Étudiant en master 2 de sécurité européenne à Science Po Strasbourg, Paul Barbaste a passé des mois à mettre au point son projet JEDI. Il a entraîné son BB-8, le petit droïde de la saga Star Wars, afin qu’il réponde à des commandes simples, ordonnées par la pensée ! À l’aide d’un casque encéphalographique, et d’un simple ordinateur, Paul arrive à faire avancer le robot dans différentes directions grâce à la force… d’une IA.
Depuis la fin de sa 1ère année à Science Po, Paul travaille en parallèle de ses études dans la sécurité informatique. Une expérience au cours de laquelle il a pu se lancer différents défis, comme celui de créer son propre algorithme pour un moteur de recherche, lui permettant de recueillir un type de données précis sur le dark web. Fort de cette première tentative, il décide ensuite de suivre un Mooc (un cours en ligne) afin d’apprendre le langage de programmation Python.
Avec cette compétence supplémentaire, le jeune homme espère bien pouvoir mener des projets de recherche. Et justement, il y a environ deux ans et demi, une idée un peu folle lui passe par la tête : et si j’essayais de piloter un petit drone par la pensée ? Mais faute de compétences nécessaires, il renonce au projet. C’est finalement près d’un an plus tard, lorsqu’il prête main forte à un ami pour l’un de ses travaux, qu’il découvre que les technologies ont beaucoup évolué et que celles-ci pourraient maintenant lui permettre de faire aboutir son projet. Paul se lance alors dans la confection de son dispositif.
Mais comment JEDI fonctionne ?
Pour mener à bien sa mission, Paul s’appuie sur un dispositif particulier comprenant un casque encéphalographique, son ordinateur, et le BB-8 de Star Wars, sous licence Disney. Le casque est relié à l’ordinateur et l’ordinateur au robot. Le casque lui permet de récupérer des données brutes qui correspondent aux signaux électriques émis par le cerveau, qu’on réussit à capter grâce aux électrodes. Ensuite, l’algorithme créé par Paul permet de traiter ces signaux enregistrés sur l’ordinateur et de les traduire selon une classification précise. Si la commande traduite correspond à “tout droit”, alors le droïde avance. Pour le moment, le passionné arrive à commander son robot pour qu’il aille tout droit, à droite, à gauche et aussi se retourner. Soit des commandes basiques de direction.
Évidemment, ce n’est pas que BB-8 a la faculté de lire dans les pensées, mais seulement de lire ce pourquoi Paul l’a entraîné ! C’est ce que l’on appelle du machine learning. L’étudiant a en fait pris les mesures avec le casque encéphalographique en pensant à différents ordres comme tout droit, gauche ou droite. Ensuite, il a entraîné l’algorithme à traiter ces mesures jusqu’à créer un modèle qui soit capable de les classer selon différentes catégories. En gros, l’algorithme arrive à traduire les commandes qu’il connaît émises par Paul et les transmet à BB-8. L’IA mise au point par le jeune homme apprend un peu plus à chaque utilisation.
Pour qu’il avance, il faut s’imaginer en train de pousser le petit robot. En effet, Paul explique qu’il est bien plus simple de visualiser l’action de cette manière, plutôt que d’imaginer BB-8 avancer ou penser “tout droit” : “En terme de visualisation, c’est plus facile d’avoir une connexion visuelle, de le voir et de s’imaginer le pousser, que de fermer les yeux et l’imaginer avancer tout seul sinon ça demande un effort de visualisation plus important.” Sans compter son ordinateur personnel, l’étudiant a réussi à mettre au point son dispositif pour le coût d’un Iphone.
BB-8 ne s’est pas laissé faire !
Même si cela semble aussi simple qu’une bonne vieille télékinésie, la tâche n’a pas été aisée. Paul a mis en tout entre six mois et un an pour élaborer le dispositif. Et il n’a pas choisi le petit droïde de Star Wars par hasard : “De base, j’ai essayé sur des drones Parrot et des voitures télécommandées. Mais l’avantage du BB-8, c’est qu’il y a pas mal de hackeurs qui l’ont déjà bidouillé avec pas mal de forums sur lesquels on peut trouver des bouts de code et des tutos. En voyant ce que la communauté des hackeurs avait déjà partagé, c’était plus simple.” Il ajoute : “L’univers du hacking, c’est aussi la pop culture, les gens vont déjà plus se diriger vers ce genre de robot, c’est plus drôle et c’est une référence qu’ils aiment. Et bien sûr, je suis aussi un fan de Star Wars.” La force tu maîtriseras, à l’aide d’une IA.
Ce qui lui a pris le plus de temps, c’est de retransmettre les données à BB-8. Car à la base, il s’agit d’un robot de licence Disney vendu par Sphero. Et Paul le reconnaît : “Généralement, ils n’aiment pas trop qu’on bidouille ces appareils. C’est un peu du hacking (au sens de détourner un objet de son utilisation principale), parce que normalement, il est uniquement commandable via une application. Le faire avancer avec mon propre algorithme c’était pas simple.”
Le droïde fonctionne en fait avec le BLE (Bluetooth Low Energy) comme tous les objets connectés. C’est donc comme s’il était en veille tout le temps et il s’allume dès qu’on envoie une information. Ce type de protocoles, le jeune homme ne s’y était encore jamais frotté : “Je me suis vraiment cassé les dents dessus.” Mais il reconnaît aussi que la plus grande difficulté qu’il a rencontrée a été de travailler seul : “L’avantage de programmer en groupe, c’est l’émulation intellectuelle, et je pense qu’à cause de cela, j’ai beaucoup été ralenti alors que si j’avais été en école d’ingénieur avec quatre potes, on aurait fait ça très facilement pour un projet d’étude par exemple.”
Si les premiers objectifs ont largement été atteints, Paul ambitionne de pousser BB-8 à aller beaucoup plus loin. Mais chaque nouvelle envie entraîne un nouveau problème technique à solutionner. Son casse-tête du moment : “J’aimerais faire une course entre deux BB-8 par la pensée, mais je n’arrive pas à faire bouger les deux en même temps. Il n’y en a qu’un seul qui réagit à chaque fois.”
Quelles évolutions à venir pour BB-8 ?
Le problème que Paul doit encore résoudre, c’est que les données sont encore polluées par ce qu’on appelle des artefacts, en d’autres termes du bruit parasite. Mais il assure que lorsqu’il aura des casques plus précis, il sera en mesure de passer à un niveau supérieur.
Actuellement, le dispositif en est à sa deuxième version. BB-8 est capable de d’avancer dans les différentes directions (comme pour la V1) mais aussi de tourner. La future V3 devrait permettre de gérer la vitesse. Quant à la V4 : “Si on peut dire droite ou gauche et que ça fonctionne, c’est qu’on peut aussi dire court ou long. Et à partir de là, on peut faire du morse. Donc là, ça constitue un premier système de communication par la pensée ! Ensuite, si on connecte ça à de la synthèse vocale, on peut même reproduire la voix.”
Et pour réussir à relever ces défis, Paul explique qu’il lui faut davantage de compétences et du matériel plus précis. Et cela semble en bonne voie. D’ici un an, de nouveaux casques devraient être accessibles et il s’est d’ores et déjà inscrit à un micro master dispensé par le MIT qui propose des cours sur la programmation et l’intelligence artificielle. Il annonce : “Au niveau de l’évolution du projet, je suis ultra optimiste !”
Quelles applications futures peut-on imaginer ?
La première finalité du projet était avant tout selon Paul de comprendre comment l’intelligence artificielle fonctionne. Par ailleurs, il explique que tout et n’importe quoi est raconté à ce sujet qui reste obscur pour la plupart des gens : “On dit souvent que c’est une boîte noire, c’est-à-dire qu’elle est utilisée sans vraiment que l’on sache comment ça fonctionne et en tant que science po, ça, c’est vraiment un problème. Parce qu’à un moment, on va devoir traiter ces problématiques au regard de la loi et de la société donc il faut savoir comment cela fonctionne exactement.” Grâce à son projet, l’étudiant entend bien prouver que l’intelligence artificielle n’est pas réservée aux ingénieurs, et qu’au contraire, elle a vocation à se démocratiser dans le plus grand nombre de domaines.
Une fois abouti, on peut imaginer que le dispositif serve à de nombreuses applications. Il peut notamment s’avérer très utile pour les personnes handicapées et les paraplégiques. Qu’il s’agisse de les aider à se déplacer ou encore si on l’applique à la domotique pour contrôler les lumières ou certains appareils électroménagers dans leur maison. Ce type de système peut ainsi considérablement les aider dans leur vie de tous les jours.
Enfin, ce dont rêve aujourd’hui Paul, c’est de réussir à utiliser son casque encéphalographique couplé à un casque VR. Ce qui ouvrirait un vaste champ des possibles : “Si on peut réussir à croiser ce genre de technologies, ce serait énorme. Pour moi, c’est ça qui est le plus intéressant finalement, réussir à entrecroiser des domaines très différents.”