Lors des JO de Paris, 36 athlètes strasbourgeois(es) et alsacien(ne)s nous ont fait vibrer. On est parti à la rencontre de certain(e)s, pour raconter leurs histoires et leurs parcours, et pour mieux les connaître. Après Eve Planeix, nageuse artistique, Teuraiterai Tupaia, recordman de France de javelot et Hugo Fontani, gardien du Team Strasbourg, on a chauffé nos raquettes de tennis de table avec Charlotte Lutz, Strasbourgeoise de 19 ans qui a vécu ses premiers Jeux.
Depuis quelque temps, le tennis de table a regagné ses lettres de noblesse aux yeux du grand public. Les performances des frères Lebrun [Félix double médaillé de bronze aux Jeux en individuel et en équipes avec Alexis, ndlr] remettent ce sport physique, exigeant et impressionnant, en lumière, loin d’une image d’un sport de camping qui lui a trop souvent collé à la peau.
Si le tennis de table masculin a les frères Lebrun, le ping féminin a les soeurs Lutz, Camille [la grande, ndlr] et Charlotte. Originaires d’Hochfelden, la soeur aînée est championne de France 2024, en battant sa cadette en finale. Mais c’est pourtant la plus jeune qui a pu participer aux Jeux, se qualifiant en tant que 3e Française. Une progression fulgurante pour la désormais Strasbourgeoise de 19 ans, licenciée au club de Metz, aussi explosive sur la table que réservée en dehors.
Un sport auquel elle a accroché direct
Le ping, chez les Lutz, c’est une histoire de famille : la mère de Charlotte a d’abord transmis sa passion à sa grande soeur. Elle vient alors souvent la voir jouer et à un moment, elle le sait, c’est son tour. Elle raconte : « Quand Camille jouait, j’allais beaucoup la voir à la salle quand j’étais enfant. Je courrais un peu partout et à un moment, j’en ai eu marre de la regarder (rires). J’ai dit à ma mère que je voulais essayer. » Depuis, la passion du ping ne l’a jamais quittée.
Quand j’ai essayé le tennis de table, je n’ai jamais ressenti l’envie d’arrêter.
Il faut dire que la discipline colle à la personnalité de la Strasbourgeoise de 19 ans : « J’aime bien me défouler, taper dans la balle, kiffer en jouant. En plus, la compétition, c’est quelque chose qui est ancrée en moi ; c’est pour ça que je m’entraîne, pour devenir plus forte, aller chercher des victoires, des performances et des émotions. Je sentais que j’en avais vraiment besoin dans ma vie. »
Une personnalité qui s’exprime à merveille sur la table, avec un style de jeu porté vers l’attaque : « Mon style, c’est d’avoir un jeu agressif. Je suis plutôt du genre à vouloir faire, pour gagner mes points. D’autres préfèrent donner l’initiative pour bloquer et reprendre l’avantage ; moi je veux prendre l’initiative tout de suite, jouer fort dès les premières balles, faire mal à l’autre, direct. »
Un sport de famille, entre soeurs
Un sport qui reste dans la famille, avec deux soeurs qui jouent désormais au plus haut niveau. Une situation toujours particulière, notamment lorsqu’elles ont été en concurrence pour les places qualificatives des Jeux. Néanmoins, aucun souci entre les deux soeurs : « Ça fait partie du jeu. Chacune a fait de son mieux pour réussir, et c’est passé pour moi. Camille était contente pour moi, et si les rôles avaient été inversés, j’aurais été contente pour elle aussi. »
On a toutes les deux décidé de faire le même sport à haut niveau, c’était possible qu’on soit en concurrence un jour.
Si elles font leurs entraînements séparément, Charlotte et Camille sont fusionnelles dans la vie de tous les jours : « On se confie beaucoup l’une à l’autre, sur beaucoup de sujets, pas juste sur le tennis de table. Et lors des compétitions, on va à chaque fois être là l’une pour l’autre, que l’on gagne ou que l’on perde. Ça fait notre force. » Et depuis quelque temps, cette force issue de la famille entraîne la Strasbourgeoise de 19 ans vers les sommets.
Une explosion en 2024, avec une nouvelle mise en lumière du ping
Revenue depuis peu à Strasbourg où elle a désormais son propre appartement, Charlotte s’est créée un cadre : toujours avec sa mère, sa soeur et sa famille proche, mais aussi avec Guillaume et Jérôme, ses deux entraîneurs. « Un équilibre » pour la jeune femme, qui évolue d’année en année, au fur et à mesure que les résultats deviennent meilleurs.
Et si l’actuelle 86e mondiale [25e européenne, ndlr] avait déjà plusieurs beaux résultats avant 2024, notamment une médaille de bronze aux championnats d’Europe par équipes en 2023, c’est cette année que tout a explosé. Avec l’équipe de France féminine, elle décroche une magnifique médaille de bronze par équipes aux championnats du monde à Busan en début d’année. Elle y a d’ailleurs battu Sabine Winter, 50e mondiale et médaillée de bronze aux championnats d’Europe de 2022.
Un accomplissement non seulement pour Charlotte, mais également pour le ping français en général : « On a vu le regard des gens changer avec nos deux médailles aux championnats du monde par équipes [les hommes ont décroché l’argent, ndlr]. On sent qu’on est plus regardé. » RMC diffuse les matchs en France, et les gens suivent et se passionnent pour cette discipline.
Une forme de reconnaissance pour Charlotte : « Ça fait plaisir, parce que notre sport n’était pas vraiment médiatisé avant ; il avait la réputation d’un sport de camping, qu’on ne prenait pas vraiment au sérieux. C’est bien pour nous : les gens comprennent que c’est un vrai sport, qu’on est capable de faire de belles choses et qu’on s’entraîne aussi dur que n’importe quel autre athlète. »
Une course contre-la-montre pour se qualifier aux Jeux
Et pour réussir, Charlotte s’entraîne dur : 25h chaque semaine au minimum. Heureusement, elle peut compter sur le cadre autour d’elle : « Mes coachs sont là pour me guider, me cadrer. Ça me permet d’être plus sereine, et de pouvoir mieux m’organiser. Ce sont des petits ajustements du quotidien qui me permettent d’avoir la concentration nécessaire au moment de jouer au tennis de table, et ne pas avoir trop de charge mentale. »
Je ne passe jamais une semaine au même endroit.
Un accompagnement nécessaire dans le tourbillon qu’a été la qualification pour les Jeux. Les deux premières places en équipe de France étant déjà prises, Charlotte visait celle de numéro 3, permettant de participer à l’épreuve par équipes. La Strasbourgeoise a alors disputé « un nombre incalculable de tournois, pour tenter de [se] qualifier ». Mission accomplie, et dès le 5 juillet dernier, la préparation a débuté. Objectif : être prête pour le 5 août, le début des Jeux.
« J’ai jamais eu autant d’émotions en si peu de temps » : la magie des Jeux, malgré la déception
Deux mois après la fin de la compétition, il est toujours difficile pour la pongiste strasbourgeoise de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu. En revanche, ses yeux s’illuminent toujours autant lorsqu’elle en parle : « Ça a été mes premiers Jeux, c’était en France, ma famille a pu venir me voir, j’ai été très longtemps au Village olympique… Si un jour, je refais des Jeux, ce sera très difficile de faire mieux, impossible de comparer. »
Pour Charlotte, « trois semaines sont passées en deux secondes », et tout était magique : « La cérémonie d’ouverture, on était sous la pluie, mais on n’en avait rien à faire franchement, c’était juste incroyable. J’ai vu quelques athlètes que j’admire, comme Léon Marchand, Florent Manaudou, Teddy Rinner. » Mais surtout, elle a eu l’impression de participer à une véritable aventure humaine, où toute la délégation française était comme une grande famille. La famille, valeur cardinale, on y revient toujours.
Ce qui m’a impressionné, c’était l’engouement : on supportait tout le monde, ça donnait vraiment l’impression d’être une grande famille.
Cela lui a permis de surmonter une déception sportive. En amont de son entrée en lice, elle a dû gérer l’attente, et la pression : « C’était un peu dur mentalement. Je voulais jouer tout le temps, mais en même temps, j’avais aussi envie de profiter d’être là. Plus la compétition avançait, plus ça allait être à mon tour, et plus j’ai commencé à me tendre, à être moins ouverte. » Une pression compréhensible au vu de la prestance des Jeux, mais tout de même difficile à gérer.
Surtout que les résultats n’ont pas été à la hauteur, l’équipe de France féminine sortant dès le 1er tour par équipes, face à la Thaïlande (3-2). Si Charlotte ne fait « pas de mauvais matchs », elle perd ses deux rencontres, dont celle décisive (3-2), après un scénario complètement fou. Sans regrets, notamment parce que l’ambiance était exceptionnelle : « Ce qu’on a ressenti durant nos matchs, je pense que c’est incomparable. Le public était exceptionnel, du premier au dernier point. »
Réussir aux championnats d’Europe et faire de grosses performances
Remise du tourbillon des Jeux, Charlotte Lutz continue de ne jamais se poser. Lors de l’interview [réalisée le 10 octobre, ndlr], elle avouait son premier objectif : les championnats d’Europe à Linz, qui ont débuté le 15 octobre (et à suivre sur la chaîne L’Équipe).
Une « grosse échéance » pour la pongiste : « J’ai envie de faire mieux qu’il y a deux ans [où elle a été battue en 32e de finale par la finaliste de l’épreuve, ndlr]. Je veux battre une tête de série pendant ces championnats. » Lors de son entrée en lice, elle a tranquillement disposé de Barbora Balazova (4-0). Lors du 2e tour, qui a eu lieu ce vendredi 18 octobre, elle a également battu sa compatriote de 16 ans, Léana Hochart (4-3). Et il y a moyen qu’elle aille encore plus loin.
Ensuite, ça sera retour en France avec l’une des plus grosses compétitions du circuit : le WTT Champions à Montpellier. Compétition réservée au 32 meilleur(e)s joueurs/ses du monde, la pongiste strasbourgeoise a été invitée. Là encore, l’objectif est affiché : « Taper une des meilleures mondiales. Je pense que j’en suis capable. » Un objectif qu’elle transpose aussi aux championnats du monde junior en fin d’année, où elle visera une médaille.
Et forcément, les Jeux de Los Angeles de 2028 sont déjà dans la tête de Charlotte : « J’ai envie de m’y qualifier, cette fois-ci en tant que titulaire. » Une ambition à la hauteur de la personnalité de la pongiste : jouer fort, direct. Il n’y a plus qu’à.