Le 16 novembre dernier, l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine a finalement adopté un texte autorisant les pasteurs à bénir les couples mariés de même sexe. Une décision officielle qui avait été anticipée à Strasbourg, notamment à la paroisse Saint-Guillaume qui s’est largement investie ces dernières années afin de s’ouvrir aux personnes LGBTQI+. Grâce à la détermination du pasteur Christophe Kocher, l’église strasbourgeoise est aujourd’hui engagée pour défendre les droits de cette communauté.
On a voulu comprendre pourquoi et comment ce pasteur strasbourgeois s’est débrouillé pour identifier Saint-Guillaume comme LA paroisse LGBTQI+ de Strasbourg.
« Le jour où la décision a été officiellement rendue, quand je l’ai annoncé pendant le culte du soir, tout le monde s’est mis à applaudir, j’en avais le souffle coupé, c’était un très grand moment d’émotion. Je suis très content que ce soit passé évidemment. » explique Christophe Kocher. S’il y a bien un endroit où la décision de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) concernant le mariage des couples de même sexe était attendue de pied ferme, c’est bien Saint-Guillaume. Ces dernières années, le pasteur qui en est à la tête a largement œuvré pour que la communauté se positionne en faveur des droits LGBTQI+. Et au départ, c’était loin d’être gagné.
Le parcours de Christophe Kocher
• Il passe son enfance dans le Bas-Rhin
• Suit des études de théologie à Genève
• Passe un MBA à Sup de Co Montpellier
• Il devient pasteur consultant
• Se marie à une Suissesse
• Devient pasteur à la collégiale de Neuchâtel en 1998
• Dirige un service communication à Lausanne dans le cadre
de l’église reformée du canton de Vaud
• Accepte le poste de pasteur à Saint-Guillaume en 2009
• Son départ de Saint-Guillaume est prévu pour mai 2020
Arrivée à Saint-Guillaume : « soit tu réussis à en faire quelque chose, soit on va fermer. »
Lorsqu’on le contacte pour le poste de pasteur à Saint-Guillaume, c’est un profil bien particulier qui est demandé : un bon prédicateur pour le centre-ville de Strasbourg, qui aurait une formation artistique, car Saint-Guillaume est un lieu emblématique de la vie culturelle strasbourgeoise, que les musiciens apprécient notamment pour son acoustique. Mais les recruteurs cherchent également quelqu’un qui pourrait diriger une entreprise. Et au vu de la situation délicate dans laquelle se trouvait la paroisse à ce moment-là, c’est presque un sauvetage qu’on lui propose : « C’était un beau défi. On m’avait annoncé que la paroisse était pratiquement morte. L’inspecteur m’avait dit : soit tu réussis à en faire quelque chose vite, soit on va fermer.»
Aujourd’hui Saint-Guillaume, c’est un pasteur permanent, une secrétaire, un sacristain, deux organistes, des services civiques, des stagiaires qui défilent régulièrement et entre 60 et 80 bénévoles. L’église est propriété de la paroisse et cette dernière comprend aussi un parc immobilier d’une soixantaine d’appartements. C’est donc toute une entreprise qu’il faut gérer, et une importante communauté.
En arrivant à Strasbourg, le pasteur, qui s’inscrit davantage dans un courant libéral (mettant en avant la quête personnelle au sein de la vie communautaire, en lien avec l’évolution de la société, à l’inverse d’un courant orthodoxe, plus dogmatique), va prôner des valeurs d’ouverture et l’esprit critique. Une conception de la religion qui constituera un terreau fertile pour les évolutions à venir.
Le mariage entre couples de même sexe : un débat national
En 2013, alors que la « loi Taubira » du mariage pour tous passe à l’Assemblée nationale, le vicaire (pasteur en formation) de Christophe Kocher lui propose d’organiser une conférence sur le mariage pour tous à Saint-Guillaume.
« En toute franchise, cette question à l’époque, je l’évitais. Parce qu’après m’être séparé de mon épouse, je me suis mis en couple avec un homme. Et il existe un texte de référence au sujet des pasteurs homosexuels. Il y est écrit qu’il faut être discret, c’est donc ce que je m’assurais de faire. Donc aborder cette question ouvertement, pour moi, ce n’était pas simple. » Néanmoins, le pasteur laisse faire son vicaire et cette conférence va finalement lui ouvrir les yeux.
Alors qu’il écoute avec intérêt les discours tenus par les intervenants, une prise de parole va l’interpeller : « Une paroissienne a expliqué qu’on enfonçait des portes ouvertes, que personne n’excluait les homosexuels.elles, que ces types de comportements n’existaient pas. »
Ensuite, il y eu la Manif pour tous. Et le pasteur se souvient qu’il fut personnellement choqué de ce qu’il a pu voir et entendre durant cette période. Si au départ la question lui semblait peu importante, surtout d’un point de vue militant, en entendant jour après jour les propos haineux délivrés à l’encontre de cette nouvelle mesure, Christophe Kocher semble avoir eu une prise de conscience : « Je me suis dit, finalement, la question, ce n’est pas le mariage, c’est bien l’homosexualité qui est en jeu. J’ai trouvé cela énorme que l’on puisse parler comme on en a parlé, d’êtres humains. Ces pieuses vipères qui veulent mettre les gens dans des cases ! Et là, je n’ai plus pu me taire, je me suis dit, il faut s’engager ! J’ai la chance d’avoir une tribune avec ma position, alors je vais parler ! » Le pasteur décide alors de s’engager ouvertement en faveur du mariage entre les personnes de même sexe.
« Non, être chrétien ce n’est pas être homophobe ! » : Saint-Guillaume passe à l’action
A la suite de l’adoption de la loi Taubira, l’UEPAL ne se positionne pas et de nombreux débats naissent au sein des paroisses. Un groupe de personnes engagées prend alors la décision de rédiger le manifeste du 21 novembre 2013. Le document comptabilise près de 150 signataires, en faveur d’une église ouverte et d’un accueil inconditionnel.
« On s’est dit qu’il faudrait aussi qu’on manifeste de manière concrète notre présence et notre soutien auprès des personnes LGBTQI+. Nous, on veut résolument exprimer une autre voix, parce que, non, être chrétien ce n’est pas être homophobe ! » Le pasteur a donc organisé la toute première célébration de la Gay Pride à Saint-Guillaume. La Marche des Visibilités, qui a lieu chaque année à la mi-juin à Strasbourg, a donc été l’occasion pour les paroissiens qui le souhaitaient de défiler ensemble, en faveur des droits LGBTQI+. Au cœur du cortège, Saint-Guillaume tenait sa place, brandissant fièrement des slogans accrocheurs : « un moment exceptionnel ! » se souvient Christophe Kocher.
Ils sont pourtant nombreux à avoir tenté de le décourager : « On avait reçu des mails anonymes étranges. J’avais moi-même reçu des lettres de menace avec des personnes très pieuses qui priaient pour moi, pour que je trouve Jésus. Et que si je persévérais dans mon erreur, je serais bon pour l’enfer. » Mais malgré toutes les intimidations, le pasteur tient bon.
A la suite de la Pride, un petit groupe de paroissiens a commencé à naître et se réunir. Tous partageaient l’envie de soutenir la cause LGBTQI+ et d’offrir un accompagnement spirituel à cette communauté, jusqu’alors inexistant : « On voulait offrir un lieu où on peut aborder ces questionnements et surtout communiquer : Ici, il y a un lieu safe ! »
Les frondeurs de Saint-Guillaume
En 2014, l’UEPAL choisit finalement de ne pas se prononcer. Un geste de prudence diplomatique pour éviter l’implosion en interne entre les « pour » et les « contre » et maintenir une certaine unité. Entre temps, l’Église protestante unie de France décide quant à elle, de laisser choisir chaque paroisse. Christophe Kocher interprète donc cette décision de la manière suivante : « Cela remet les choses à leur place, si une paroisse peut trancher cette question, c’est donc qu’on n’est pas sur des enjeux d’église déterminants. On peut ne pas être d’accord entre paroisses et quand même être frères et sœurs. »
Pendant longtemps, tant que l’UEPAL ne se positionne pas, il se convainc qu’il faut patienter et rester solidaire de l’institution. Bien que déterminé, le pasteur refuse de s’imaginer en frondeur. Mais le temps passe et la décision se fait de plus en plus attendre.
Après avoir eu vent de bénédictions prononcées « en cachette » notamment de l’autre côté du Rhin, et avoir reçu quelques demandes de la part de couples de même sexe à Saint-Guillaume, Christophe Kocher présente finalement les demandes au conseil presbytéral. Non seulement celui-ci accepte à l’unanimité, mais il précise même qu’il n’est plus nécessaire de le consulter à l’avenir concernant ce type de demandes. Le conseil devient alors frondeur en décembre 2018.
Le pasteur raconte avec émotion : « J’ai béni un couple de femmes en mai 2019 et un autre couple en septembre 2019. D’autres demandes sont en attente, mais maintenant, on peut le faire en toute légitimité. Ce qui est en jeu pour nous, c’est la reconnaissance de l’homosexualité et bénir des couples du même sexe pour le mariage, c’est un élément de reconnaissance sociale supplémentaire. Sur le plan individuel comme du couple, c’est super important. »
Une ouverture sur toute la communauté LGBTQI+
Les courriers et les menaces ont aujourd’hui cessé et Saint-Guillaume est identifié comme un lieu safe et gay friendly. Mais le pasteur précise cependant que la démarche ne concerne : « pas que les personnes homosexuelles. C’est une ouverture envers toutes les personnes LGBTQI+, les personnes transgenres, les personnes intersexes, etc. Moi-même, je n’y connaissais rien, et j’ai beaucoup appris sur ces réalités. Et je crois que beaucoup ont pu cheminer ensemble ici, à Saint-Guillaume. »
En 2017, le groupe inclusif formé à Saint-Guillaume crée l’Antenne Inclusive, une commission qui fait partie intégrante de la paroisse : « On voulait que le lieu soit médiatisé et identifier clairement un lieu à Strasbourg où on peut aller, si on fait partie de la communauté LGBTQI+ sans être jugé ou encore se trouver face à une porte close. » Depuis, l’Antenne Inclusive travaille en partenariat avec plusieurs associations strasbourgeoises LGBTQI+, comme La Station, et reste ouverte à toutes les sollicitations lorsque des personnes ont besoin d’un accompagnement spirituel.
Après plusieurs années d’engagement, Christophe Kocher, quant à lui, quittera son poste à Saint-Guillaume en mai prochain, vers une nouvelle aventure au sein de la paroisse réformée francophone de Zurich. Il laissera son ou sa successeur.e prendre soin de ce lieu qui « fait briller Strasbourg » comme il l’exprime dans son communiqué de départ.