D’après les estimations, la réforme des retraites telle qu’elle est présentée ferait perdre 600 à 700 euros de pension par mois aux enseignants. Ce 24 janvier, jour de mobilisation nationale contre le projet, des profs, des instits, des ATSEM, des AESH ou encore des AED ont fait grève et manifesté à Strasbourg. Reportage.
En plein milieu du quartier de Hautepierre, l’école maternelle Eléonore est fermée ce vendredi 24 janvier. “Ça ne nous amuse pas de faire grève, au contraire, c’est un sacrifice… Il faut bien que les gens le comprennent ça ! On doit l’expliquer aux parents, on perd des jours de salaires…” raconte Marie-Laure, institutrice en maternelle. “Mais là, Blanquer (ministre de l’éducation) qui annonce que 99,9% des enseignants sont satisfaits, on ne pouvait pas laisser passer ça ! Le gouvernement est dans le déni” s’insurge Benjamin, instituteur en primaire pour sa part.
Ils sont une quinzaine à s’être réuni vers 8h30, entre l’école primaire, les écoles maternelles et le collège du réseau rep+ voisin de l’hôpital de Hautepierre. Des professeurs, des institutrices, des ADSEM et des AESH sont présentes. En tout, ce jour là, 24 des 38 professeurs du collège sont en grève, 8 des 12 institutrices de maternelle le sont également. Pour la primaire, seuls 3 instituteurs sur 17 ne travaillent pas.
600 euros de pension en moins, des années de travail en plus
Marie-Laure résume la situation : “On va tout simplement perdre 600 euros de retraite. Elles sont actuellement calculées sur les 6 derniers mois de salaire, soit la meilleure période en général pour des fonctionnaires. Les instits arrivent à 2600 ou 2700 euros net en fin de carrière, ce qui leur donne une retraite d’environ 1800 euros pour le moment. Avec la réforme, d’après les estimations, on devrait perdre 600 à 700 euros, et donc descendre à 1100 ou 1200 euros de pension à peu près. C’est incroyable ce qu’on perd.”
À noter que le ministre de l’éducation a annoncé une potentielle augmentation du salaire des enseignants pour contrebalancer l’effet de la réforme. “Mais on ne sait toujours rien là-dessus, c’est trop flou” commente Romain, prof’ de sport pour le collège Erasme qui fait partie du même réseau Rep+.
“La retraite à 66 ou 67 ans” pour les enseignants nés après 1975
Angelina, également institutrice, pose la question de l’âge de départ à la retraite. “Passé 60 ans, certains collègues n’en peuvent plus. Tenir une classe ça demande énormément d’énergie. Et il y a les copies à corriger, parfois jusqu’à tard le soir. Dans le projet de réforme, l’âge pivot était fixé à 64 ans, mais l’âge d’équilibre, qui concerne les personnes nées après 1975, viendra encore plus tard, potentiellement à 66 ou 67 ans.”
Et Benjamin ajoute, “c’est simple, comme la plupart des corps de métier, on va travailler plus longtemps et gagner beaucoup moins. Comment voulez-vous qu’on accepte ça ? Comment je ferai pour tenir 90 élèves dans un gymnase à 65 ans ? C’est rageant, surtout quand on sait que les cotisations patronales baissent drastiquement en même temps.”
Vers 11h, les enseignants grévistes de ce réseau rep+ rejoignent plus d’une centaine de personnels de l’éducation qui se sont donnés rendez-vous devant le rectorat. Ceux-ci érigent alors le “mur de la connaissance” à l’aide d’anciens manuels scolaires, en guise de barricade. Ils chantent en cœur “Et on ira jusqu’au retrait.” Des slogans sont affichés un peu partout sur la devanture de l’institution, dont “je suis 0,1%” en référence à la “provocation” du ministre de l’éducation.
“Les élèves ont aussi beaucoup à perdre”
De nombreux journalistes sont présents, devant une foule d’enseignants qui grossit petit à petit. Finalement, ils décident de rejoindre les 300 avocats qui manifestent devant le palais de justice, pour ensuite converger vers le départ de la grande manifestation à 14h place de la Bourse.
Dans le cortège de la manif’, Céline, prof’ dans un collège, insiste sur le fait que “les élèves ont aussi beaucoup à perdre avec cette réforme” : “En fin de carrière, beaucoup de profs font le minimum, et c’est normal, c’est trop fatiguant. Est-ce que c’est ça qu’on veut comme école pour nos enfants ? Des professeurs de plus en plus âgés ? Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de personnes qui veulent devenir professeur, et c’est normal.” Pour Romain, “cela induit d’ailleurs un gros impact sur la qualité de l’enseignement. Le niveau d’exigence dans le recrutement est devenu très bas, parce qu’il se fait dans l’urgence.”
Une situation encore plus précaire pour les ATSEM, les AESH et les AED
Au côté des profs, Martine, AESH (accompagnante d’élève en situation de handicap) qui s’occupe de 4 élèves est là également. Elle gagne environ 1000 euros net par mois avec son contrat de 31h. Longtemps, elle n’en était qu’à 711 euros net pour 24h. Elle essaye de visibiliser la cause de sa profession : “Les salaires les plus bas seront pris en compte dans le calcul de la retraite. ça me fait peur.” En plus, les AESH et les AED (assistants d’éducation ; surveillants) ne touchent pas la prime rep+ destinée au personnel enseignant dans l’éducation prioritaire, qui correspond à environ 83 euros net par mois.
Trois ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), sont également présentes. Malika témoigne de la “précarité de son travail sous payé, majoritairement pratiqué par des femmes.” Martine surenchérit : “Il y a les retraites mais il y a aussi un ras le bol général. Tous les métiers comme le mien ne sont absolument pas valorisés, alors qu’ils sont essentiels, ce sont les métiers du lien. Et c’est pareil pour les enseignants… tous les métiers de l’éducation doivent être valorisés, mais on va dans le sens inverse.”
Pas de dates prévue encore pour une prochaine manifestation, mais ce qui est sûr, c’est qu’à Strasbourg ou ailleurs, les profs ne sont pas prêts de lâcher leurs revendications.
On précise : les 90 élèves, c’est sur un projet interdegrés, de 2 ans à 12 ans, avec plusieurs enseignants.