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Au poil : rencontre avec ces Strasbourgeoises qui ne veulent plus s’épiler

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Depuis des décennies, la pratique de l’épilation féminine, qui était pendant longtemps réservée aux classes supérieures, s’est glissée dans toutes les branches de la société et s’est imposée comme une norme sociale. Mais depuis quelques années, on voit de plus en plus de femmes se rebeller face à ce dictat et se réapproprier leurs corps. Dans la rue ou sur les terrasses, il n’est plus rare de voir des gambettes poilues déambuler librement en plein été. Il n’est plus rare non plus d’apercevoir des poils sous les aisselles de celles qui lèvent les bras ou enlèvent leurs pulls. Pourtant aujourd’hui encore, le poil féminin souffre de nombreux stéréotypes : sale, vulgaire, synonyme de laisser-aller. Nous sommes allés à la rencontre Claire* et Apolline, deux jeunes strasbourgeoises de 25 ans qui ont décidé d’arrêter de faire de leur pilosité une préoccupation quotidienne.


Le corps féminin soumis à la norme sociale

Selon un sondage réalisé en 2019 par le collectif Liberté, Pilosité, Sororité, 96% des femmes pensent qu’elles doivent s’épiler au moins une partie du corps et 50,9% d’entre-elles avouent ressentir du dégoût face à leurs poils. En effet, partout, le poil féminin est tabou : dans les magazines, à la télé, au cinéma et même dans les publicités vantant l’efficacité d’un rasoir, les jambes sont déjà lisses comme une peau de bébé avant même le passage des lames. Et lorsqu’en 1999 Julia Roberts lève le bras sur le tapis rouge et laisse apparaître quelques poils sous son aisselle, c’est le drame. L’indignation a atteint un tel degré qu’en 2017, lorsque la jeune actrice Lola Kirke est apparue aux Golden Globes les aisselles non-épilées, celle-ci a reçu de nombreux messages d’insultes et des menaces de mort.

© Reuters


Se détacher du regard des autres

Claire et Apolline expliquent que tout a commencé par un ras-le-bol du souci constant et quotidien de l’épilation. Apolline raconte : « J’ai arrêté de m’épiler juste par flemme au début. Je commençais à apprécier mon corps de cette façon et cette période de flemme est arrivée en même temps que des lectures féministes. Je me suis rendu compte qu’en fait je me sentais bien comme ça, qu’avec mes partenaires cela ne changeait rien. »

Chez Claire tout a commencé pour des raisons médicales qui ont finalement muté en combat politique : « Au début j’ai arrêté pour une raison médicale plus qu’autre chose ; avant je me rasais et j’ai une peau très fragile qui ne supporte rien et je faisais donc des réactions allergiques à mon rasage. Finalement ça ne m’a pas dérangé plus que ça ; j’ai commencé par les aisselles il y a deux ou trois ans mais, pour les jambes le processus été plus long dans le sens où les jambes sont extrêmement sexualisées chez les femmes et que tu as beaucoup plus le regard des gens dessus. Petit à petit j’ai appris à m’en détacher […] Avec le temps c’est devenu une conviction politique : j’en avais marre qu’on me soûle pour que je m’épile et je me suis rendu compte qu’en plus mon choix ouvre le dialogue avec les gens et on peut parler de mes motivations [..] Avec le recul, je me rends compte que j’ai commencé à m’épiler quand j’étais adolescente, je le faisais parce qu’on m’avait dit de le faire.»

© Claire et Apolline


« Une femme qui ne s’épile pas, ça menace les gens »

Apolline et Claire pensent toutes les deux que le fait de montrer ses poils est souvent vu comme un signe de provocation : « une femme qui ne s’épile pas, ça menace les gens », explique Apolline. De son côté, Claire s’amuse du fait que les gens soient toujours étonnés qu’elle aime la belle lingerie : « Je sais que ça étonne toujours. On n’imagine pas qu’une fille avec des poils aime la dentelle. Dans la tête des gens, tu ne peux pas être féministe et être “féminine” […] Mais c’est vrai qu’on n’a quand même pas beaucoup de modèles de femmes érotisées avec des poils ». Toujours selon elle « ce genre d’initiatives [ne pas s’épiler] restent quand même cantonnées aux milieux féministes, c’est compliqué aujourd’hui de décider de ne pas t’épiler et de ne pas dire que c’est par conviction politique. »

Apolline souligne également le problème de notre société à vouloir imposer son modèle à tous : « On est toujours ethnocentrés sur nos pays occidentaux, c‘est quelque chose qui s’inscrit dans notre société de consommation et je pense que si on remet en contexte, concrètement il y a sûrement plus de femmes dans le monde qui ne s’épilent pas que de femmes qui s’épilent. »

© Charlie Picci Claude / Pokaa


Le tribunal familial et le contrôle social des corps

Mais au-delà de la société, les yeux les plus critiques qui peuvent se poser sur nos choix sont bien souvent ceux de nos proches. Claire explique comment son choix est vu au sein de sa famille : « Dans le cadre familial, je pense que c’est comme dans tout, il faut que tu répondes à des exigences. Dans mon cas, ma famille porte un regard super critique sur ce choix personnel alors que mes potes s’en foutent dans la grande majorité des cas [ …] Les femmes de ma famille sont toujours tirées à quatre épingles et ne comprennent pas ma manière de voir les choses. Ma grand-mère m’a déjà dit : “Je n’arriverais jamais à te trouver belle avec des poils” […] Ce qui est fou dans cette histoire c’est que la première fois que j’ai demandé à ma mère de m’emmener chez l’esthéticienne, elle m’avait dit que j’étais trop jeune, que j’avais le temps alors que maintenant c’est limite si elle ne veut pas m’y emmener de force. »

Claire nuance son propos en prenant en compte le contexte social dans lequel le débat a lieu : « Plus l’enjeu du contrôle social de la personne qui te parle est fort, plus on va taper dans la honte et le dégoût alors qu’au final quand c‘est quelqu’un qui ne te connaît pas forcément ça sera plus de la surprise ou de la curiosité […] Les étrangers sont toujours plus bienveillants que ma propre famille qui va me juger plus facilement. J’ai déjà eu des remarques de ma propre mère qui m’a dit que je lui faisais honte, que j’étais sale. Il y a quelque chose de l’ordre de la politesse, comme si c’était mal de montrer ses poils […] C’est dur entendre ces paroles, mais je mets de l’eau dans mon vin parce que je n’ai pas toujours envie de me battre. Je suis toujours consternée par la manière qu’ont les gens de se mêler de ce qui ne les regarde pas et de voir l’énergie déployée pour le contrôle social du corps des autres. »

Apolline, elle, confie ne jamais avoir eu de remarques désobligeantes de sa famille, mais sentir parfois une petite gêne: « Dans mon cadre familial, je sens que ça rend ma mère triste parce qu’elle pense que je ne veux pas être féminine. On est trois sœurs et aucune de nous ne s’épile. Je crois que ça pose plus problème à ma mère qu’à mon père. Elle a l’impression qu’on ne s’apprête pas, qu’on n’a pas envie d’être la figure de féminité qu’elle aurait envie qu’on incarne. »

La campagne de la marque Adidas avait fait polémique en 2017 lorsque leur choix s’était porté sur le mannequin Arvida Byström qui arbore fièrement ses jambes poilues.
© Arvida Byström / Adidas


Le poids de nos choix personnels et des habitudes

Malgré leur force de caractère et l’ancrage puissant de leurs convictions, toutes deux confient qu’elles ne s’habillent pas toujours comme elles veulent et cachent leurs poils pour avoir la paix et ne pas avoir à se justifier ou essuyer des remarques désagréables. « J’avoue que je m’adapte à la situation et que des fois quand je sais que je suis avec des personnes virulentes ou agressives, j’adapte ma tenue pour éviter les remarques déplaisantes […] Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point ça peut être un casse-tête de choisir des vêtements que je vais pouvoir mettre dans le milieu professionnel jusqu’à cet été ; j’ai fait un stage au CNRS et j’étais dans un institut très patriarcal avec un patron qui venait constamment dans le bureau pour me surveiller. On était en plein été, il faisait très chaud et j’avais qu’une envie c’était de mettre des débardeurs et des shorts très courts, mais au lieu de ça, je me prenais la tête le matin parce qu’il ne fallait pas qu’on voit mes tétons, mes poils de jambes ou d’aisselles… Du coup je mettais des robes longues, mais avec le vélo, c’était compliqué… Je me suis rendu compte que j’ai fait des choix pour la liberté de mon corps mais toujours est-il qu’il faut les étouffer dans certains milieux […] Si je sais que je suis dans mon cercle, je n’ai aucun problème avec tout ça mais là j’avais la sensation d’arriver démunie dans le monde du travail qui allait me bouffer. » indique Claire.

Apolline, elle, parle de ce vieux réflexe qu’elle a encore parfois, de prévenir qu’elle n’est pas épilée, comme si c’était une maladie honteuse qui fait rougir : « Autant je sais que ça ne pose pas de problème à mes partenaires, mais j’ai ce réflexe de prévenir, avec une forme d’excuse de ma part. J’ai besoin de le dire pour me rassurer. Je me rends compte de manière systématique qu’en fait ça ne pose absolument aucun problème mais tout ce sexisme intériorisé fait qu’il y a des réflexes qui viennent de fait. »

L’artiste Frida Kahlo, icône féministe avant-gardiste des mouvements pro-poils.
© Otto Bettmann


Il ne faut pas souffrir pour être belle.”

Selon les deux jeunes femmes, l’épilation est vue comme une étape obligatoire de la beauté et du rituel féminin. Claire explique : « Je pense qu’en fait l’épilation est vue comme une étape obligatoire pour être belle. J’ai bien conscience que pour beaucoup de femmes ça ne serait pas envisageable de se sentir bien sans s’épiler. Moi du coup, je ne le fais plus, je passe par d’autres choses, je mets de beaux vêtements, je me maquille…» Le marketing du marché mondial de l’épilation, qui était évalué à 6,398 milliards de dollars en 2019, a réussi son pari de faire croire qu’un corps féminin poilu est un corps qui n’a pas sa place dans la société. Pourtant, ils permettent de moins transpirer et protèges des agressions extérieures, mais aussi des maladies et des mycoses. « Tout ça c’est une espèce d’autodestruction intégrée, enchaîne Claire. “Il faut souffrir pour être belle”. Faut dire aux petites filles que c’est pas vrai, qu’on leur ment !»

Et garder ses poils n’est pas une souffrance, bien au contraire. Chacune d’elles parle de cette expérience comme d’une sensation de réappropriation de son corps (et un sacré gain de temps) : «En ce qui concerne l’image que j’ai de moi, j’ai une certaine fierté de m’accepter comme je suis et d’une manière ou d’une autre. J’ai l’impression que mon corps me rend le fait que je ne le fasse plus souffrir. C’est plus quelque chose d’intérieur, je ne me trouve pas plus ou moins jolie avec des poils, pour moi c’est la même chose, mais intérieurement je me dis qu’on est quand même mieux quand on ne se fait pas souffrir », souligne Claire. Apolline elle, a la sensation de faire la paix avec elle-même et d’éveiller les consciences autour d’elle : « C’est un morceau dans un processus d’empowerment et je relis forcément ça au fait de limiter le maquillage, de refuser de porter des soutifs… C’est plutôt une appréciation personnelle de mon corps et si tu n’as pas besoin de passer par cette étape pour te sentir bien, ça te rend une bonne image de toi. Et puis je vois que ça fait réfléchir les gens autour de moi, mes potes commencent à changer d’avis et voir les choses autrement ! »

© Claire et Apolline

>Charlie Picci-Claude

*Le prénom a été modifié.

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Pour aller plus loin :

Histoire du poil, sous la direction de Marie-France AUZEPY et Joël CORNETTE, Éditions Belin, 2011
– Karin LESNIK-OBERSTEIN, The Last Taboo : Woman and Body Hair, Manchester University Press, 2011
– Stéphane ROSE, Défense du poil, contre la dictature de l’épilation intime, Éditions La Musardine, 2020

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Commentaires (1)

  1. Suis d’accord vive les femmes poilues et à (poil).suis de naturisteland.fr.ai vu votre article en post.sur notre site. Les voie du seigneur sont infinies.on discutait de ce thème et 1 menbre a mis votre lien.tres bien. Salut bon travail.

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