Ça y est, avec juin le bal des présentations de saison commence. Avant la sieste estivale, les emplettes débutent donc pour la saison prochaine. Le Théâtre National de Strasbourg (TNS) a révélé sa programmation et la billetterie ouvre le 24 juin. C’est pourquoi je vous propose de découvrir dès maintenant un petit focus sur 5 spectacles particulièrement attirants.
Banquet Capital
N’avez-vous pas toujours rêvé d’assister à la naissance du capitalisme et de l’ouvrier industriel ? Comprendre comment s’est constituée ce modèle dans lequel nous vivons encore aujourd’hui ? Le 13 mai 1848, dans un club parisien, des leaders révolutionnaires se réunissent, inquiets des décisions prise par la nouvelle Assemblée des républicains. Les discussions enflammées s’ouvrent. Le spectacle de Sylvain Creuzevault prend la forme d’une grand table de discussion, comme si les spectateurs étaient eux aussi membres de cette réunion d’idées.
La démarche peut rappeler Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat : le spectateur est placé au cœur d’un moment historique et politique. Bien entendu, Banquet Capital fait écho à la crise sociale que connait la France actuellement. Voyez-y donc l’occasion d’aller un peu affuter votre conscience sociale en comprenant les rouages qui animent notre monde depuis plus de 150 ans.
Banquet Capital, du 4 au 12 octobre 2019 Salle Koltès
Architecture
Et dire que je croyais qu’Infinity war était le crossover le plus ambitieux de tous les temps… Ce spectacle, Architecture, est un coup de tonnerre dans le paysage théâtral contemporain. Déjà parce qu’il fera l’ouverture du prochain Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur du Palais des papes, ce qui n’est pas rien. Mais surtout parce que sa distribution réunit une brochette d’acteurs et d’actrices de premier plan. Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, , Laurent Poitrenaux, Jacques Weber, et Denis Podalydès (en alternance avec Pascal Rénéric).
Bon, il est probable que ces noms ne vous parlent pas si vous n’êtes pas un filou obsédé par les salles sombres aux fauteuils de velours. Mais figurez-vous que ce casting vaut bien celui du dernier Marvel. Le metteur en scène et auteur Pascal Rambert a réunit les acteurs et actrices dont il était le plus proche pour créer ce spectacle. Une grande fresque s’étendant de 1911 à 1938, l’histoire d’une grande famille viennoise confrontée aux montées de la violence et des populismes en Europe. Ce spectacle, réfléchi par son auteur depuis 15 ans, est assurément l’événement à ne pas manquer dans la saison théâtrale qui s’amorce.
Architecture, du 15 au 24 novembre 2019, Salle Koltès
Un ennemi du peuple
Vous le savez peut-être, le TNS n’est pas le lieu qui présente le plus de classiques. Mais il en faut pour tous les goûts, et voilà un texte classique encore méconnu. Jean-François Sivadier a choisi de s’attaquer à la pièce la plus politique d’Henrik Ibsen. Dans une petite station thermale, un docteur, Thomas Stockmann découvre qu’une bactérie dans l’eau est dangereuse pour la santé. Il veut avertir l’opinion publique et faire les travaux nécessaire à assainir l’eau. Mais toute la ville tire son argent des bains. Le frère du médecin, Peter Stockmann, craint les conséquences économiques et préfère cacher la vérité. Peu à peu, toute la ville s’enflamme dans une guerre d’intérêts et de complots.
Le spectacle recoupe la question écologique avec les problèmes d’enjeux économiques, les rapports de force politiques et les préoccupations environnementales et hygiéniques. Au fond, c’est une excellente allégorie de notre situation actuelle au niveau mondial. Si l’eau est polluée, il faut agir, quitte à ce que cela coute de l’argent ? Cela n’est pas l’avis général, voilà pourquoi nous vivons encore dans un environnement dangereux. Dans cette pièce personne n’est présenté comme ayant raison de façon absolue. Ibsen a laissé le soin au public de titrer ses propres conclusions, tout comme nous y sommes obligés dans la réalité.
Un ennemi du peuple, du 11 au 20 décembre 2019, salle Koltès
Le reste vous le connaissez par le cinéma
Faire du neuf avec du vieux, c’est un peu la devise du monde des arts depuis toujours. Ici, nous avons un spectacle créé sur une pièce de l’auteur anglais contemporain Martin Crimp, elle-même une réécriture des Phéniciennes du grec Euripide (pas contemporain), qui pour sa part a réinterprété les mythes antiques. Ainsi, si la trame d’origine reste la même, ces regards juxtaposés ont donné une couleur neuve à l’histoire. Cette histoire c’est celle de deux frères, Étéocle et Polynice qui gouvernent Thèbes en alternance. Mais lorsque l’un refuse de passer la manette, tout dégénère.
Dans ce spectacle, les auteurs font une critique violente de l’ultranationalisme et de ses dangers. An centre du spectacle il y a ce chœur de jeunes filles : celles qui ne sont pas écoutées. Étrangères et femmes, elles ne sont pas considérées et ne peuvent que commenter, impuissantes, les barbaries et drames auxquels elles assistent. En se focalisant sur ce chœur, qui sera joué par un groupe de jeunes filles, le metteur en scène Daniel Jeanneteau offre un point de vue peu courant sur les grands événements : celui des anonymes et des gens d’en bas.
Le reste vous le connaissez par le cinéma, du 7 au 15 février 2020, salle Koltès
Nickel
Voici sans doute le spectacle le plus progressiste de la saison 19-20 du TNS. Il s’intéresse au voguing, une danse urbaine née dans les milieux queers afro-américains. Le sujet n’est pas tant cette danse que les individus qu’elle fédère, marginaux, exclus, et corps en résistance. Nickel propose de plonger dans cette micro-société et de comprendre ses codes et son énergie. L’esthétique promise est post-industrielle, avec des ruines montrant le caractère éphémère de toute chose, y compris des carcans sociaux excluant les communautés marginales.
Le texte est écrit par Pauline Haudepin et Mathilde Delahaye, qui signe aussi la mise en scène. Ces deux anciennes élèves du TNS, sorties il y a peu, seront artistes associées de la structure à partir de la saison prochaine (aux côtés d’un autre élève, sortant cette année de l’école). Au-delà de cette endogamie, la volonté du directeur Stanislas Nordey est de permettre un renouveau du paysage théâtral, et de former des jeunes au sein d’une structure telle qu’ils pourront en diriger d’ici quelques années.
Nickel, du 27 avril au 7 mai 2020, Salle Gignoux
Maintenant, à vous de faire vos emplettes. Certaines places partent très vite mais n’hésitez pas à vérifier dans les semaines précédant le spectacle ou même le soir des représentations en file d’attente. Et allez aussi jeter un œil aux autres salles. Après tout, il y a largement assez de théâtres sur Strasbourg pour passer une année entière sans s’ennuyer.