C’est en commençant à descendre l’escalier aux rambardes rouillées que je comprends que je fais une erreur monumentale. Aller aux toilettes publiques, un samedi après-midi durant les vacances scolaires est un acte aussi suicidaire que de lécher la table d’un Mac Do ou de serrer la main d’Harvey Weinstein.
Je croise des hommes remontant leurs braguettes avec un sourire mélangeant sadisme et fierté. Certains arborent une tâche sur leurs cuisses comme une médaille de guerre pour acte de bravoure en tranchées. Chienne de guerre. La fameuse tâche de pipi à laquelle tout homme fait face lorsqu’il se jette sur l’urinoir en urgence pour soulager sa vessie pleine de bière et oublie que le principe est de ranger son engin dans son slibard après l’avoir secoué comme le stipule Nadine de Rothschild dans son « Guide des bonnes manières ».
J’aurais dû ramener un bonnet de bain et un pince-nez vu l’odeur de chlore qui émane de cet endroit. Je sais nager le papillon, je devrais m’en sortir.
La maître-nageuse vêtue d’une blouse bleue et d’un badge indiquant « Colette » m’envoie un sourire discret qui en dit long sur la situation dans laquelle je me suis fourré. Comme un gamin arrivant dans un nouveau collège, mes collègues de pissoir me dévisagent du coin de l’oeil. Ne manquent plus que la petite tape sur le dos, l’Ode à la joie et le teint orangé de Brigitte pour me prendre pour Emmanuel Macron arrivant devant la Pyramide du Louvre.
De la musique d’ailleurs, il y’en a une en fond, enfin si on peut appeler ça de la musique. Un subtil mélange de Matt Pokora et de portes qui claquent. On connait désormais la raison du suicide d’Avicii. Ceci n’est que le début d’un plan machiavélique destiné à limiter au maximum le temps de passage du client devant la cuvette. D’abord les oreilles qui saignent puis ensuite il faut s’armer de bottes en caoutchouc pour entrer à Pipi Land.
Il s’agit bien d’un écosystème comparable à celui d »une planète qui n’a pas encore été découverte. Seules deux espèces peuvent y survivre : le mec au bord du suicide à cause d’une gastro-entérite fulgurante et un champignon qui pousse sur le pubis de Rocco Sifredi. Règle numéro 1 : Toujours avoir un kit de survie sur soi comprenant le guide des champignons comestibles que vous trouverez en pharmacie ainsi qu’une lampe torche, un piolet et un rouleau de papier toilette triple épaisseur pour peau sensible.
C’est en m’avançant vers l’urinoir comme un taulard entre dans le couloir de la mort, que je sens des regards lubriques sur mon ceinturon qui se libère.
Le concours de la plus grosse bistouquette est toujours d’actualité. Je peux enfin comprendre ce que Miss France ressent à chaque fois qu’elle défile en maillot de bain sous le regard pervers de Jean-Pierre Foucault et les commentaires déplacés de Geneviève de Fontenay. #balancetonporc. C’en est trop. C’est la goutte d’urine qui fait déborder le pot de chambre. Devant cet affront visuel, je décide de m’isoler en cabine privée. C’est encore pire que Mark Renton dans Trainspotting. « Les chiottes les plus sales d’Ecosse » sentent la confiture de fraises à côté de ça. Ça pique les yeux. Je perds un dixième d’acuité et manque de dégueuler ma pizza quatre saisons (oui, j’aime Vivaldi et les artichauts) en voyant une cuvette pleine d’excréments. Bordel, je me demande toujours pourquoi le salopard avant moi n’a pas eu la décence de tirer la chasse d’eau après avoir fait sa boulette. Peut-être un besoin de reconnaissance ou de marquer son territoire comme un clébard. Non, juste un gros porc.
C’est plein de courage, avec un bout de papier WC imprégné de gel hydro alcoolique que j’appuie sur le bouton magique lorsque j’entends le type de la cabine d’à côté gémir comme un goret. Le cigare au bout des lèvres, on dirait qu’il va claquer sur place ou accoucher à force de pousser comme un forcené. Je n’ose plus bouger. Je cherche le numéro du gynéco de garde sur Google quand soudain, miracle. La libération. Une mitraillette de pets avant un final grandiose digne du feu d’artifice du 14 juillet, ponctué par huit minutes de tirage de rouleau de papier WC.
J’en déduis donc deux choses : soit Monsieur est poilu, soit le papier WC est de mauvaise qualité.
C’est les boyaux en vrac, au bord du malaise que je me soulage tant bien que mal pour ressortir de la cabine, l’air victorieux, tel un barbare ayant battu une horde de loups à mains nues. Je caresse fébrilement le distributeur de savon craignant de choper le tétanos ou les oreillons au contact de cet objet en plastique greffé dans la crasse et le carrelage. Certains ne vont pas jusque-là et remontent directement à la surface pour caresser la joue de leur fiancée qui au mieux aura une éruption cutanée pendant plusieurs jours ou au pire un staphylocoque doré en guise de bague de fiançailles.
Je me dirige discrètement vers la sortie en rasant les murs. Colette est là. Digne. Je dépose une petite pièce jaune, honteux de n’avoir que ça au fond de ma poche. Nos regards se croisent.
Colette a un peu de Sardaigne dans ses grands yeux bleus. Elle pourrait faire une thèse en sociologie sur le comportement des usagers des toilettes publiques. Elle en voit passer du monde. Le cinquantenaire prétentieux qui ne lui adresse même pas un regard. Le sans domicile-fixe qui vient chercher un peu de chaleur et d’intimité entre deux squats. Le gamin qui arrive in extremis avant de faire sur sa salopette. Le toxico qui confond cuvette et salle de shoot. Le bourré qui titube et arrose la moitié du sol en faisant l’hélicoptère. Elle fait aussi office de confidente, approuve de la tête, écoute et rassure parfois. Certains sont au bout du rouleau. D’autres viennent d’apprendre une bonne nouvelle. Elle passe 9 heures par jour à frotter le sol, à ramasser des seringues et à désinfecter des urinoirs écoeurants.
Ça, c’est son quotidien.
Dans cette jungle urbaine, les petites mains sèches et abîmées sous une paire de gants en latex rose (La France d’en bas comme disait un certain ministre. Les sans-dents comme disait un Président de la république) côtoient celles qui rasent les barbes de trois jours de visages cabossés par des nuits dans des tentes Quechua.
Colette n’est pas une dame pipi comme les journaux appellent vulgairement sa profession. C’est une grande dame d’un mètre cinquante-six qui nettoie les petites envies égarées et qui panse les maux des paumés avec ses mots à elle. Les voyageurs n’y voient qu’un endroit pour se soulager rapidement mais elle s’applique à entretenir sa cathédrale qui sent le Harpic WC.
Faites lui un sourire. Dites lui bonjour et au revoir. Regardez la. Considérez la. Il n’y a pas de sots métiers mais il n’y a que de sots pisseurs.
A toutes les Dames Colette de Strasbourg et du monde entier: MERCI!
>> MR ZAG <<