Lors des JO de Paris, 36 athlètes strasbourgeois(es) et alsacien(ne)s nous ont fait vibrer. On est parti à la rencontre de certain(e)s, pour raconter leurs histoires et leurs parcours, et pour mieux les connaître. Après Eve Planeix, nageuse artistique, aujourd’hui, on arme notre bras et on projette notre javelot le plus loin possible avec Teuraiterai Tupaia, Strasbourgeois d’adoption et recordman de France du lancer de javelot.
Pour certains sports, un coup de foudre arrive immédiatement. Pour d’autres, les circonstances de vie font qu’à un moment, ils s’imposent à nous, comme des évidences. C’est en substance l’origine du parcours de Teuraiterai Tupaia : alors qu’il est désormais recordman de France du lancer de javelot, la discipline n’était pas le premier choix du Strasbourgeois d’adoption de 24 ans.
Venant d’une famille de handball, le Polynésien de naissance découvre l’athlétisme grâce à son oncle vers l’âge de 10 ans. S’il continue le hand, il s’intéresse à plusieurs autres sports, et finit par choisir le décathlon, la discipline ultime [10 épreuves différentes sur une seule et même compétition, ndlr].
Teuraiterai Tupaia débute alors son aventure en équipe de France à l’âge de 16 ans pour les championnats d’Europe cadet. Touchant à toutes les disciplines, il finit 4e au javelot. Le début d’une vocation, et ce même si le jeune athlète continue le décathlon, « pour maintenir un physique complet ». Il enchaîne ensuite les sélections en équipe de France, jusqu’à prendre une grande décision au début de l’année 2018 : quitter la Polynésie française et venir en métropole.
Le javeliste raconte : « Je décide de partir à Montpellier pour m’entraîner aux côtés de Kevin Mayer [recordman du monde du décathlon, ndlr] et d’autres athlètes. J’avais envie de sauter le pas, découvrir la métropole, j’avais envie de m’entraîner et de progresser. » Malheureusement, l’expérience tourne court : « J’ai eu une grosse douleur au tendon d’Achille, qui a persisté tout au long de l’année. J’ai pris 27 kilos en 6 mois. » Fini le décathlon, et bonjour le javelot pour Teuraiterai Tupaia, qui reconnaît : « Partir à 17 ans, c’était sans doute trop tôt. »
Un long apprentissage du javelot, sport complet et explosif
Après un an auprès de ses proches pour se ressourcer, le jeune athlète décide de retenter sa chance, et repart en métropole en 2019 pour pratiquer exclusivement le javelot. Direction Strasbourg et le CREPS, un centre sportif, pour apprendre un sport bien plus exigeant que ce qu’il croyait : « Quand j’étais jeune, je pensais que le javelot, ce n’était que des lancers ; pour moi ça allait vite être ennuyant. En fait, j’ai découvert un sport très complet. »
En premier lieu, l’aspect technique : « J’ai découvert que c’était un sport qui demandait beaucoup de travail. » Et contrairement à ses premières croyances, le javelot est une discipline qui permet beaucoup de créativité : « Il n’existe pas un geste parfait, chaque individu a sa manière de lancer ; il y a de la créativité au-delà des fondamentaux pour trouver comment extérioriser sa puissance de la meilleure des façons. »
Lui mise beaucoup sur son explositivé : « Je suis quelqu’un de très explosif : quand je lance propre, à fond, dans les bons timings je sais que ça va partir. » Pour progresser, il a découvert l’intensité des séances d’entraînement au CREPS : six jours sur sept, entre musculation, stretching, séances de lancers, course. Pas le temps de s’ennuyer, pour un athlète qui ne jure que par la compète : « En compétition, j’ai une adrénaline qui fait que j’arrive à me surpasser, une envie de vaincre qui me donne un truc en plus. »
Une progression à chaque fois freinée par des blessures
Avant d’arriver sur la piste des compétitions, Teuraiterai Tupaia a connu des hauts et des bas : « Chaque année je progressais, mais chaque année je me suis aussi blessé. Dès que je faisais des perfs, une blessure apparaissait, et il fallait reconstruire. Sur le moment c’est frustrant. » Une absence de continuité qui freine la progression d’un athlète au potentiel énorme.
Dès 2021, il passe les 80 m [80,46 m, à seulement 30 cm du record de France, ndlr] dans une « super saison » qui le voit remporter la Coupe d’Europe U23, faire 3e aux championnats d’Europe espoirs mais surtout 1er aux championnats de France. De quoi espérer une grande saison 2022… avant une nouvelle blessure : « Je me blesse à l’échauffement en faisant du badminton, comme habitude, mais ce jour-là, ma cheville part. »
Il reprend la compétition 3 mois plus tard, mais lors d’une nouvelle épreuve, il glisse sur la piste et se fait une élongation du muscle soléaire [mollet, ndlr] sur 8 cm. « La blessure de trop » selon lui, annonçant une année compliquée malgré un nouveau titre en Coupe d’Europe U23. L’année 2023 n’est pas vraiment meilleure, avec seulement une 3e place aux championnats de France.
« Des années compliquées » selon Teuraiterai Tupaia, où quelques podiums sont venus garnir sa saison, mais où les performances n’ont pas été à la hauteur. Et pour lui, cela fait toute la différence : « Moi les titres c’est bien, mais je regarde surtout les performances. C’est bien d’être champion de France mais les perfs c’est mieux. »
Une préparation commando pour les Jeux
Arrive septembre 2023, l’année de préparation des Jeux de Paris, l’objectif ultime pour l’athlète. Teuraiterai Tupaia prend alors une décision importante : rentrer à Tahiti pour faire un stage au chaud et éviter le climat strasbourgeois, avec également deux semaines en Nouvelle-Zélande. Un choix critiqué par beaucoup selon lui, ce qui ne l’a pas dérangé : « Je me suis dit qu’il fallait que je m’écoute, pour faire tout ce qu’il fallait pour performer. »
Un mois et demi après son départ, il revient dans la forme de sa vie, avec 7 kilos en moins et un physique à toute épreuve. « Ils étaient tous choqués » se rappelle en souriant l’athlète. Problème : aux championnats de France d’hiver, il lance seulement à 68 m. Une « grosse claque à l’ego », qui lui fait se poser beaucoup de questions.
Pour s’enlever du stress, il lance une cagnotte, comme beaucoup d’autres athlètes français(es) de haut niveau, et notamment en athlétisme : « Je n’avais plus d’aides, plus rien. Au niveau de l’ego c’était dur, d’avoir l’impression de quémander. Mais le projet olympique m’a fait mettre l’ego de côté. » Il continue à bosser, mais n’arrive toujours pas à lancer loin. Il finit par trouver l’origine de son problème, et débloque enfin son épaule droite.
Après ce rendez-vous, il veut faire en stage pour progresser en technique et part à Saint-Raphaël, puis fait un autre stage. Il retrouve ses sensations et son feeling, et le javelot part bien plus loin. À l’époque, les championnats de France arrivent et Teuraiterai Tupaia n’a qu’un objectif : les minima olympiques, pour participer aux Jeux.
Un record de France historique
Aux championnats de France, à Fontainebleau, trois mois avant les Jeux, tout se passe comme dans un rêve. Teuraiterai Tupaia l’annonce direct : « Je savais que quelque chose allait se produire. » Sûr de lui, il annonce même à son partenaire de chambre qu’il va faire les minima olympiques. L’échauffement se déroule comme il faut, et l’athlète en est certain : « Ça va claquer bien fort. »
Après un premier essai mordu, le deuxième arrive. Il raconte : « Je vois le javelot en l’air longtemps, là je sens que c’est une grosse perf, je suis au maximum de l’euphorie, j’attendais la mesure et quand je vois 86,11 m je pense direct minima olympiques, j’ai mon ticket pour les Jeux. » Challenge completed, un record de France vieux de 35 ans pulvérisé et deux performances historiques : d’abord la fin de 20 ans d’absence des javelistes français aux JO, et surtout, l’athlète devient le premier Tahitien aux JO en athlétisme.
Des Jeux compliqués
On pouvait alors espérer une belle entrée en finale pour un athlète en pleine bourre. Sauf que l’histoire de Teuraiterai Tupaia est semée d’embûches : il arrive blessé pour les Jeux, avec 2 mm de fissure aux ligaments du coude. Il attaque l’épreuve « guerrier » pour « défendre [ses] chances et [ses] couleurs » : « C’était hors de question de ne pas faire les Jeux. Si ça pète ça pète, sans regret. » Mais c’est trop compliqué : le ligament lâche au premier ou au deuxième essai, et aucun lancer n’est mesuré. Il ne passe pas en finale.
Une déception au niveau de la compétition, mais l’athlète a tout de même apprécié ses Jeux : « Dans la tête, je ne me posais pas trop de questions, j’ai débranché le cerveau. L’épreuve en elle-même était incroyable, le public était fou, j’ai jamais vu ça. Quand t’es sur la piste tout en bas… c’est des frissons. » De quoi lui donner envie de repartir au charbon et de revenir dans 4 ans.
Préparer les Jeux de 2028, en gardant la joie de vivre
Désormais, le Strasbourgeois d’adoption est en rééducation. Il en a encore pour quelques semaines, avant de repartir début novembre à Tahiti. Une fois rentré, il s’attellera à retrouver une musculature normale et retaper sa condition physique.
Prochains objectifs ? « Être présent aux championnats du monde à Tokyo en 2025 et à tous les grands championnats jusqu’en 2028. » Avec une différence majeure : « Cette fois-ci sans pépins physiques ; parce que si tout se déroule bien, il y aura moyen de rentrer en finale, et pourquoi pas aller chercher un podium. »
Il pourra pour cela compter sur sa nouvelle vie strasbourgeoise. Après des premières années compliquées, Teuraiterai Tupaia s’épanouit enfin à Strasbourg : « J’y ai rencontré ma petite amie, on s’est créé un groupe de potes sportifs, j’ai rencontré d’autres personnes des îles, je me suis bien entouré. C’est aussi ce qui a fait que cette année, je me sentais beaucoup mieux. »
Et nulle doute que l’année prochaine sera encore meilleure, pour celui qui va continuer de lancer plus vite, plus haut, et plus fort.
Photo de couverture : © Vincent Curutchet – KMSP / Document remis