembre, 25 septembre, 2 octobre, 14 octobre, la plupart des témoignages recueillis sont très récents. Toutes les victimes estiment ne pas avoir consommé une grande quantité d’alcool. Parfois seulement un ou deux verres. Et que les symptômes sont arrivés d’un coup. Si les contextes diffèrent évidemment, plusieurs témoignages mentionnent des espaces VIP, où les verres seraient peut-être plus faciles d’accès. Certains profiteraient donc de l’agitation autour de la table. La grande majorité des victimes expliquent également ne pas avoir fait de test, persuadée qu’il était trop tard pour que le GHB soit détecté et estiment également que porter plainte ne mènera à rien.
Un appel à témoignages et un dossier de signalement en préparation
Face aux publications sur le sujet qui s’accumulent sur les réseaux sociaux et notamment sur le groupe Facebook Etudiants de Strasbourg, l’association locale Ru’elles a lancé début de semaine un appel à témoignages. En seulement quelques jours, la structure a déjà recueilli les propos d’une vingtaine de victimes. En se rapprochant d’autres structures ou d’autres personnes qui ont, elles aussi, lancé leur propre appel comme l’association Mad’EMoiselle, ses membres comptent bien compiler un maximum de témoignages. Sur la teneur des récits, la présidente de l’association Tiphany Hue confirme qu’il s’agit en majorité de faits récents. Quant aux établissements concernés, certaines boîtes de nuit du centre-ville et de la Krutenau reviennent plus régulièrement que d’autres. Même si elle précise toutefois, que de manière générale, l’ensemble du monde de la nuit est concerné par ce types de faits.
Quel intérêt de s’adresser à Ru’elles pour les victimes ? Et bien déjà pour être entendues et conseillées. Grâce à la permanence dédiée aux victimes gérée par une psy bénévole, mais aussi pour un accompagnement juridique, car la structure dispose de juristes en interne et est conseillée par une avocate. Une réelle différence par rapport à d’autres personnalités qui se saisissent du sujet, mais ne sont pas forcément formées à ces situations. Pour celles et ceux qui souhaitent porter plainte, un accompagnement est aussi proposé. L’objectif à travers cet appel à témoignages, c’est donc d’en réunir un maximum, qu’ils soient anonymes ou non, afin de constituer un dossier de signalement auprès du Procureur de la République : “Plus on aura de témoignages, plus on aura de poids pour alerter sur la situation et sur le fait qu’il y ait une recrudescence de ce types d’actes.”
Comment agir lorsqu’on pense avoir été drogué ?
Juriste bénévole au sein de l’association Ru’elles, Mathilde Kuss, conseille aux victimes de se rendre à l’hôpital le plus rapidement possible afin de bénéficier d’une analyse toxicologique, d’une éventuelle prise de traitement si besoin ou d’un suivi psy. “Pour l’hôpital, il y a deux options à Strasbourg : soit la consultation de médecine légale et d’urgence médico-judiciaire au Nouvel Hôpital Civil ou bien le service d’urgence de gynécologie à Hautepierre dans le cas d’une potentielle agression sexuelle.” Chacune et chacun peut s’y rendre spontanément, sans avoir porté plainte au préalable.
Pour porter plainte justement, la juriste indique qu’il est possible de se tourner vers l’association dès le début du processus pour un accompagnement : “On accompagne la victime directement au poste de police pour porter plainte, ou alors ça peut se faire par écrit directement au Procureur de la République si on n’a pas envie de se déplacer ou si on a peur de voir sa plainte refusée, ce qui est illégal.” rappelle Mathilde Kuss.
Si elle reconnaît que le fait d’être passé par l’hôpital d’abord permet d’avoir des éléments de preuve qui donneront du poids à la plainte, elle précise qu’il est tout à fait possible de déposer plainte sans avoir fait de test : “En soit, il n’y a pas d’obligation d’apporter quoi que ce soit au dépôt de plainte. Donc même si le test est négatif, la parole suffit, la police et la gendarmerie n’ont pas le droit de refuser la plainte. Mais moins il y a de preuves, moins il sera facile qu’une action soit engagée évidemment.” Par ailleurs, elle déconseille fortement aux victimes de privilégier le dépôt d’une main courante, qui n’engage aucune poursuite : “La main courante, c’est juste un bilan de ce qu’il s’est passé. Alors qu’une plainte est transmise au Procureur et c’est lui qui décidera ou non de la poursuite.”
Tests toxicologiques : 6 heures dans le sang, mais jusqu’à 4 semaines dans les cheveux
Lorsqu’une victime se rend en consultation à l’institut Medico-Légal de Strasbourg, c’est le laboratoire de toxicologie qui se charge des analyses. Interrogé sur un potentiel regain des demandes d’analyses pour ces cas de figures, le responsable du laboratoire Pascal Kintz indique qu’il n’a constaté aucune augmentation ces derniers temps. Une réponse finalement peu surprenante, puisque la plupart des victimes expliquent ne pas avoir fait de test, pensant avoir dépassé le délai au cours duquel la substance reste détectable dans le sang.
En ce qui concerne les substances utilisées pour ces cas de verres piégés, le responsable du laboratoire de toxicologie s’étonne que le GHB soit toujours le premier soupçonné : “Le GHB, c’est un mythe. Je ne dis pas qu’il n’y en a jamais, mais ça reste exceptionnel. D’abord parce que c’est difficile à utiliser, parce qu’il faut parvenir à sédater mais pas anesthésier la victime. Quand on dépasse la dose, ça fait vomir la personne, donc déjà l’usage est compliqué. Mais il faut aussi des quantités non négligeables et ça se cache moins facilement qu’un simple comprimé par exemple. Souvent, quand on pense qu’il y a quelque chose et qu’on n’a rien trouvé on dit que c’était du GHB. Mais ce sont souvent les médicaments classiques de l’endormissement.” En résumé, des somnifères.
Mais alors combien de temps ces substances restent-elles détectables dans le sang ? Pour le GHB, c’est seulement 6 heures dans le sang et 8 à 10 heures dans les urines. Quant aux somnifères, ils peuvent être détectables un peu plus longtemps, soit 1 à 2 jours dans le sang et 3 à 4 jours dans les urines. Des délais plutôt courts, qui semblent souvent décourager les victimes. Mais Pascal Kintz précise : “Nous, [le laboratoire de toxicologie] on fait le sang, les urines, mais aussi les cheveux. C’est ce qui fait la spécialité du labo.” Et en effet pour les cheveux, le temps pendant lequel les substances restent détectables n’a rien à voir. “On va attendre que les cheveux poussent et on va recontacter la personne, sous quatre semaines. Et s’il y a eu du GHB, n’importe quel hypnotique ou un somnifère, automatiquement, on va le retrouver.” Une possibilité de test bien ultérieure, dont malheureusement la plupart des victimes ne semblent pas informées.
Quelle responsabilité et comment réagissent les boîtes de nuit strasbourgeoises ?
Mais alors qui est responsable et comment éviter que de tels actes s’immiscent dans le monde de la nuit à Strasbourg ? Selon Mathilde Kuss, le sujet de la responsabilité est complexe. En effet, les établissements de nuit sont tenus par une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultats. “Ils doivent mettre tout en œuvre pour aider la personne. Par exemple, peut-être commander un taxi, retrouver les personnes de confiance, voire appeler la police s’ils ont été mis au courant des faits.” Mais le staff n’est pas responsable des faits en tant que tels. La personne malveillante qui a délibérément mis de la drogue dans le verre d’une autre pourra quant à elle, être poursuivie pour ce délit.
Du côté des gérants de boîtes de nuit locales, on assure prendre ces témoignages au sérieux. “Ça fait une semaine que j’ai essayé de mettre des choses en place pour trouver ce qui en serait à l’origine. C’est possible que ça arrive, je ne ferme pas la porte là-dessus, mais pour le moment on n’a aucun cas avéré.” indique le patron d’un établissement strasbourgeois. “Le seul outil pour agir qu’on a, c’est qu’on nous le dise et qu’alors on visionne les images des caméras et les photos pour voir qui fait ça. Mais sinon c’est ça le problème, c’est qu’on est désarmés. La drogue est trop petite, on n’est pas la police, on n’a pas de chiens renifleurs. Et puis on voit que ça se passe aussi au niveau national ces choses.” ajoute-t-il. Depuis qu’il a été informé des faits, il explique avoir pris de nouvelles dispositions : “On a rajouté un vigile à l’intérieur et dorénavant on appelle la police pour qu’il emmène la personne faire une prise de sang. Et de notre côté, on peut monopoliser la table si on sait où ça s’est passé. On note les personnes on essaie de leur demander leur identité pour faire un fichier et comprendre, mais pour l’instant on n’a pas de solution et pas de cas.”
La directrice de R club quant à elle, n’a eu vent de ces témoignages que la veille de la publication de cet article : “Je n’ai aucune cliente qui est venue nous informer de quoi que ce soit, ni notre service de sécurité qui est présent le soir sur place ou moi-même. En tout cas pour l’instant.” Elle assure que l’établissement va prendre ses dispositions et que l’équipe sera “très vigilante”. La patronne d’établissement compte notamment prévenir sa clientèle féminine à l’entrée : “C’est compliqué, on ne peut pas surveiller tous les verres de nos clientes. Mais on a demandé aux vigiles de prévenir les femmes de bien garder leurs verres avec elles.”
*Le prénom a été modifié.
Effectivement, même si le GHB est le plus médiatisé, il n’est pas forcément le plus utilisé dans le cadre d’agressions. Je ne retrouve plus l’étude, mais je me souviens avoir lu que dans la plupart des tests effectués, il s’agissait surtout de benzodiazépines.