Lundi dernier, je me trouvais à Oberhausbergen, ville dans la banlieue de Strasbourg au nom aussi long que difficile à prononcer, pour rencontrer Laurent Fischer, tennisman handisport classé parmi les dix meilleurs français.
« Si je ne joue pas [au tennis], je ronchonne ». Voilà ce qui définirait le mieux la relation que Laurent Fischer entretient avec le tennis. Confession sortie directement du cœur de cet homme passionné par un sport qu’il adore, mais qui le rend parfois dingue. Un amour du tennis qui se renouvelle sans cesse et qui, alors qu’il arrive sur ses 49 ans, lui permet de continuer à jouer à excellent niveau, encore aujourd’hui. Un homme de défi, pour qui l’adversité ne représente qu’une épreuve supplémentaire à franchir.
Le club de tennis d’Oberhausbergen, un club pilier dans le tennis handisport
J’ai rencontré Laurent Fischer lors d’une séance d’entraînement et de testage de raquettes au TC Oberhausbergen, un des clubs phares du tennis handisport alsacien. Sa réputation s’est faite progressivement à tel point que le président du club m’a même dit qu’il en avait un peu assez de toujours devoir parler du handisport quand on lui pose des questions sur son club. Une réputation qui dépasse donc les frontières de l’Alsace, et une juste récompense finalement pour un club qui a accepté il y a quelques années d’accueillir un tournoi de double caritatif, dont les revenus sont dans leur entièreté reversés au développement du tennis handisport.
Oberhausbergen est le club de tennis avec le plus de licenciés de tennis handisport en Alsace. Et un rayon de soleil dans ce monde, où les financements sont rares, et où les politiques de développement n’en sont qu’à leurs prémices. Médiatiquement, la résonance est très faible, et ce même au niveau national. Alors même que la France est un pays qui a énormément de succès en la matière, contrairement aux tennismen valides, qui font à chaque tournoi le bonheur de la Fédération Française de la Lose. Néanmoins, la Fédération Française de Tennis commence à s’y mettre depuis peu : les directives se multiplient pour organiser des formations au niveau régional pour le tennis handisport, avec la création de comités spécialisés dans le développement de ce sport.
Un tennisman pointu
Même si je n’aurais pas dû être surpris, au vu de son niveau – il a tout de même participé aux JO Paralympiques d’Athènes en 2004 –, je suis resté scotché par le niveau d’exigence de Laurent Fischer. La séance d’entraînement est en effet également une séance de tests de raquette, et Guillaume Eyer, l’un des créateurs du tournoi caritatif et responsable du magasin de tennis Smash, était présent pour le conseiller. Fred Patierno, le coach de Laurent, est également là ; c’est avec lui que ce dernier s’entraîne aujourd’hui. Fred est responsable du pôle espoir du tennis handisport à la Fédération Française de Tennis, et il s’occupe également du tennis handisport à Oberhausbergen.
Toutes les dix minutes, après de longs échanges, Laurent parle avec son coach et Guillaume de ses sensations, de ses préférences et de la manière dont il souhaite jouer. Poids de raquette, rigidité ou tension du cordage, rien n’est laissé au hasard, de façon à jouer le mieux possible.
Une séance impressionnante, qui ne diffère pas de celles des valides
Au vu des difficultés de se déplacer en fauteuil sur terre battue, la séance se déroule à l’intérieur, par plus de 30 degrés ressentis. Pas de doutes, ça va transpirer ! Une des premières choses qui m’est venu à l’esprit en assistant à cet entraînement est la réactivité impressionnante de Laurent. Les déplacements en fauteuils sont particuliers et très brusques, avec des changements de direction constants, ce qui demande un œil et une puissance conséquente.
Au niveau de l’entraînement, c’est selon le coach le même qu’un entraînement de tennisman valide. Ce dernier s’y connaît, puisqu’il entraîne désormais 3 adultes et 3 enfants en fauteuil. À tel point qu’il ne fait désormais plus de différences entre les valides et non-valides. Quand on apprend aux premiers le déplacement et le jeu de jambes, on apprend aux seconds le roulage, c’est-à-dire la façon de se déplacer en fauteuil. Puis ensuite on apprend la gestuelle qui va avec le roulage : comment jouer, s’arrêter, puis repartir. Et enfin, la technique tennistique en elle-même : coup droit, revers et service. Finalement, seules quelques règles diffèrent, mais la façon de jouer reste peu ou prou la même, et les exigences également.
Un vrai passionné de tennis
Laurent a été le meilleur tennisman handisport français pendant trois ans, de 2002 à 2004. Il est désormais dans les dix meilleurs français, classé – 30/8 deuxième série. Ce qui, en termes d’équivalence avec les valides le placerait aux environs de la 15ème place nationale. Mais au-delà de son classement et de son niveau de jeu, tous deux impressionnants, c’est surtout sa réflexion sur son approche du sport qui m’a attiré.
Un amour du tennis qu’il ne possédait pourtant pas avant son accident, mais qui désormais l’anime constamment. Il s’intéresse effectivement à tous les aspects de son sport. Quand je l’ai rencontré, il revenait tout juste des championnats de France à Roland Garros, où il a fini quatrième. Il m’a longtemps parlé de sa défaite en demi-finale, qui n’était pas encore digérée. « Honnêtement, je m’en veux plus à moi que je n’en veux à lui » m’a-t-il confié, encore marqué par le souvenir d’un match perdu alors qu’il l’avait en main.
Dans ce sport de duel permanent qu’est le tennis, la psychologie et le mental occupent une place prépondérante. L’approche des matchs de Laurent suit cette même logique. « Quand je rentre sur un terrain, je veux que mon adversaire me craigne ». Jouer en quelques coups de raquette, faire vite mal à son adversaire, voilà le plan tactique généralement suivi par Laurent. Il faut dire qu’il possède un désavantage de plus en plus rare dans le monde du tennis handisport : Laurent est paraplégique.
Cela signifie qu’il ne peut pas utiliser ses abdominaux pour jouer. Dès lors, il n’a pas forcément l’endurance pour enchaîner les longs échanges pendant un match. Il est un peu une exception désormais, dans un monde où la majeure partie des joueurs de tennis handisports sont des amputés, ou des paralysés des jambes, avec encore l’utilisation de leurs abdominaux. Comme il m’a confié, son sport évolue de plus en plus vite, et bientôt, il n’y aura plus réellement de places pour les joueurs paraplégiques.
Le sport comme moyen de se surpasser
Laurent est avant tout un sportif de haut-niveau. Pour son premier tournoi handisport après son accident, en 1996, il a enchaîné 12 matchs en à peine 3 jours. C’est une machine de sport, et comme tous les mordus, il a du mal à ne pas en faire. À son pic de forme, il faisait 20h de tennis par semaine, plus du vélo et de la musculation. Désormais, il a un peu réduit les doses, « [il] ne fais plus que quatre fois du tennis par semaine », mais toujours avec du vélo et de la musculation. Un programme tout ce qu’il y a de plus raisonnable quoi.
Quand il a passé huit mois couchés, sans pouvoir bouger de son lit d’hôpital, c’est sa femme qui lui a donné la motivation de continuer ; désormais, quand « [je] joue, [je] ne joue pas que pour [moi-même], mais aussi pour remercier [ma] femme ». Il a aussi connu de multiples blessures ces dernières années, mais cela ne l’a pas démotivé. Cela l’a poussé à prendre le tennis d’une autre manière : « Désormais, je joue moins de tournois, mais pour mieux les jouer ». De plus, il peut se permettre d’organiser sa vie autour du tennis : « J’ai de la chance que c’est un accident de travail donc je touche une rente. Du coup je fais le tennis à fond. Une bonne partie de ma vie depuis que je suis en fauteuil est basé à mon sport. J’ai trouvé un sport pour me reconstruire et vivre avec un but dans la vie avec beaucoup de passion et surtout me surpasser ».
Un tennisman qui veut former les jeunes générations
Laurent possède un rapport très proche avec les jeunes joueurs handisports. Il possède une véritable fibre de l’enseignement, parce qu’il remarque à quel point ça fait plaisir aux jeunes joueurs de voir que quelqu’un s’intéresse vraiment à eux. « Là, il y a un jeune qui m’envoie des messages par Messenger pour me remercier, et moi ça me touche », me dit-il, en me montrant les messages de remerciements. Mais les lauriers ne l’attirent guère ; il aime le tennis et veut transmettre sa passion et sa connaissance, de façon à bien former les jeunes générations, à la fois tennistiquement, mais surtout mentalement. C’est pour cela qu’il veut passer l’AMT (assistant moniteur de tennis, ndlr) l’année prochaine, de façon à devenir entraîneur de tennis. Une façon de vivre autrement un sport qui le passionne depuis maintenant tant d’années.