C’était un événement majeur de la lutte contre le Grand contournement ouest de Strasbourg. 13 personnes comparaissaient devant le tribunal correctionnel ce mercredi 25 septembre, après la fabrication d’une cabane sur le tracé de l’autoroute en avril dernier. Onze militants sont jugés pour vol parce que des barrières et des panneaux du chantier auraient été déplacés autour de la cabane. Les deux derniers sont accusés de violences envers des personnes dépositaires de l’autorité publique mais ils le contestent. Les trois avocats de la défense ont surtout pointé du doigt des manquements au dossier qui ne permettent pas, selon eux, de comprendre les faits.
Une centaine de personnes, avec des pancartes « GCO NON MERCI » ou « L’Alsace est une ZAD, l’état est une ZEP », sont déjà présentes vers 8h ce mercredi 25 septembre devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. 13 militants écologistes s’apprêtent à s’asseoir sur le banc des accusés pour le « procès de la butte », qui a lieu à la suite d’une action de construction de cabane sur le tracé du Grand contournement ouest de Strasbourg. Le chantier de l’autoroute a commencé depuis la semaine du 10 septembre 2018, date à laquelle la ZAD du moulin a été expulsée. Depuis, des dizaines d’actions de blocage, des rassemblements, des manifestations ou encore une grève de la faim ont été réalisées outre les attaques juridiques d’Alsace Nature, mais rien de tout cela n’a arrêté le chantier qui suit son cours.
Le 20 avril dernier, une mobilisation de désobéissance civile nationale intitulée « Bloquons la république des pollueurs » était organisée. À côté de Pfettisheim, une trentaine d’anti-GCO avaient décidé de construire une cabane perchée sur une butte dans la zone du chantier, et d’annoncer que « la ZAD était de retour sur le tracé de l’autoroute. » Cette action était symbolique selon les dires des opposants qui allaient se renommer les « butopistes ». Elle devait marquer la résistance et constituer un « coup médiatique ». Le consensus d’action était notamment « de ne pas être violent » :
« Cela nous décrédibiliserait. La violence appelle à la haine, ce n’est pas ce que nous voulons. Nous sommes pacifistes. On se doutait évidement qu’on serait rapidement expulsés mais on voulait montrer qu’on ne baissait pas les bras.»
Un premier motif d’interpellation non valable
Un peu avant midi, les gendarmes d’un peloton de surveillance et d’intervention (PSIG) avaient procédé à l’évacuation. Une micro-altercation aurait eu lieu à ce moment-là, d’après des gendarmes. Depuis l’extérieur de la cabane, les militaires avaient notamment fait l’usage de gaz lacrymogènes, alors qu’environ dix personnes étaient à l’intérieur de la cabane, ce qui avait provoqué des sensations de malaise aux militants, et un saignement de nez sévère nécessitant l’intervention des pompiers pour l’un d’entre eux. Une vidéaste, qui fait partie des accusés, a notamment posté cette vidéo sur les réseaux sociaux.
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Ensuite, 13 personnes du groupe ont été placées en garde à vue, toutes pour le même motif : leur visage était masqué.
Ce mercredi matin, la salle d’audience est entièrement remplie de personnes soutenant les prévenus. Les avocats des militants, Maître Dole, Maître Regley et Maître Ruef commencent par fustiger les conditions de l’arrestation :
« Tout le monde a été emmené en garde à vue pour dissimulation de visage sur la voie publique lors d’une manifestation. Or, nous n’étions pas dans une manifestation, et encore moins sur la voie publique, le chantier est un terrain privé. Ce motif initial n’existe donc pas. En plus, les premières traces de notification des droits inhérents à la garde à vue sont très tardives. En théorie, celle-ci est immédiate or là on a plusieurs cas où la notification se fait avec une ou deux heures de retard, ce qui est inacceptable. »
Le procureur de la république admet que « le dossier n’est pas parfait » :
« C’est vrai, il y a un manque de précision, tout n’est pas rédigé parfaitement. Mais aujourd’hui c’est facile à dire, sur le coup c’était plus compliqué. Il faut retenir qu’au moment de l’intervention, il y a le constat d’une cabane, de visages masqués, d’ouvrages de défense, de matériel de chantier déplacé… »
Arrive ensuite une audition des accusés, chacun est entendu. Se présentent : un informaticien, un biologiste, plusieurs personnes dont le projet est de vivre en autonomie, un ingénieur polytechnicien, un « zadiste professionnel.» Il y a deux femmes et onze hommes qui ont entre 21 et 32 ans. Ils déclarent défendre des convictions écologistes. Tous garderont le silence quant aux faits, sous les consignes de leurs avocats.
Après tergiversations, les chefs d’accusation sont vol et violences
Finalement, les chefs d’accusation qui ont été retenus sont : vol en réunion et avec dégradations pour onze d’entre eux, à cause du matériel qui aurait été déplacé, et violences envers des personnes dépositaires de l’autorité publique pour les deux restants.
L’avocat de VINCI, société en charge de la construction de l’autoroute qui a porté plainte pour vol insiste sur plusieurs points :
« Les actions contre le GCO étaient incessantes à cette période. Imaginez l’ouvrier qui se demande tous les soirs ce qu’il va se passer le lendemain. L’entreprise doit réaliser un certain chiffre d’affaire, notamment pour prendre en charge les salaires des ouvriers, or ces blocages représentent des pertes. De plus, pendant cette action les prévenus se sont visiblement appropriés le matériel de chantier pour en faire des barricades, c’est du vol et ils en étaient conscients. »
Une avocate pour les gendarmes qui auraient subi les violences est également présente :
« On a là deux gendarmes qui étaient en duo dans l’exercice de leur fonction. L’un était devant avec le bouclier et l’autre derrière, il lui tenait l’épaule. Ils ont été chargés par un individu qui avait un bouclier artisanal, et ils ont subi un choc bouclier contre bouclier. L’un des deux est tombé et a eu 5 jours d’ITT. Peut-être que la cause des militants est noble, ça je n’en doute pas. Mais il ne faut pas me dire qu’ils étaient pacifistes, il y avait bien des barricades et des positions offensives. »
« La charge était immédiate, les bombes lacrymogènes ont été utilisées sans sommation. »
Le ton monte dans la salle d’audience. Maitre Dole lui rétorque :
« Il n’y a aucune preuve qu’il y a eu violence de la part des « butopistes. » En revanche, lors de l’intervention, c’est tout le cadre qui était violent. Vu le contexte, c’est normal de vouloir se protéger avec des barricades. La charge était immédiate, les bombes lacrymogènes ont été utilisées sans sommation, alors que les militants avaient hurlé plusieurs fois qu’ils étaient pacifistes. »
Maître Ruef enchaine :
« Il n’y a aucune constatation de vol, aucun procès-verbal. Là encore, le dossier est très incomplet. Il n’est pas possible, étant donné les éléments, de considérer ce vol. Finalement, tout ce qu’on a, c’est des suppositions liées à des photos. »
Et enfin, Maître Regley termine :
« D’abord il y avait cinq personnes accusées de violences, ensuite trois, puis enfin deux, alors que la base de cette accusation a toujours été des témoignages de gendarmes. Ceux-ci ne collent pas entre eux, il semble impossible d’affirmer qui a précisément était auteur de violences. De plus, beaucoup de témoins disent que le gendarme ne serait pas tombé suite à un choc, contrairement à ce qu’ils déclarent. Finalement, tout est flou dans ce procès. La relaxe s’impose. »
Dénouement pour le 20 novembre
Le procureur recommande finalement des « peines d’avertissement » : deux mois de sursis pour onze prévenus, six mois avec sursis pour l’un des accusés de violences et 180 heures de travaux d’intérêt général pour le dernier, également accusé de violences.
La décision du juge tombera le 20 novembre. En sortant, du tribunal, les militants semblent soulagés :
« Cela sautait aux yeux que les accusations sont infondées. Nous sommes des militants écologistes, nous luttons pour un monde meilleur, nous n’avons pas de mauvaises intentions. Il y a simplement eu la volonté de nous réprimer à travers cette démarche, mais en réalité ils n’ont pas grand-chose. »
Maître Dole semble confiante également :
« Vu l’ensemble des problèmes pointés, nous sommes vraiment optimistes pour obtenir la relaxe. »
Vers 13 heures, un centaine de militants sont encore présents. Une cabane a même été montée devant le tribunal, pour rappeler l’action de la butte. Des membres de la confédération paysanne, un syndicat agricole, sont venus soutenir les anti-GCO et proposent des tartines pour financer les avocats. Beaucoup se rendront plus tard à une soirée au Molodoï avec l’artiste Kalune, dont les bénéfices seront également utilisés « contre cette répression. »
Le procès est passé, il n’y a plus qu’à attendre…
Thibault Vetter